Le Grand Palais, à Paris, présente une
exposition claire et didactique consacrée à l'Américain 
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   ART 
 Un artiste archicélèbre, des
  portraits de gens archicélèbres, une énorme rumeur
  médiatique : l'exposition " Le Grand monde d'Andy Warhol ", au
  Grand Palais, à Paris, commence bien. Il ne lui a pas même manqué l'onction
  d'un petit scandale (Le Monde du 14 mars). Seul risque dans tout cela
  : que l'on parle bien plus de la personnalité de l'artiste et de celles de
  ses modèles que son art lui-même, de Warhol peintre de portraits dans le
  dernier tiers du XXesiècle à New York. On a bien écrit peintre. L'intelligence de l'analyse
  psychologique et sociale du modèle par les moyens du dessin et de la couleur
  éclate tout au long de l'accrochage. Alain Cueff,
  commissaire de l'exposition, l'a voulu claire et didactique. Si toutes les
  images illustres sont là -  Warhol fait de la peinture, donc, d'une façon qui n'est pas
  celle d'Ingres ou de Cézanne, mais n'en est pas moins fondée sur des procédés
  graphiques et chromatiques. Il est loin de se borner à quelques photos du
  modèle, un recadrage puis l'agrandissement et la transposition de la photo à
  la toile par l'impression sérigraphique.  Ces opérations sont scandées par des décisions artistiques qui
  se voient à nu dans la salle où se côtoient les travaux préparatoires pour
  les portraits du rocker Mick Jagger (1975) et de la chanteuse Debby Harry
  (1980) : tête de profil, de trois quarts ou de face ? De très près ou avec un
  espace à l'entour ? Telle quelle ou en effaçant boutons et cicatrices ? En
  améliorant la symétrie des yeux et la courbe des lèvres ? En vidant le regard
  ou en marquant le noir et blanc de l'oeil ?  D'autres questions sont de couleur et de facture : quelle
  dominante pour la tête et pour le fond ? Un ton ou plusieurs ? Froids ou
  sanguins ? Lumineux ou sombres ? De l'acrylique pur ou enrichie de poudre de
  diamant ? Des aplats ultra-minces d'encre sérigraphique ou des empâtements
  jetés sur la toile, comme des citations de De
  Kooning ?  D'autres décisions concernent le format. Ce n'est pas un
  hasard si l'une des plus grandes et des plus belles toiles est un nu du
  peintre Jean-Michel Basquiat, avec lequel Warhol a travaillé
  dans les années 1980, et une autre un portrait lyrique d'un autre artiste
  new-yorkais, le peintre et cinéaste Julian Schnabel. Quand le modèle l'intéresse et quand il s'agit d'autoportraits
  à plus forte raison, Warhol accomplit un travail de décryptage de la
  physionomie afin de préciser le caractère, la fonction, la densité du
  personnage. A l'inverse, avec Marylin, Jane Fonda, Mao ou Marlon Brando, le
  portrait en profondeur n'est plus possible parce que ceux-ci ne sont plus des
  êtres humains mais des images universelles. Warhol ne peint alors que les
  conséquences de leur passage à l'état de fantômes : il n'en garde que les
  signes distinctifs connus de tous, des lèvres, une mèche, une gueule, une
  posture. Son attitude est la même quand le modèle n'est que
  l'illustration d'un type social, le millionnaire ou la grande bourgeoise chic
  de la côte est : la personnalité disparaît sous les marques de la réussite
  sociale et de la fortune. Au commanditaire, Warhol ne donne plus à contempler
  que son conformisme et sa vacuité. L'un d'eux, l'homme d'affaires Samuel LeFrak, s'en rendit compte et refusa les portraits de
  lui-même et de son épouse Ethel. Ils sont en effet blessants. Ce système de caractérisation psycho et sociologique fait de
  Warhol un " peintre de la vie moderne ", selon la définition
  de Baudelaire. Et c'est bien un système, pensé et pratiqué en ces termes. Il
  suffit pour le vérifier de regarder comment fonctionnent les séries, de deux,
  quatre ou dix de portraits du même modèle. Ce ne sont pas des répétitions,
  mais des variations, chacune ayant sa tonalité propre, que la comparaison
  avec les autres versions accentue. Il n'y a pas une image unique et
  définitive, mais une somme d'aperçus qui se complètent et dont la réunion
  permet seule d'obtenir une représentation du modèle suffisamment complexe et
  nuancée pour être juste.  Voici ce que Warhol recherche : la plus grande justesse par
  rapport à une femme ou un homme qui se présente devant lui pour passer une
  épreuve de vérité.  Philippe Dagen Le grand monde d'Andy Warhol, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Mo
  Champs-Elysées-Clémenceau. Du mercredi au lundi de 10 heures à 22 heures, le
  jeudi jusqu'à 20 heures. Entrée : 11¤ ; Jusqu'au 13 juillet. Catalogue : éd. RMN, 368 p., 45 ¤.  | 
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Le Monde – 21 mars 2009