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Jacques AttaliLa
semaine dernière lors de la conférence South by Southwest (Austin, Texas), le rédacteur en chef de Wired, Chris Anderson, l'auteur du concept de
Il
soutient qu'avec l’internet, une nouvelle gratuité s’est développée, (de la
musique, aux jeux en ligne en passant par les logiciels). Une gratuité fondée sur des coûts de reproduction
quasi-nuls du fait de la numérisation, et sur l’intensité de la concurrence. Et
selon lui, "Si vous ne rendez pas
votre produit gratuit, le piratage le fera pour vous".
De
plus, l’Internet favorise l'économie du don de son propre savoir, que
l'on voit fleurir sur Wikipédia. Mais, ajoute-t-il, cela ne concernera pas
qu’internet : Les produits et services autour de nous deviennent chaque
jour moins coûteux, notamment à cause de la pression de
Ce qui
appelle à une nouvelle forme d’économie.
Or, constate-t-il, "J'étais
sidéré de voir qu'il n'existait pas de modèle économique de la gratuité".
Et il est intéressant d’examiner ceux qu’il propose :
· D’abord, évidemment, la publicité,
premier modèle de la gratuité, utilisé
depuis un siècle pour la radio, avec celui de la contribution collective, sous
forme de redevance ou de licence globale.
· Puis, le modèle
"freemium" qui consiste à distribuer
une version gratuite grand public
d’un produit, couplée à une version payante, plus évoluée, pour un
marché de niche. FlickR propose ainsi
de passer à un modèle d"upgrade" payant. Anderson cite
aussi les jeux en ligne (Club Penguin, Neopets, Second Life et d'autres
jeux de rôle comme Maple Story) qui ne
proposent qu'une infime partie de leurs jeux sous accès payant. "Si
5% des joueurs acceptent de payer, cela
assure la rentabilité d'un produit",
et, "au- delà de ce ratio,
c'est du pur bénéfice".
· Autre modèle économique, celui des “subventions croisées”, qui consiste à
offrir gratuitement un produit pour
inciter le consommateur à en acheter un autre : un téléphone et des
communications gratuites en échange
d’un abonnement pour les données ; un rasoir en échange de lames. Demain, peut etre, de la même façon, on
recevra gratuitement des ordinateurs et on paiera des logiciels, des conseils
pour les utiliser et des abonnements internet ou pour des jeux en ligne.
· Enfin, soutient-il, "il faut utiliser le piratage comme une forme
de marketing.", pour monétiser la célébrité des auteurs des
produits. Anderson donne l’exemple
de l'industrie musicale, où les
artistes peuvent monétiser leur
popularité, grâce à des apparitions dans des spots publicitaires, au cinéma ou
dans l'organisation de concerts. Ce modèle, pour lui, s’appliquera au cinéma,
et à bien d’autres secteurs, dont la littérature.
Lui-même
est décidé à offrir gratuitement son livre, « non pas en version papier mais en version numérique »,
convaincu que plus de 5% des lecteurs numériques voudront payer pour acheter le livre papier, revenu auquel
s’ajoutera la rémunération de ses conférences. C’est évidemment un tout autre
modèle de l’économie du livre que celui d’aujourd’hui. Qui conduira à devoir
protéger les libraires, si nécessaires à la lecture.
Et plus
généralement à repenser l’équilibre
d’un grand nombre de secteurs, qui devront mêler gratuité et paiement de
produits annexes. Il faudra aussi évidemment éviter que la gratuité ne soit
qu’une arnaque, qui ferait payer bien plus cher le produit d’accompagnement que
n’aurait couté le produit supposé
donné. Comme c’est souvent le cas par
exemple avec le crédit dit « gratuit ».
Anderson
a raison d’annoncer cet avenir. Et de forcer à réfléchir ceux qui refusent les
évidences. Les plus malins d’entre eux sont d'ailleurs déjà en train de
s’y adapter. Par exemple, certains majors qui protestent aujourd'hui
contre la gratuité seront les premiers à en tirer profit.
Evidemment, ce modèle
ne sera pas général : Boire, se nourrir, se transporter, se
loger, coutera de plus en plus cher, en
raison de la rareté croissante de
l’eau, des terrains agricoles, de l’énergie, et des sols urbains. Autrement
dit, et c'est sans doute une des tendances les plus lourdes de l'avenir:
il sera bientôt beaucoup plus dispendieux
d’etre pauvre que d’etre riche.