I am a
Strange Loop de Douglas Hofstadter Hofstadter
par Douglas Hofstadter Basic
Book 2006, 412 pages Présentation
et commentaires par Jean-Paul Baquiast
Comme
beaucoup de ceux qui avaient étudié l’informatique et les logiques
computationnelles dans les années ’70, j’avais entendu parler de Douglas
Hofstadter et de son libre Gödel, Escher,
Bach en termes extatiques par ceux d’entre nous qui avaient eu la
chance de faire des séjours dans une université américaine. Selon eux, on
trouvait « TOUT » dans le GEB anglais. Mais ayant eu l’ouvrage entre les
mains, j’y avais vite renoncé. D’abord parce que la langue, avec les
innombrables néologismes inventés par l’auteur, me paraissait quasiment
incompréhensible. D’autre part et surtout parce que, à part quelques passages
suscitant la curiosité, et de belles illustrations, il me semblait ne mener à
rien. Je me suis cependant procuré l’édition française dès sa parution. J’ai
évidemment alors mieux compris la pensée de l’auteur et ses multiples
détours, mais là encore, le livre me paraissait trop éloigné de la rigueur
cartésienne pour que je puisse y pénétrer en profondeur. Je me suis borné à
le survoler, sans rien en retenir de marquant. Cette incompréhension était
sans doute entièrement de ma faute, mais je dois dire, aujourd’hui encore,
que bien que GEB figurât dans ma bibliothèque, je n’aurais pas eu l’idée de
le rouvrir, s’il je ne m’étais pas mis moi-même en devoir de faire pour
Automates Intelligents une chronique du dernier livre de Douglas Hofstadter, I am a Strange Loop, en conséquence de
la lecture d’un entretien avec l’auteur publié par le NewScientist le 29 mars
1997. Ayant
depuis quelques années parcouru beaucoup d’ouvrages sur la conscience,
lesquels m’avaient inspiré, outre divers articles pour notre revue, le
chapitre Conscience de mon dernier livre, Pour
un principe matérialiste fort, j’étais en effet curieux de voir
ce que pouvait en dire Douglas Hofstadter. Je me demandais, connaissant à la
fois le côté apparemment un peu « sentimental lyrique » de l’auteur et la
montée en Amérique de toutes les formes de spiritualisme, dont les plus
douteuses, s’il n’avait pas rejoint la vaste cohorte des Born Again, ceux qui redécouvrent Dieu
et s’efforcent de justifier cette redécouverte en alignant des arguments
pseudo-scientifiques. Dieu merci, il n’en était rien. Ma philosophie moniste,
selon laquelle l’esprit et la conscience procèdent de la matière, s’est
trouvée renforcée, s’il en était besoin – il n’en était pas besoin – à la
lecture du livre. Il est vrai que si j’avais lu auparavant – ce que je
n’avais pas fait – The Minds’ I écrit
avec Daniel Dennett en 1981, Metamagical
Themas (1985) et Fluid
Concepts and Creative Analogies (1995), oeuvres précédentes de
l’auteur, je ne me serais pas inquiété de son éventuelle conversion. Certes,
dans I am a Strange Loop,
Douglas Hofstadter reste fidèle à sa façon d’inventer un vocabulaire et des
exemples analogiques censés éclairés la pensée mais qui selon moi ne
s’imposent pas et compliquent plutôt la lecture. De même, il agace un peu car
il est manifestement très naïvement imbu de lui-même et de son moi, même s’il
nous explique – j’y reviendrai- que le Moi est une hallucination. On ne peut
pas ignorer en le lisant à quel point il a été précoce, découvrant la
mathématique et la musique à l’âge ou les autres enfants lisent encore
Tintin. Mais le lecteur lui pardonnera ces petits accès de vanité en
considérant la sincérité qu’il met dans ses convictions altruistes et sa
grande bonne volonté à s’ouvrir aux autres. Il est par exemple strictement
végétarien, afin de respecter la vie des animaux susceptibles d‘héberger des
états conscients, fut-ce de façon fugitive. De même, il connaît et aime
l’Europe et les Européens, contrairement à beaucoup de ses compatriotes. Mais
c’est surtout sa très grande culture, littéraire, musicale et scientifique
que l’on admirera. Manifestement, aucune des avancées récentes des sciences
dites de la complexité, allant de la physique quantique à la biologie et aux
sciences cognitives, ne lui ont échappé. I am a Strange Loop en bref Ceci dit,
venons en à l’essentiel du livre. Le message principal qu’il comporte est le
