Médias 22 oct. 6h51

Du cran à l’écran

portrait

Audrey Pulvar. Présentatrice du «19/20» de France 3, cette Martiniquaise de 36 ans est l’une des rares journalistes connues à avoir défilé contre la réforme du service public.

6 réactions

CORDELIA BONAL Photo jérôme Bonnet

Il y a cette phrase souvent entendue et qu’à 36 ans, elle a renoncé à comprendre: «T’es vachement sympa en fait !» Le genre de réflexion qui pourrait passer pour un compliment, n’était le «en fait» et le ton surpris. «Sympa», sous-entendu pas comme la Audrey Pulvar de la télé, tout en demi-sourires, tellement dans la retenue qu’on la croit détachée, tellement pro qu’on la croit hautaine.

Dans le café de la porte d’Auteuil où on la retrouve, à deux pas de l’école où elle vient de déposer sa fille et à quelques stations de bus de France 3 où l’attend une réunion sur l’Afghanistan, la version sympa l’emporte. Chaleureuse, franche, le contact facile. Le sourire rare, c’est vrai, mais spontané. Et un humour qu’elle prétend «à deux balles». Pour le reste, même voix posée, même regard direct, même assurance tranquille qu’au 19/20 de France 3, où elle entame sa quatrième année. Son image un peu austère, «réfrigérante-chignon laqué» - c’est elle-même qui le dit, citant un article - Audrey Pulvar (qui n’est pas adepte du chignon) cherche à peine à lutter contre. «Je sais que c’est ce que je dégage, mais ce n’est pas la réalité.» La proximité, la chaleur, elle «y travaille». Sans forcer le trait : «C’est pas non plus le café du coin.» En décalage avec un microcosme audiovisuel tutoyeur, sa distance en a déconcerté plus d’un. «Au début, on a pu croire au syndrome grosse tête. En fait, c’est une forme de timidité, qu’elle oublie complètement à l’antenne», dit son rédac chef, Jean-Jacques Basier, qui bénit le calme à toute épreuve de cette «femme de dialogue». «Je ne l’ai jamais vue paniquer, jamais une saute d’humeur, c’est un animal à sang froid.»

Jouer la carte du professionnalisme plutôt que celle la séduction, donc. A fortiori quand on interviewe Nicolas Sarkozy, comme ce 30 juin. «Avec lui, si vous souriez, vous rentrez dans son jeu, vous êtes foutu», dit-elle. Pour seule méthode, l’attaque. Ce soir-là, Sarkozy arrive énervé par une manifestation de salariés de France 3 contre le projet de suppression de la pub dans le service public, présenté, le matin même, en Conseil des ministres. Audrey Pulvar, elle, arrive shootée à la cortisone pour cause de rhume des foins persistant. Ces deux-là n’en sont pas à leur premier échange. Ses entretiens musclés avec le ministre de l’Intérieur puis le candidat n’étaient déjà pas passées inaperçues. Pour le troisième round, elle ouvre franchement les hostilités. «A combien d’arrestations et contrôles d’identité faut-il procéder pour expulser 25 000 personnes par an ?» Il répond à côté, tergiverse. Elle revient à la charge. Une fois, deux fois. «Je comprends que ce sujet vous touche, il me touche aussi», finit-il par lâcher. Troublant. Et elle de répondre aussi sec : «Oui, en tant qu’être humain.» Lui : «J’ai aussi un cœur.» Audrey Pulvar n’aura pas sa réponse, mais elle aura marqué des points. L’audience du 19/20 a grimpé de deux points depuis l’interview (à 22 % de parts d’audience), et sur le forum de France 3, on loue la pugnacité du soldat Pulvar.

Journaliste de gauche, Audrey Pulvar ? Ça l’agace. «Qu’est-ce que ça veut dire journaliste de gauche ? On est journaliste ou on ne l’est pas. Je fais mon boulot, je pose des questions. J’ai une carte de presse, j’ai aussi une carte d’électeur, et je m’en sers. L’essentiel est de faire le distinguo entre les deux.» Reste que, dans le mouvement contre la réforme du service public, on l’a vue très mobilisée, d’autant plus remarquée qu’elle était l’une des rares têtes connues - sinon la seule - à battre le pavé. Là encore, le terrain politique à distance. «Ce n’est pas être pour ou contre Sarkozy. C’est être vigilant, défendre la capacité pour une chaîne de faire des sujets à l’étranger ou des spéciales ambitieuses.» Comme l’émission politique qu’elle se verrait bien animer un jour.

