dimanche 7 décembre 2008
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internet
Wikipedia,
victime collatérale du filtrage d’Internet
par Astrid
Girardeau
tags : wikipedia ,
FAI , polémique ,
filtrage
Filtrage et
blocage abusifs, les cas s’accumulent. On ne parle pas ici de ce qui se passe
en Chine ou Arabie Saoudite, mais bien dans nos contrées démocratiques. Le
dernier site a en faire les frais : Wikipédia, et ses utilisateurs
britanniques.
Selon ZDNet, depuis le 5 décembre, la plupart des
internautes anglais qui souhaitent modifier (éditer) des contenus de
l’encyclopédie en ligne voient s’afficher ce
message : « Wikipédia a été ajouté à la liste noire des
sites Internet de la Internet Watch Foundation UK, et votre fournisseur d’accès
Internet a décidé de bloquer une partie de votre accès. Malheureusement, cela
rend également impossible pour nous de faire la distinction entre les
différents utilisateurs, et de bloquer ceux qui abusent du site sans bloquer
également les autres personnes innocentes. »
Concrètement, selon Wikinews, six fournisseurs d’accès Internet (FAI) —
Virgin Media, Be/O2/Telefonica, EasyNet/UK Online, PlusNet, Demon and Opal — auraient
installé un système de filtrage des contenus via des proxies
transparents. Ces proxies sont des ordinateurs qui analysent les requêtes des
internautes, et sont capables de bloquer une partie du trafic si celui-ci
correspond à certains critères. Par exemple une page affichant un contenu
préalablement identifié comme illégal.
Dans le cas présent, la demande vient
de l’Internet Watch
Foundation UK (IWF UK) qui a considéré une image hébergée par Wikipédia
comme étant de la pornographie enfantine. Et a ajouté l’url de la page
l’affichant dans sa liste noire des sites à bloquer.
En l’occurrence, il s’agit de la
couverture de Virgin Killer album de 1976 du groupe Scorpions.
Image, que par ailleurs les administrateurs ont choisi pour le moment de
ne pas supprimer. Fondation indépendante, l’IWF UK travaille avec la
police, le gouvernement, les fournisseurs d’accès et d’autres acteurs du web
pour surveiller et « rapporter les contenus en ligne potentiellement
illégaux ». Principalement ceux à caractère pédo-pornographique. Tenue
secrète, cette liste contiendrait entre 800 et 1200 adresses de sites, mise à
jour et envoyée deux fois par jour aux FAI.
Mais en blacklistant une page de
Wikipédia, c’est tout le trafic se dirigeant vers l’encyclopédie en ligne qui
s’est retrouvé filtré. Les FAI n’ont pas eu d’autres choix que de faire passer
l’ensemble des requêtes vers en.wikipedia.org par leur système de filtrage. Le
problème, c’est que du côté de Wikipédia, il devient impossible d’identifier
les internautes par leur adresse Internet (IP). Ce qui rend caduque leur
système anti-vandales.
En effet, pour protéger le contenu de
l’encyclopédie, les adresses IP des internautes considérés comme des vandales
sont répertoriées pour empêcher des modifications ultérieures. Mais à partir du
moment où tout le trafic vers en.wikipedia.org passe par ces fameux proxies,
tous les internautes se retrouvent avec la même adresse. Et bloquer un
contributeur revient à les bloquer tous. C’est ce qui s’était passé au Qatar en 2007 où, pour un
seul vandale, toute la nation avait été bloquée, tout le trafic en provenance
du Qatar passant par un proxy unique.
« C’est la première fois que je
vois une censure d’Internet de si haute échelle au Royaume-Uni, et je suis
choqué. Je ne savais pas jusqu’ici, que comme en Chine, nous aussi, avions
construit un grand pare-feu - mais seulement qu’on le gardait sous
silence »,
s’indigne un certain Hahnchen sur la page des administrateurs de Wikipédia.
A noter toutefois que, contrairement
à ce que mijote le gouvernement français, les FAI
anglais ne sont pas dans l’obligation d’agir. C’est une coopération volontaire
avec la Fondation, même si au final la
plupart y adhére. Il en est de même en Australie où, pour le moment, le gouvernement a simplement invité les FAI à
participer à son projet pilote de filtrage.
Dans cette nouvelle histoire, on retrouve
donc tous les ingrédients de ce qui est en train de se passer un peu partout
dans le monde. C’est-à-dire essayer de mettre en place un contrôle et un
filtrage centralisé d’Internet au nom de la lutte contre la pédo-pornographie.
Et ce malgré l’avis de nombreux experts et acteurs du web qui jugent toutes les
mesures aujourd’hui envisageables comme techniquement impossibles sans gros
dommages collatéraux. Ce dont est victime ici Wikipédia.
Selon nos sources, le système mis en
place par ces FAI britanniques est celui du « filtrage hybride ».
C’est l’une des trois-quatre principales solutions généralement envisagées par
les différents gouvernements. Bien que dénoncée par les spécialistes réseau. En
France, une note indépendante d’expertise (pdf)) décrit
ainsi ce système comme peu efficace, risqué (engorgement, fuite de liste noire,
etc.) et coûteux. Des critiques qu’on retrouve dans le rapport pour le filtrage des sites pédo-pornographiques
(pdf) remis il y a moins d’un mois par le Forum des droits sur
l’Internet (FDI) au gouvernement français.
Pourtant cela pourrait être un des
systèmes mis en place dans les prochains mois par nos FAI nationaux si le texte présenté la semaine dernière par le ministère
de l’Intérieur est adopté. Il ne s’agit plus là de démarche volontaire et
d’expérimentation pilote. Mais bien d’un article obligeant les FAI et opérateurs « à
empêcher par tout moyen et sans délais l’accès aux services désignés par arrêté
du ministre de l’Intérieur ». Et où les techniques sont laissés au
choix des FAI. Le texte doit être inclus dans la future loi d’orientation sur
la sécurité intérieure (LOPSI 2). Annoncée depuis des mois, cette dernière
devrait finalement être présentée début 2009.