refus de toute forme de dualisme, c’est-à-dire d’une idée selon laquelle (je
cite p. 357) « au dessus ou à côté des entités physiques gouvernées par les
lois physiques, existerait une Essence universelle, appelée « conscience »
qui serait une propriété de l’univers invisible, non mesurable, non
détectable, possédée par certaines entités et non par d’autres ». Il
reconnaît que cette Essence, proche de ce que les religions occidentales
nomment l’âme, est très séduisante. Elle est en accord avec nos perceptions
quotidiennes, selon laquelle il faut distinguer entre l’animé et l’inanimé
et, d’autre part, au sein du monde animé lui-même, entre le Moi et les
Autres. Douglas Hofstadter remarque à juste titre que si ce Moi conscient est
une émanation de Ce refus
du dualisme n’est pas pour nous d’une grande originalité, même s’il doit être
renouvelé devant les résurgences du spiritualisme dans les sciences et la
volonté d’explique l’inconnu par de mystérieuses essences extra-matérielles
renvoyant en fait aux descriptions archaïques du monde que proposent les
Ecritures et autres traditions se prétendant sacrées. Mais le livre va plus
loin. Il rappelle très clairement les hypothèses permettant de comprendre
comment la conscience humaine, forme apparemment plus « évoluée » de celle
déjà présente chez les animaux supérieurs, peut émerger chez les individus au
fur et à mesure que se construit leur corps et leur cerveau. Le tout en
interaction avec leur environnement physique, biologique et sociale. C’est à
une présentation et à une discussion rapide de ces hypothèses que nous allons
maintenant nous livrer. Nous
n’allons pas dans cet article faire une présentation du livre chapitre par
chapitre. Elle serait trop longue et inutile. Les lecteurs intéressés par
l’évolution de la pensée de Douglas Hofstadter doivent absolument se procurer
l’ouvrage et l’étudier en détail. Nous n’allons pas non plus commenter les
exemples de systèmes auto-réferrants donnés par l’auteur, notamment le trop
long chapitre consacré à la controverse Gödel-Russel, gagnée comme on sait
par Gödel dont le théorème éponyme est devenu un classique de la logique
moderne. Ces exemples sont certes intéressants mais ils obscurcissent nous
semble-t-il, plus qu’ils ne l’éclairent, la démonstration proposée par le
livre. D’ailleurs Douglas Hofstadter s’en est rendu compte et il a donné,
dans GEB comme dans ici, des exemples d’auto-références plus simples,
accompagnés de la façon de s’extraire des cercles vicieux produits 1). Nous
allons par contre nous efforcer de dégager le fil essentiel de l’ouvrage, qui
propose une argumentation très forte en faveur de l’explication
matérialiste-évolutionnaire des phénomènes de conscience et de l’apparition
du Moi. Cette argumentation est loin d’être originale, mais elle présente un
caractère stimulant du fait des arguments et exemples nouveaux fournis par la
réflexion personnelle de l’auteur. Elle ne convaincra sans doute pas les
dualistes spiritualistes, mais elle renforcera dans leurs convictions, face
aux offensives renouvelées de ces derniers, les monistes matérialistes
pouvant se sentir ébranlés. Précisons d’emblée un point de vocabulaire. Dans
cet article, nous traduirons le « I » anglais non pas par « Je » mais par «
Moi ». On sait que « I » en anglais peut avoir les deux sens. Il faut donc
selon le contexte distinguer le I sujet (I
do) et le I objet (I is a self-referent symbol). En français, on
peut plus facilement faire cette distinction, en utilisant le pronom Je pour
représenter le sujet (Je fais ceci) et le mot Moi pour représenter l’objet
(Dupont présente une hypertrophie du Moi). La thèse
de Douglas Hofstadter, sauf erreur d’interprétation, consiste à dire que
l’évolution darwinienne des êtres vivants, se déroulant sur le mode
hasard-nécessité, a fait apparaître, dans l’une de ses branches, des
organismes dotés d’un système nerveux central. Si ces organismes ont survécu
face à ceux, sans doute plus robustes, dépourvus de système nerveux centraux,
c’est parce que le système nerveux central et notamment le cerveau associatif
qui le couronne dans ses formes les plus achevées, leur ont rendu des
services justifiant le maintien et le renforcement de la fonction cérébrale.
