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Retraites des députés : progrès en vue, mais peut mieux faire

By François de Rugy

Created 10/29/2010 - 11:00

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François de Rugy [1]

Fillon entouré de Larchet, président du Sénat et d'Accoyer, président de l'Assemblée (Gérard Cerles/Reuters)

Décidément, l'unanimité plaît à la majorité ! On se souvient que l'Assemblée avait unanimement rejeté -l'UMP votant contre, les autres députés s'abstenant- l'amendement écolo appelant à l'alignement strict des retraites des parlementaires sur le droit commun et à l'interdiction des cumuls de rémunérations.

Aujourd'hui, voici que le président de l'Assemblée publie un communiqué victorieux. Devant l'avalanche de mails indignés reçus par les parlementaires après ce rejet, Pressé de proposer une réforme du service des pensions des députés, Bernard Accoyer a en effet présenté ce matin ses conclusions au bureau de l'assemblée, dont je suis membre.

Et il prétend que « le bureau a donné à l'unanimité son accord de principe sur l'ensemble des propositions faites ». Autant le dire tout de suite : Bernard Accoyer va un peu vite en besogne !

Retraite de base des députés : on aligne sur le droit commun…

Comparé à la loi du silence
et à l'immobilisme qui prévalaient jusqu'à ces derniers temps, il y a de
grands progrès. C'est dans ce cadre que j'ai soutenu ces propositions :

· Dans le système qu'il propose, le service de pension-vieillesse des anciens députés deviendra un régime obligatoire calqué sur le régime de la fonction publique

· Le montant des pensions-vieillesses versées aux anciens députés sera diminué de près de 8% -il s'agissait de la suppression du treizième mois, que nous avons découvert à l'examen de cette question !

· Le taux des pensions de réversion, pour les veufs et veuves, sera ramené à celui des régimes obligatoires de retraite complémentaire du régime général

· La pension vieillesse maximale des anciens députés ne pourra être obtenue qu'après une durée de cotisation effective égale à celle exigée dans le régime général et la fonction publique

· Le montant maximum de la pension vieillesse des anciens députés sera désormais plafonné.

· Lorsqu'un ancien député pensionné deviendra membre du Gouvernement, sa pension sera suspendue durant l'exercice de sa fonction ministérielle.

… mais un régime spécifique pourrait refaire surface

Mais, car il y a un « mais », et il est de taille, la double cotisation (qui permettait aux députés de raccourcir leur durée de cotisation), supprimée par la porte… revient par la fenêtre.

Elle prendrait la forme d'un « dispositif facultatif de pension vieillesse complémentaire » -dont la prochaine réunion du bureau de l'Assemblée aura à valider le principe. Réduite dans le temps (dix ans), celle-ci ne représente pas pour autant un régime complémentaire classique : la caisse qui la versera sera la même que la caisse générale, et le dispositif ne pourra pas être équilibré.

Cumulé au régime de base, ce nouveau régime pourra ainsi faire monter le montant maximum de la pension à 90% du revenu d'activité, voire à 100% en tenant compte des majorations pour enfants !

Je le redis encore une fois ici : un tel régime dérogatoire me parait anormal. J'en ai d'ailleurs discuté avec le président du groupe socialiste, et nous partageons le même point de vue : il faut mettre fin définitivement à la double cotisation, quelle qu'en soit la forme.

Dès lors qu'existent -parfois organisés au passage par des proches du président de la République, mais c'est une autre histoire- des systèmes individuels de retraites complémentaires, auxquels peuvent souscrire les députés qui souhaitent « assurer leurs arrières », je ne vois pas pourquoi il conviendrait de créer un nouveau régime spécial pour les parlementaires en plus du régime de base, car ce régime serait supporté au final par le budget de l'Etat.

Précaires, les députés ? Pas plus que les salariés

Pour justifier le maintien de dispositifs dérogatoires du droit commun, le président de l'Assemblée nous sort un argument stupéfiant : il s'agit, déclare en résumé Bernard Accoyer, relayé par certains collègues, de prendre en compte le caractère instable et précaire de la fonction, et de ne pas décourager des citoyens à s'engager dans la vie politique, en leur imposant des risques matériels trop insupportables.

Mais dans quel monde vivent donc les auteurs de tels propos, et ceux qui les partagent ?

La précarité de la fonction ? Nous, parlementaires, avons fait le choix d'agir au service de nos convictions, et de nos concitoyens. Tous les cinq ans, nous avons le choix de solliciter ou non leurs suffrages, avec le risque, si l'on n'est pas réélus ou que l'on ne se représente pas, de devoir chercher ou reprendre, selon que l'on est ou non fonctionnaire, un nouvel emploi.

Mais cela, c'est ce que vivent des millions de salariés, qui sont soumis, au cours de leur vie, à des ruptures professionnelles qu'ils n'ont, eux, pas choisies, ou qui n'étaient, elles, pas prévisibles !