Droguée de l’info mais pas enfant de la télé. Petite, en Martinique, les week-ends se passent à courir pieds nus dans la ferme des grands-parents. La semaine, à Fort-de-France, elle baigne dans la culture. Dans les années 70, on ne diffuse qu’une chaîne et la presse nationale est quasi inexistante, mais dans la maison familiales livres et journaux ne manquent pas. Le père y veille. Prof de maths, abonné à l’Obs et aux Temps modernes, cette figure locale a fondé le parti indépendantiste martiniquais la Parole au peuple. Son militantisme lui vaudra quelques mois de préventive pour une manif agitée. Sa mère est assistante sociale. Les parents sont séparés, mais c’est une «enfance heureuse». A 13 ans, Audrey Pulvar lit beaucoup, écoute d’une oreille les débats politiques et hésite entre devenir publicitaire ou journaliste. Et puis un jour, Christine Ockrent au JT de la Deux. «Elle avait une présence incroyable, ce fut un choc.» C’est décidé, ce sera journaliste. «Pas présentatrice, journaliste.» A 14 ans, «crise d’adolescence costaude», on l’expédie chez une tante à Paris, où vivent déjà ses deux sœurs aînées. Rude transition entre le cocon familial martiniquais et la rue de Buci, en plein VIe arrondissement et en plein hiver. Elle se réfugie dans le travail, ses notes remontent en flèche. Un Deug, une école de journalisme, et retour en Martinique à ATV, la chaîne antillaise. Elle y reste huit ans, d’abord reporter puis présentatrice.

De nouveau, la métropole en 2002, à LCI, TV5 et enfin France 3, en locale à Marseille puis, en 2005, à la présentation du Soir 3. Une première pour une présentatrice noire. Pendant deux mois, on scrute les premiers pas de cette inconnue. Déluge d’interviews, avec toujours cette même question : «Qu’est-ce que ça vous fait d’être la première femme noire à présenter un JT ?» Ou, version raccourcie : «Qu’est-ce que ça vous fait d’être noire, d’être un alibi ?» Sa réponse, hier comme aujourd’hui : «Je sais d’où je viens, je suis noire, créole caribéenne, martiniquaise. Ça a peut-être compté dans mon recrutement , à LCI par exemple. Mais après, on doit montrer qu’on mérite notre chance en faisant plus que les autres.» Un marché «pas très équitable». Paul Nahon, qui l’a recrutée pour le 19/20, se «fiche pas mal de sa couleur de peau. Elle est intelligente, dynamique, elle ne joue pas les vedettes, c’est ça qui a compté». Porte-drapeau malgré elle d’une communauté noire largement sous-représentée dans les médias, l’entrée en scène d’un Harry Roselmack capteur d’attention n’a pas été pour lui déplaire.

Quand elle n’est pas à l’antenne, Audrey Pulvar regarde les autres JT, cuisine pour sa fille de 11 ans (prénommée Charis en hommage à une héroïne de William Boyd), dont le père est rentré en Martinique. Elle lit (Gabriel Garcia Márquez, John Irving, Toni Morrison, William Faulkner), écoute du jazz. S’il reste du temps, elle écrit. Un deuxième roman est en préparation après l’Enfant-Bois, paru en 2004. Une plongée dans les affres de l’exil et du désamour familial, entre un Londres glaçant et une Martinique puits de nature. Noir de bout en bout. Un exutoire ? «Sans doute. Une violence que j’ai encore en moi aujourd’hui. Peut-être parce que, chaque soir, je suis touchée par les choses dont je parle.» Lointaine, elle peut accepter. Mais blasée, «jamais».

Vos commentaires

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dédé
ça nous change...
Très pro, Audrey. ça nous change des blondasses, bimbos de l'info. ..
Vendredi 24 octobre à 22h22
sandro
The best
Je ne savais pas qu'elle écrivait un autre bouquin! Félicitations ma Audrey, vous allez faire des jalouses!!! je vous adore, vous êtes la meilleur, vous êtes professionel c'est ce qui vous distingue de vos consoeurs!!! Il ne suffit pas comme certaines journalistes d'apparaitre dans la pres...
Jeudi 23 octobre à 22h20
Journaliste france 3
exact
Je suis journaliste a France 3, je ne connais Audrey Pulvar pas plus qu un telespectateur, mais je me souviens que lors des manif pour defendre NOTRE, VOTRE, service public... ELLE (la seule !!!), etait la... Une "star" au milieu des gueux... Rien que pour ca, et pour son idee d un certain journ...
Jeudi 23 octobre à 10h48
toulousain
bravo
à libé pour cette interview et Audrey pour son talent et son professionnalisme. Deux choses rares de nos jours dans le PAF..
Mercredi 22 octobre à 18h42
meranda
Audrey Pulvar
Une journaliste qui respire l'intelligence . Personnalité opiniâtre ,discrète et indépendante . Elle semble avoir les pieds sur terre et ne faire parti d'aucune cour ,comme certaines présentatrices de J.T.
Mercredi 22 octobre à 18h34
Pistranias
La déontologie d'une grande journaliste.
Audrey Pulvar fait partie des journalistes qui ont des convictions saines. Elle assume ce qu'elle est et ce qu'elle dit. En tant que téléspectateur, je préfère un (e) journaliste qui n'a pas toujours le sourire béat, mais qui fait simplement son travail conscencieusement. On espère qu'elle ...
Mercredi 22 octobre à 18h22

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