Ceci est bien connu des biologistes évolutionnaires mais doit être rappelé. Les services rendus par le cerveau Quels
sont les services rendus par le cerveau, ou si l’on préfère, quelles fonctions
assure-t-il au bénéfice des organismes qui en dont dotés. On évoquera d’abord
la coordination sensori-motrice générale.
Le moustique, souvent cité par Douglas Hofstadter, dont le cerveau est très
rudimentaire, en est parfaitement capable, tout au moins dans certaines
limites. Cela lui a permis de survivre à travers les âges et lui promet
aujourd’hui, avec la hausse des températures globales, un bel avenir. La
deuxième grande fonction permise par le cerveau consiste à mémoriser tous les évènements vécus
par l’animal, de façon à ce qu’il puisse retrouver face à des situations
actuelles celles des recettes ayant réussi dans des situations précédentes.
On discute parfois les capacités de mémorisation, sous forme d’associations
neuronales stables 2) du cerveau humain, doté de 100 milliards de
neurones. Certains neuroscientifiques pensent que tout ce qu’a vécu
l’individu, depuis le stade embryonnaire, est effectivement inscrit quelque
part dans le système nerveux et pourrait être retrouvé. Le cerveau met donc à
la disposition des animaux qui en sont dotés des banques d’histoires
considérables, qui leur permettent de se rétrojecter plus ou moins
automatiquement dans leur passé, c’est-à-dire de s’inscrire dans un temps
historique (avec possibilité d’extrapolation vers un futur supposé). Il en
est de même évidemment au niveau des groupes, dont les individus bénéficient,
soit par la transmission génétique, soit par la transmission sociale, des
acquis individuels conservés par l’évolution du fait des succès de survie
qu’ils ont assurés. La
troisième grande fonction du cerveau consiste à globaliser et catégoriser ces
millions ou milliards de « mémoires partielles », en les classant par
catégories et en les désignant d’un terme spécifique. Il s’agit de proposer
ce que l’on pourrait appeler des macro-instructions permettant l’accès à des
classes de mémoires ou instructions élémentaires. Ce sont ces classes que
Douglas Hofstadter désigne globalement du terme de « symbol », qu’elles
soient ou non nommées par un terme spécifique dans le langage verbal.
