Derrière les portraits d'Andy Warhol, le travail d'un peintre

Le Grand Palais, à Paris, présente une exposition claire et didactique consacrée à l'Américain

 

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ART

Andy à l'église, Warhol à l'atelier

Auteur de l'exposition, Alain Cueff l'est aussi d'un essai, Warhol à son image (éd. Flammarion, 232 p., 23 ¤) dans lequel il s'explique de manière plus personnelle sur sa vision de l'artiste. Si le pop artist et le dandy international y sont largement présents, c'est néanmoins un autre Warhol qui prend le dessus, moins attendu : l'héritier d'un catholicisme familial très fort, un homme pour lequel incarnation et icône sont plus que des concepts. Toute autre vision que celle de Michel Bulteau. Dans son Andy Warhol, le désir d'être peintre (éd. La Différence, 128 p. 18 ¤), l'auteur, qui a connu la Factory décrit et analyse, avec une ferveur communicative, la création dans ce lieu culte. Ses remarques techniques, les comparaisons stylistiques, avec Picasso par exemple, sont convaincantes. Ce (trop) court livre est la meilleure introduction à l'oeuvre.

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Un artiste archicélèbre, des portraits de gens archicélèbres, une énorme rumeur médiatique : l'exposition " Le Grand monde d'Andy Warhol ", au Grand Palais, à Paris, commence bien. Il ne lui a pas même manqué l'onction d'un petit scandale (Le Monde du 14 mars). Seul risque dans tout cela : que l'on parle bien plus de la personnalité de l'artiste et de celles de ses modèles que son art lui-même, de Warhol peintre de portraits dans le dernier tiers du XXesiècle à New York.

On a bien écrit peintre. L'intelligence de l'analyse psychologique et sociale du modèle par les moyens du dessin et de la couleur éclate tout au long de l'accrochage. Alain Cueff, commissaire de l'exposition, l'a voulu claire et didactique. Si toutes les images illustres sont là - la Joconde, Marylin Monroe, Jacky Kennedy -, il y a aussi, parmi les 250 numéros de l'exposition, des oeuvres un peu moins connues qui ont l'intérêt de faire pénétrer à l'intérieur du processus de création.

Warhol fait de la peinture, donc, d'une façon qui n'est pas celle d'Ingres ou de Cézanne, mais n'en est pas moins fondée sur des procédés graphiques et chromatiques. Il est loin de se borner à quelques photos du modèle, un recadrage puis l'agrandissement et la transposition de la photo à la toile par l'impression sérigraphique.

Ces opérations sont scandées par des décisions artistiques qui se voient à nu dans la salle où se côtoient les travaux préparatoires pour les portraits du rocker Mick Jagger (1975) et de la chanteuse Debby Harry (1980) : tête de profil, de trois quarts ou de face ? De très près ou avec un espace à l'entour ? Telle quelle ou en effaçant boutons et cicatrices ? En améliorant la symétrie des yeux et la courbe des lèvres ? En vidant le regard ou en marquant le noir et blanc de l'oeil ?

D'autres questions sont de couleur et de facture : quelle dominante pour la tête et pour le fond ? Un ton ou plusieurs ? Froids ou sanguins ? Lumineux ou sombres ? De l'acrylique pur ou enrichie de poudre de diamant ? Des aplats ultra-minces d'encre sérigraphique ou des empâtements jetés sur la toile, comme des citations de De Kooning ?

D'autres décisions concernent le format. Ce n'est pas un hasard si l'une des plus grandes et des plus belles toiles est un nu du peintre Jean-Michel Basquiat, avec lequel Warhol a travaillé dans les années 1980, et une autre un portrait lyrique d'un autre artiste new-yorkais, le peintre et cinéaste Julian Schnabel.

Quand le modèle l'intéresse et quand il s'agit d'autoportraits à plus forte raison, Warhol accomplit un travail de décryptage de la physionomie afin de préciser le caractère, la fonction, la densité du personnage. A l'inverse, avec Marylin, Jane Fonda, Mao ou Marlon Brando, le portrait en profondeur n'est plus possible parce que ceux-ci ne sont plus des êtres humains mais des images universelles. Warhol ne peint alors que les conséquences de leur passage à l'état de fantômes : il n'en garde que les signes distinctifs connus de tous, des lèvres, une mèche, une gueule, une posture.

Son attitude est la même quand le modèle n'est que l'illustration d'un type social, le millionnaire ou la grande bourgeoise chic de la côte est : la personnalité disparaît sous les marques de la réussite sociale et de la fortune. Au commanditaire, Warhol ne donne plus à contempler que son conformisme et sa vacuité. L'un d'eux, l'homme d'affaires Samuel LeFrak, s'en rendit compte et refusa les portraits de lui-même et de son épouse Ethel. Ils sont en effet blessants.

Ce système de caractérisation psycho et sociologique fait de Warhol un " peintre de la vie moderne ", selon la définition de Baudelaire. Et c'est bien un système, pensé et pratiqué en ces termes. Il suffit pour le vérifier de regarder comment fonctionnent les séries, de deux, quatre ou dix de portraits du même modèle. Ce ne sont pas des répétitions, mais des variations, chacune ayant sa tonalité propre, que la comparaison avec les autres versions accentue. Il n'y a pas une image unique et définitive, mais une somme d'aperçus qui se complètent et dont la réunion permet seule d'obtenir une représentation du modèle suffisamment complexe et nuancée pour être juste.

Voici ce que Warhol recherche : la plus grande justesse par rapport à une femme ou un homme qui se présente devant lui pour passer une épreuve de vérité.

Philippe Dagen

Le grand monde d'Andy Warhol,

Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Mo Champs-Elysées-Clémenceau. Du mercredi au lundi de 10 heures à 22 heures, le jeudi jusqu'à 20 heures. Entrée : 11¤ ; Jusqu'au 13 juillet.

Catalogue : éd. RMN, 368 p., 45 ¤.

Le Monde – 21 mars 2009