Société 28 nov. 6h53

Doublement fier

portrait

Louis-Georges Tin. Mariage gay et action positive : ce normalien de 34 ans milite aussi bien pour les Noirs que pour les homos. Génération Pacs et Obama à lui seul.

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CECILE DAUMAS Photo BRUNO CHAROY

L’élection de Barack Obama fut, pour lui, un moment aussi joyeux que triste. Au petit matin, après une nuit passée entre champagne et petits fours auprès de décideurs noirs, Louis-Georges Tin savoure le précédent historique. Mais le défenseur de la question homosexuelle qu’il est aussi est effondré. «En Californie, 70 % des Noirs ont voté contre le mariage gay lors d’un référendum local organisé le même jour. Quelle tragique ironie.» A 34 ans, ce normalien, professeur de littérature, condense à lui seul le questionnement identitaire qui travaille la France d’aujourd’hui. Noir et homosexuel, il est à la fois issu de la génération Pacs et de celle d’Obama. En 2005, il lance la Journée mondiale contre l’homophobie, célébrée le 17 mai. La même année, il participe à la fondation du Cran, le Conseil représentatif des associations noires, qui fédère les Noirs de France. Lui, le militant homosexuel, devient leur porte-parole. Fierté gay et noire à la fois.

«Au départ, on voulait appeler notre mouvement la Fédération noire. Mais cela faisait FN. Un peu gênant, non ?» Dans son deux pièces cuisine perché dans un vieil immeuble de la Bastille, à Paris, Louis-Georges Tin parle d’une voix aussi onctueuse que ses marottes revendicatives sont explosives : mariage gay, statistiques ethniques, action positive, il est pour. Avec son costume sombre, son ventre rebondi et sa fine moustache, il ressemble davantage à un sénateur établi qu’à un militant énervé d’Act Up. «Je suis très pragmatique», dit-il tout en proposant une tisane en sachet. Pas de vindicte victimaire mais la volonté de replacer la question des minorités au cœur des institutions. Aujourd’hui, il bataille pour une dépénalisation de l’homosexualité au niveau de l’ONU. Hier, il jouait de son carnet d’adresses pour inaugurer le Cran dans une salle de l’Assemblée nationale. «Nous ne sommes pas moins républicains et français que les autres», dit-il.

Louis-Georges Tin aime les outils traditionnels de la politique, pétition, fédération ou journée mondiale, mais les pimente toujours d’arguments polémiques. C’est lui, avec l’actuel président du Cran, Patrick Lozès, et l’historien Pap Ndiaye, qui propose de s’approprier politiquement le mot «noir». Le terme suscite malaise et soupçon de communautarisme. Louis-Georges Tin justifie : «On ne peut pas lutter pour les femmes sans dire "femme". Le mot "noir" permet de faire voir ce qu’on ne voit pas. Il ne s’agit pas d’une question de race mais de réalité sociale. Etre noir, c’est être perçu comme tel, à travers le regard de l’autre, potentiellement discriminant.» Et d’ajouter, un brin fanfaron : «L’antiracisme existait, mais les Noirs n’existaient pas. J’ai aidé le mouvement noir à faire son coming out.»

Ado, il se souvient d’avoir suivi à la télévision la libération de Mandela. Ses parents, professeurs de gauche, l’emmènent voir des comédies musicales sur l’apartheid. Ils vivent près de Rivière-Salée, en Martinique, entre les poules qu’ils élèvent et le jardin qu’ils cultivent. Jusqu’à son départ pour la métropole à l’âge de 17 ans, il ne parle à personne de son attirance pour les garçons, pas même à son meilleur ami. «Je ne savais pas si mes parents étaient homophobes, je ne pouvais pas prendre le risque. J’étais dans une stratégie de survie.» Il masque cette très longue solitude en jouant les bons fils, excellent à l’école, «ouvert et joyeux». A 19 ans, une fois installé à Paris, il dit son homosexualité à sa famille. Sa mère pleure et se réfugie dans un cercle de prières. Son père ne cesse, depuis, d’être fier de ses engagements.