Pourquoi ce travail de regroupement, classification et symbolisation ? Douglas
Hofstadter insiste sur le fait (au demeurant bien connu) que tout ce qui
concerne effectivement l’anatomie et la physiologie se situe au niveau cellulaire
voire atomique. A ce niveau règne un déterminisme parfait, analogue au
déterminisme grâce auquel l’interaction des molécules d’un gaz soumis à
pression dans une enceinte provoque l’échauffement dudit gaz 3)
Mais à ce niveau, le cerveau associatif n’apporte pas de valeurs
ajoutées spécifiques permettant d’améliorer les chances de survie de
l’organisme. Tout se passe en dehors de son contrôle (sauf peut-être lorsque
les neurones déclenchent la production de certains corps ayant un effet de
régulateur global). Le cerveau ne perçoit et ne traite que les phénomènes
macroscopiques de la vie courante. Seules donc l’intéressent les expériences
concrètes vécues par le sujet quand il explore le monde par essais et
erreurs. Ce sont les résultats de ces explorations que le cerveau associatif
mémorise, classifie et s’efforce de retrouver en cas de besoin. Pour
pouvoir les retrouver rapidement, le cerveau doit procéder comme le fait un
documentaliste quand il utilise des mots clefs généraux du type “Politique”
“Economie”, “Sciences”. Ainsi le cerveau du chien, comme celui de l’homme,
mémorisera plusieurs dizaines ou centaines de macro-catégories, telles que «
tout ce qui est bon à manger » et « tout ce qui est susceptible de comporter
une menace ». Dans tous les cas, il s’agit d’ensembles stables ou
relativement stables de collections de souvenirs eux-mêmes constituées
d’associations de neurones. Evidemment, il n’existe pas de documentaliste
dans le cerveau qui classerait de façon rationnelle les souvenirs pour les retrouver
au plus vite et de façon la plus pertinente possible face aux exigences de la
compétition darwinienne. La définition des catégories, de leurs contenus, de
leur ordre de préséance s’est faite au long des millénaires puis au long de
la vie de l’animal, de sorte que ne sont conservées que les informations et
les macro-catégories ayant le mieux contribué à la survie. De même
nul n’a décidé de donner des noms aux différentes catégories. Par la force
des choses cependant, elles se sont trouvées “marquées” dans le cerveau, au
cours de l’évolution, d’une façon permettant de les retrouver facilement. On
ne connaît pas le détail des procédures assurant la recherche en mémoire des
informations pertinentes. On sait par contre que lorsqu’un chien perçoit une
odeur de nourriture, il se comporte différemment de ce qu’il fait quand il
croît entendre un cambrioleur. Et ceci avec des temps de réponse courts. On
peut donc penser que la perception sensorielle primaire active non seulement
des réflexes primaires mais des souvenirs personnels à l’animal, lesquels
entre en compétition dans ce que l’on appelle encore l’espace de travail
conscient pour piloter le comportement en sortie le plus approprié. On
pourrait ajouter que tout ce qui est décrit ici relève de la conscience
primaire, présente chez l’homme et chez sans doute la plupart des animaux
dotés de système nerveux central. Elle est d’ores et déjà observable
également chez des robots équipés de systèmes suffisamment performants de
capteurs et d’effecteurs 4). Une quatrième
fonction du cerveau n’est accessible qu’aux organismes dotés d’une complexité
suffisante (certains animaux dits supérieurs et bien évidemment l’homme).