Elu député, ce mandat devient notre « profession »

Notre statut de députés comporte à la fois des analogies et différences avec ces femmes et ces hommes qui peuvent se retrouver sans emploi, et donc sur le marché du travail, avec une rupture de leur vie professionnelle.

Analogie, l'allocation de retour à l'emploi : à ceci près que le régime instauré à l'Assemblée, s'il est entièrement financé par les cotisations payées par les députés actifs, est bien souvent incompréhensible pour le commun des mortels.

Je plaide pour ma part pour un alignement pur et simple avec le système de Pôle emploi -l'allocation différentielle (c'est-à-dire plafonnée en tenant compte des autres revenus de l'ancien député) devrait être versée sur la même durée et selon les mêmes règles de niveau financier que celles qui régissent le droit commun.

Analogie, la retraite de base des députés nouvelle formule.

De ce point de vue, je pense sincèrement que les déclarations du type « le mandat parlementaire ne constitue pas une profession, la pension vieillesse versée à un ancien député ne peut être assimilée stricto sensu à une retraite professionnelle » sont parfaitement hypocrites.

Quand on est élu député, pour moi, les citoyens ont décidé que, pendant les cinq années qui suivent, notre « profession », c'est d'être députés. On devrait donc y consacrer toute notre énergie, et ce devrait être -à l'exception des mandats locaux, et encore je souhaite qu'on en limite le cumul strictement- notre seule source de revenus, et notre seule occupation.

Nous sommes, pendant cinq ans -un CDD de mission- salariés de la France, au service des Français. Et il me semblerait normal que notre protection sociale soit la même que celle des salariés -ni plus, ni moins.

Au chapitre des différences avec les systèmes professionnels « classiques », il y a le déséquilibre qui existe -il faut le reconnaître- entre le nombre de cotisants (nous sommes 577) et celui des pensionnés. Cela justifie que le système soit déficitaire : il ne peut pas en être autrement.

Mais ce déficit structurel doit être contenu, et non aggravé par des conditions exceptionnelles faites aux parlementaires : et force est de constater que sur ce point, la réforme proposée semble encore trop timide.

L'indemnité de 5 300 euros par mois, pas un scandale

Autre différence enfin, et elle est de taille, le niveau et la structure des indemnités qui nous sont versées. Chaque mois, nous recevons deux virements de l'Assemblée : l'un correspond aux frais de fonctionnement. Il n'est pas, ne doit pas être, un complément de revenu.

C'est pourquoi je continue de plaider pour la publication de l'usage fait de cette indemnité. Je m'applique cette obligation à moi-même, je pense qu'elle devrait être étendue à tous.

L'autre versement correspond à notre indemnité proprement dite, et c'est sur cette base qu'est calculée notre retraite. Cette somme qui constitue -ne jouons pas sur les mots- notre salaire pendant les cinq ans d'exercice de notre mandat, est de 5 300 euros nets.

C'est certes la contrepartie d'un travail ardu, très chronophage -nos semaines de travail font plus souvent 50 heures, voire plus, que 35- et de responsabilités importantes : celles de voter la loi, contrôler le gouvernement, relayer les aspirations de nos concitoyens, bref, faire vivre la démocratie.

Je ne suis pas de ceux qui, par facilité démagogique, prétendent qu'une telle somme est un scandale.

Les conditions matérielles ne doivent pas être un critère

Je conserve, je le crois, assez les pieds sur terre pour en mesurer le caractère considérable pour nombre de nos concitoyens : cela n'a rien à voir avec les rémunérations de grands patrons (cela correspond, sur un mois, à une demi-journée de rémunération des patrons du cac 40), c'est l'équivalent de ce que perçoit un médecin généraliste pendant cinq semaines, ou un chef d'entreprise d'une PME de plus de 50 salariés sur un mois.

Mais c'est aussi trois fois le revenu moyen des Français.

Ce n'est donc pas rien, et lorsque Bernard Accoyer justifie la persistance de règles spécifiques et favorables de calcul de la retraite par la nécessité de « ne pas décourager les vocations », je ne peux rester indifférent.

Je ne peux pas m'empêcher de penser que s'il est réellement des femmes et des hommes qui hésitent à s'engager pour représenter leurs concitoyens, porter leurs convictions, faire la loi… au motif que les conditions matérielles faites aux parlementaires et notamment la perspective de leur retraite, représenteraient pour eux trop de sacrifices, ces hommes-là et ces femmes là, notre République peut bien s'en passer !

Photo : François Fillon entouré de Gérard Larchet, président du Sénat et de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée (Gérard Cerles/Reuters)

Retraites des parlementaires : Accoyer sous la pression du web [2]

Retraites : la réforme suspendue (pour les parlementaires) [3]


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[2] http://www.rue89.com/2010/10/21/retraites-des-parlementaires-accoyer-sous-la-pression-du-web-172373
[3] http://www.rue89.com/2010/10/16/la-reforme-des-retraites-est-suspendue-pour-les-parlementaires-171534