En dix ans, Louis-Georges Tin est devenu une figure réformatrice du militantisme gay et noir. Le Cran s’est imposé, non sans critiques et accusations d’élitisme, comme représentant officiel de la condition noire, à l’opposé des diatribes de Dieudonné. Au lendemain de l’élection d’Obama, une délégation, dont faisait partie Louis-Georges Tin, a été reçue à l’Elysée. Même s’il est homme de gauche - proche des Verts, il a voté Ségolène Royal à la dernière présidentielle -, le porte-parole du Cran a le talent - ou le défaut diront certains - de savoir travailler avec la droite. Hier Roselyne Bachelot, aujourd’hui Rama Yade, sur la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde. «Nous avons une relation de confiance», confirme le cabinet de la secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme. «C’est un franc-tireur consensuel, résume Ursula Del Aguila, journaliste au magazine gay Têtu. Il sait arrondir les angles.» Louis-Georges Tin aime par-dessus tout convaincre, et avec le sourire, ceux qui ne sont pas de son avis. Il se verrait bien, un jour, entrer en politique. «Nous sommes en France les monsieur Jourdain de la discrimination positive, dit-il. Donner des moyens supplémentaires aux ZEP ou instaurer un impôt dégressif, ce n’est rien d’autre que de la discrimination positive.»

Après le poète Aimé Césaire, il est le deuxième Martiniquais à intégrer l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. C’était en 1993. «J’étais le seul Noir en classe préparatoire lettres classiques au lycée Henri IV, à Paris. Il y en avait quelques-uns en sciences et beaucoup en cuisine.» Passionné par les discussions sur le Pacs, il publie en 2003 le Dictionnaire de l’homophobie. La sortie de l’ouvrage est saluée d’une pleine page dans le Monde des livres. «Ce fut mon plus grand bonheur et mon plus grand malheur», se souvient-il. Une semaine plus tard, un poste de professeur dans une prestigieuse université devait lui revenir, à lui, reçu quatrième à l’agrégation. Devenu trop politique et trop voyant selon les belles-lettres françaises, il est écarté. « Le Dictionnaire de l’homophobie lui a coûté cher, confirmeun de ses professeurs à Normale sup, le sociologue Eric Fassin.Avec toutes les cartes qu’il avait en mains, il était promis à une belle carrière.» Aujourd’hui, Louis-Georges Tin enseigne à l’IUFM d’Orléans. Il vient de publier aux éditions Autrement, où il est directeur de collection, un livre pied de nez sur l’Invention de la culture hétérosexuelle. A l’image du «problème de l’homosexualité», il ausculte l’hétérosexualité et montre comment cette culture omniprésente, loin de s’imposer naturellement, s’est construite à partir du XIIe siècle. «Avant de devenir la norme, le couple homme-femme a été longtemps contesté, notamment par les traditions chevaleresques et l’exaltation de l’amour viril.»

Intellectuel engagé ou universitaire militant, Louis-Georges Tin court après le temps et les combats, quitte à s’éparpiller. «Longtemps, j’ai très peu dormi», dit-il. Aujourd’hui, il retourne au ciné avec son compagnon, artiste espagnol avec qui il cosigne un blog hébergé par Libération. Ou bien regarde Oz à la télé, un ordinateur sur les genoux. Son appartement est aussi bordélique que sa tête est bien rangée. Sa mère se désespère de le voir porter des chemises non repassées. Lui poursuit cette promesse faite durant l’enfance de réaliser pour les autres ce qu’il aurait aimé qu’on fasse pour lui. «Je ne suis ni universaliste, ni communautariste mais les deux à la fois. Vieux, jeunes, femmes, juifs, banlieusards ou provinciaux, la plupart d’entre nous ont connu l’expérience de la minoration. Qu’on laisse chacun construire librement son identité.»

Vos commentaires

1 commentaire affiché et 0 en attente de modération.

nico92
Bravo
Quel beau portrait ! Louis-Georges Tin, le nouvel Obama français ?
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