Elle se traduit par l’apparition de la conscience de soi ou conscience dite
supérieure. Elle repose sur la capacité
qu’à le cerveau d’observer une partie de son fonctionnement et
du fonctionnement des organes relevant de la commande volontaire. Douglas
Hofstadter consacre de longs développements aux boucles physiques de
récursion fréquentes dans les machines modernes (par exemple la caméra qui
filme l’écran sur lequel apparaît ce qu’elle filme). Les boucles biologiques
de récursion sont innombrables et bien plus complexes. (sécrétion d’une
hormone suscitant l’appétit en cas de baisse du niveau de sucre détecté dans
le sang, par exemple). Douglas Hofstadter ne les étudie guère et c’est
dommage, car ces mécanismes bien décrits par notre ami le médecin
physiologiste intégrateur Gilbert Chauvet, permettraient
aussi d’expliquer comment certains neurones ou groupes de neurones en sont
venus à s’observer au moment où ils observaient les autres ensembles
neuronaux s’activant à l’appel des sollicitations extérieures. Diverses
hypothèses sont actuellement suggérées pour décrire les mécanismes
neurologiques permettant à certaines parties du cerveau de s’activer à
l’occasion de l’activité d’autres parties du cerveau, ainsi que les
conséquences pouvant en résulter sur l’activité globale ou finale du cerveau
et du corps lui-même. On a évoqué l’existence de neurones miroirs. Mais peu
importe pour ce qui nous concerne. Quel que soit le mécanisme
d’auto-observation ou de récurrence au sein du cerveau, on peut sans risque
faire l’hypothèse que ce mécanisme existe bien, puisque les résultats de son
activité se constatent en permanence. C’est lui que Douglas Hofstadter
désigne du terme (lui-même étrange), de boucle étrange (strange loop) et dont l’importance est
primordiale dans l’étude du Moi dit conscient puisque c’est lui qui fonde ce
dernier. La boucle produit un résultat. Elle modifie, sous l’influence du
macro-concept Moi, l’entité neurologique observée, d’une façon complexe,
imprévisible mais certaine. C’est en ce sens que l’on peut parler des effets
moteurs de la conscience (ou de la prise de conscience, pour parler comme les
psychanalystes). D’une façon générale, de nouveaux éléments de complexité ou
de variabilité sont apportés dans le cadre de boucles antérieurement fermées
sur elles-mêmes. Le comportement global du sujet s’en trouve nécessairement
influencé. Ceci est particulièrement vrai lorsque la prise de conscience
s’organise autour des macro-informations représentant dans le cerveau
l’expérience globale et historique du sujet, autrement dit autour du concept
de Moi. Comment
ceci peut-il se faire ? Nous avons vu qu’un animal, même lorsqu’il n’est pas
capable de conscience supérieure, utilise les macro-instructions ou
macro-catégories correspondant à des situations mémorisées du fait de leur
importance pour la survie. Il sait sans difficulté retrouver tout ce qui
concerne sa nourriture, les partenaires sexuels, les prédateurs. Mais il le
fait sans classer toutes ces informations dans la macro-catégorie de « Tout
ce qui concerne mon organisme face à la faim, aux besoins de reproduction,
aux prédateurs ». Pour un humain au contraire, la complexité de son cortex
associatif lui a permis de constater que l’essentiel des informations
mémorisées dans son cerveau avaient trait à la survie de son organisme. Par
ailleurs, il avait déjà, disposant du langage, donné des noms aux
macro-catégories essentielles à sa survie : nourriture, partenaire sexuel,
prédateur. Il était donc tout à fait normal qu’un nom émerge pour représenter
l’organisme global en lutte pour sa survie dans le vaste monde. Ce fut le
Moi, c’est-à-dire l’entité symbolique globale ou macro-macro-catégorie qui
donnait leur sens aux macro-catégories de niveau inférieur Mais dès
ce moment, du fait des phénomènes d’emballement qui peuvent affecter les
boucles récursives, bien décrits par Douglas Hofstadter, le concept de Moi
allait jouer un rôle de plus en plus important, en permettant de réorganiser
de façon plus systématique et plus performantes toutes les connaissances
acquises expérimentalement par l’espèce et l’individu. Comme cette
réorganisation entraînait des conséquences favorables à la survie de
l’individu et de l’espèce, elle ne pouvait que se poursuivre sans limites
autres que de fait. Le Moi s’est donc développé, au-delà parfois du
raisonnable. Pour les mêmes raisons, comme il devenait associé à toutes les
décisions que prenait de fait l’individu, en réponse aux déterminismes
d’ailleurs complexes qui le conditionnaient, le sujet a eu tendance à penser
que c’était le Moi qui décidait, et qui plus est, qu’il décidait librement. La
cinquième fonction du cerveau, qui semble comme la précédente réservée aux
humains, est simplement évoquée par Douglas Hofstadter (alors qu’à notre avis
elle est excessivement importante). Il s’agit de la capacité d’halluciner le contenu du Moi.
