Si Bertrand Delanoë levait franchement le tabou qui plane sur les tours parisiennes, ce pourrait être le type d’immeuble qui pousserait en bordure de Paris, exception faite de l’architecture « vintage ». Culminant à 137 mètres, la tour Défense 2000 brise tous les tabous liés à la hauteur.
La plus haute tour d’habitation de France n’a cependant jamais connu un grand succès. Un destin assez banal dans la capitale (plus de 60% des Parisiens se disent opposés à la construction de tours), que les habitants entendent bien changer, pour redonner à leur immeuble ses lettres de noblesses.
En son temps, le bâtiment a pu être « bling bling », « tape à l’œil » ; mais, vu avec les critères esthétiques d’aujourd’hui, c’est un bloc de béton sans charme, qui détonne dans le paysage rutilant du quartier de la Défense. Une façade bigarrée, d’ailleurs, au grand dam de ses habitants qui ne parviennent pas harmoniser leurs couleurs de rideaux.
A l’entrée, le gardien vous jette un regard distrait, pour mieux vous suivre ensuite sur ses écrans de contrôles. A Défense 2000 [1], pas besoin de digicodes, une kyrielle de caméras scrutent vos allées et venues. C’est sans doute ce qui en fait une habitation « haut standing » pour ses propriétaires.
La tour n’attire pas les foules, « les gens ont peur »
Les agents immobiliers, eux, ne se risqueraient pas à ajouter à leur catalogue un appartement de la tour pour un prix de 5 000 euros le mètre carré, la moyenne dans la commune de Puteaux. Ici, les logements tournent plus autour de 3 700 euros le mètre carré. La tour n’attire pas les foules. « Trop haute », explique-t-on dans un cabinet immobilier, « les gens ont peur ».
Construit dans les années 70, l’immeuble s’élève telle une girafe entre le quartier d’affaire de la Défense et Puteaux, à l’ouest de Paris. « Michel Proux, notre architecte, s’est inspiré de la Chase Tower [2] [photo ci-dessous] de Chicago » raconte Nathalie, une habitante qui connaît sa tour dans les moindres détails.
Mais Paris n’est pas Chicago. Dès le départ, les gens ne s’y sont pas précipités. Rares sont aujourd’hui ceux qui s’y installent durablement. Le quartier d’affaires draine beaucoup de cadres moyens et supérieurs, mais peu de gens ayant fait le choix de vivre « en tour ». Pourtant, les aficionados existent.
C’est le cas de Nathalie, architecte d’intérieur, qui a élu domicile au 45e étage de Défense 2000. Aussi loin qu’elle se souvienne, elle a toujours habité dans une tour ; du HLM de son enfance aux tours de Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement de la capitale.
Alors que ces dernières tentent de trouver un nouveau souffle dans un projet de centre commercial [3], Nathalie a choisi de quitter le centre pour la tour un peu désuète qu’est Défense 2000. Car ici, à la limite de Paris, la vue est imprenable : à 180 degrés pour un appartement de 140 mètres carrés.
De même que la hauteur renforce son sentiment de sécurité (déjà bien éprouvé par l’investissement consenti en charges - environ 300 euros pour un 50 mètres carrés), Nathalie explique que la vue est une source de sérénité exceptionnelle. A condition de la laisser dégagée.
Couloirs aux néons violets et interrupteurs au ras du sol
Elle nous reçoit dans son appartement du dernier étage. Pour y accéder, une longue montée en ascenseur… (Ecoutez le son, durée : 6 mn 20 s)
« Renverser la vapeur » pour mieux valoriser les tours, les habitants de Défense 2000 s’y attèlent. En plus de trente ans d’existence, la tour a été rebaptisée trois fois : « PH3 » (pour Puteaux Habitation 3), « Défense 2000 » et plus récemment « TD2K ».
Comment sortir du kitsch années 70 qui les envahit, des couloirs tamisés de néons violets aux interrupteurs posées à 50 cm du sol ? La tour a subi récemment un important ravalement. Les ascenseurs sont depuis peu en conformité avec les normes de sécurité [4] prévues par la loi Robien. Enfin, la pose de panneaux solaires est à l’étude ; de quoi amadouer les détracteurs écolo de l’habitat en tour.
Une maternelle au rez-de-chaussée et 27 nationalités dans l’escalier
Ils sont une poignée à croire dans le renouveau de leur tour à la faveur des projets en cours à la Défense et des ambitions de Delanoë pour la Capitale. Selon Nathalie, la tour Signal [5] de l’architecte Jean Nouvel pourrait apporter un peu d’animation à un quartier, qui ne vit que par les activités de la commune de Puteaux.
Et si le maire de Paris n’ose pas encore parler de tours, le terme étant réservé aux constructions de plus de 100 mètres de haut, le débat initié début juillet pour dépasser le plafond des 37 mètres du Plan local d’urbanisme lui semble aller dans la bonne direction.
Sur le nouveau site Internet de Défense 2000, les quelque 700 habitants peuvent publier des petites annonces et échanger sur un forum. Une façon de créer du lien dans ce village vertical, auquel la présence de 27 nationalités donne d’ailleurs plus des allures de tour de Babel.
La maternelle du rez-de-chaussée est un autre point de rencontre, cette fois plus réel lorsque les parents viennent y chercher leurs enfants. Paradoxalement, les aficionados de la vie en tour poursuivent le rêve solitaire de contempler leur vue en toute sérénité, et les architectes s’escriment à leur donner des gages de vie en communauté.
Photos : Peggy Corlin. Photo de la Chase Tower de Chicago : Jeremy Atherton.
Liens:
[1] http://www.tourdefense2000.net/
[2]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Chase_Tower_(Chicago)
[3]
http://www.lenouveaubeaugrenelle.com/
[4]
http://www.justice.gouv.fr/bulletin-officiel/6-dage96e.htm
[5]
http://www.linternaute.com/paris/urbanisme/photo/jean-nouvel-construira-la-tour-signal-de-la-defense/la-tour-signal-de-jean-nouvel-verra-le-jour-a-la-defense.shtml