http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2010-10-16-Benoit-Mandelbrot
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Par Philippe Rivière
Ce
polytechnicien d’origine polonaise fit l’essentiel de sa carrière comme
chercheur chez IBM. Il fut longtemps seul à étudier ces objets fractals,
montrant que leur « rugosité » pouvait être mesurée par une
dimension non entière. L’exemple le plus connu est celui de la côte bretonne,
dont la longueur varie selon la précision de la mesure (plus l’outil de
mesure est petit, plus il y a de rochers à contourner, allongeant d’autant le
total). Deuxième propriété essentielle des fractales, l’autosimilarité :
une partie de l’objet ressemble à l’objet lui-même : chaque rocher,
chaque caillou de la côte bretonne est une version en modèle réduit de la
ligne côtière. Mandelbrot
avait publié plusieurs livres sur l’économie et la finance. Non pas pour
donner à l’investisseur des recettes pour s’enrichir, mais parce qu’il était
choqué qu’un système aussi riche de complexité qu’une société humaine fût
représenté avec les méthodes simplistes qui prévalaient, et prévalent encore
malgré la débâcle des quants — ces apprentis sorciers des
mathématiques financières. « Les
marchés financiers, écrivait-il en 2004 dans The (Mis)Behavior of Markets, sont
les moteurs qui décident du bien-être de sociétés entières et, pourtant, nous
en savons plus sur la manière dont nos voitures fonctionnent que sur les
mécanismes du système financier global. Nos connaissances sont tellement
limitées que nous nous en remettons non pas à la science, mais à des shamans.
Nous faisons confiance aux banques centrales en espérant qu’elles pourront
invoquer les esprits économiques pour nous sauver de la peste financière (1). » Revendiquant
l’influence des mathématiciens Paul Lévy (probabilités), Norbert Wiener
(cybernétique) et John von Neumann (théorie des jeux), Mandelbrot faisait
porter sa critique sur l’ensemble des théories économiques fondées sur les
notions d’équilibre et d’efficacité des marchés. Sa connaissance de
l’histoire de la pensée économique le rendait d’autant plus mordant sur le
sujet. Des économistes observant des grains de pollen flottant à la surface
d’une eau calme ne verraient pas qu’ils sont tous agités de petits
déplacements aléatoires — et passeraient à côté du mouvement brownien. Le
plus important dans l’histoire économique, pour Mandelbrot, ne réside pas
tant dans la moyenne d’événements calculables et prévisibles tous situés au
milieu de la courbe, que dans les événements inattendus, qui à tout moment et
à toute échelle viennent frapper l’activité économique (2). Benoît Mandelbrot face à sa création emblématique En 2006 à l’Ecole polytechnique, à
l’occasion de sa réception de la légion d’honneur. Image : Wikimedia. « Les
théories standard de la finance, écrivait-il, prennent comme
hypothèses de départ les formes de hasard les plus immédiates, les bénignes.
Or des preuves irréfutables montrent que les marchés sont bien plus sauvages
et effrayants que cela. » Dans
ce même ouvrage, il plaidait pour que des sommes importantes soient prélevées
sur les banques d’affaires et consacrées à la recherche en économie : « Une
société bien gérée consacre une partie de son budget de recherche et
développement à la recherche fondamentale dans les domaines scientifiques qui
sous-tendent son cœur de métier. Comprendre le marché n’est-il pas au moins
aussi important pour l’économie que comprendre la physique du solide pour
IBM ? Si l’on peut cartographier le génome humain, pourquoi ne pas
cartographier les voies par lesquelles un homme peut perdre ses moyens de
subsistance ? » En
décembre 1989, René Passet signalait dans nos colonnes les liens entre la
chute du bloc soviétique et la théorie du chaos : « La politique et
le chaos ». Il signalait : « Le chaos nous montre que
les raisons mêmes pour lesquelles l’homme peut faire l’histoire, permettent à
celle-ci de lui échapper. » (1) Traduit en français en 2009 sous le titre Une
approche fractale des marchés : risquer, perdre et gagner, éditions
Odile Jacob. Lire « Galilée
de la Finance, Benoît Mandelbrot nous aide à comprendre les marchés »,
blog lupus, 13 août 2010. (2) Cf. son interview vidéo pour le site du Financial
Times, intitulée « Pourquoi les marchés efficients
s’effondrent », http://video.ft.com/v/63078298001/S...,
30 septembre 2009.
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