Pour notre auteur, comme pour d’ailleurs de nombreux cogniticiens, le Moi, au
moins dans ses principales dimensions, est le produit d’une hallucination.
Mais qu’est-ce qu’une hallucination ? On associe ce terme à la propriété
qu’ont certains cerveaux ayant perdu le sens du réel de générer des images ou
des personnages que le sujet halluciné considère comme existant
véritablement. A ce niveau, c’est un dysfonctionnement pouvant entraîner la
mort. D’une façon beaucoup plus générale et inoffensive, voire utile, le
cerveau peut, quant il organise les informations sensorielles afin de
construire des images du « réel » qui l’entoure, projeter dans ce réel
reconstruit des propriétés qui n’existent que pour lui et qui n’intéresseraient
pas nécessairement d’autres sujets – à l’exception de ceux qui partageraient
la même hallucination. Ainsi je peux « halluciner » autour de représentations
du chef de l’Etat, de l’être aimé, de ma voiture, de la pollution, de la
crise mondiale, de Dieu ou de tous autres objets ou catégories que je suis
conduit à découper de facto dans le monde, au cours de mon existence
quotidienne. Les
animaux, même supérieurs, à moins de les droguer, ne semblent pas capables de
telles hallucinations. Un chien ressent son maître tel qu’il se manifeste
effectivement à lui et non tel qu’il pourrait l’imaginer dans une sorte de
délire exalté. Chez l’homme au contraire, cette faculté d’hallucination,
projetée sur ce qui l’entoure, est à la source de tous les mythes, de tous
les dépassements, de toutes les folies. Elle a sans doute été sélectionnée
par l’évolution parce qu’elle était utile. Le concept de Moi n’y échappe
évidemment pas. Lorsque le sujet se comporte de façon non hallucinatoire, il
prend les décisions qui lui imposent les circonstances, analogues à celles
que prendrait un animal dans une situation semblable (par exemple traverser
une rue en regardant à gauche et à droite, ce que les animaux familiers
savent faire). Lorsqu’il est sous l’emprise d’une image halluciné de son Moi,
il peut faire n’importe quel exploit, tel arrêter à lui tout seul une colonne
blindée…ou n’importe quelle folie, telle que se précipiter sous un autobus. Le Moi de Douglas Hofstadter face au Moi des spiritualistes On voit
alors que le Moi ainsi défini 6) présente différents caractères qui en
font l’antinomie de ce que les spiritualistes appellent le Moi conscient et
libre, propriété qui est pour eux conférée aux hommes par Dieu pour les distinguer
des animaux et plus généralement de la matière ?
On peut
cependant parler de Moi collectif, émergeant au sein des groupes. Mais cela
n’est pas en contradiction avec ce qui précède, car ces Moi(s) collectifs
sont produits par la collaboration de Moi(s) individuels 10) . Conclusion Nous
pourrions pour terminer cette analyse retenir la conclusion de Douglas
Hofstadter. La façon de voir le monde et la conscience qu’il nous propose (et
qui plus généralement inspire la science matérialiste) ne doit pas être
source de désespoir ou de désenchantement. Elle apporte, nous dit-il dans la
dernière page de son livre, une façon plus subtile et plus profonde de
comprendre ce que c’est que d’être humain «
a deeper and subtler vision of what it is to be human ». Nous
pourrions dire la même chose de la description du cosmos que donne la science
matérialiste moderne : une façon plus subtile et plus profonde de comprendre
ce qu’est l’univers, au regard des descriptions simplistes et aliénantes
qu’en donnent les religions. Notes publié par JP Baquiast dans: philoscience |
Calendrier
Recherche Archives §
Mai 2007 §
Mai 2006 |
||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
|
partager ses idées sur over-blog.com - Contact -