Published on Rue89 (http://www.rue89.com)
Retraites des
députés : progrès en vue, mais peut mieux faire
By François de Rugy
Created 10/29/2010 - 11:00
Blog principal:
François de Rugy
[1]
Décidément, l'unanimité plaît à la
majorité ! On se souvient que l'Assemblée avait unanimement rejeté -l'UMP
votant contre, les autres députés s'abstenant- l'amendement écolo appelant à
l'alignement strict des retraites des parlementaires sur le droit commun et à
l'interdiction des cumuls de rémunérations.
Aujourd'hui, voici que le président de
l'Assemblée publie un communiqué victorieux. Devant l'avalanche de mails
indignés reçus par les parlementaires après ce rejet, Pressé de proposer une
réforme du service des pensions des députés, Bernard Accoyer
a en effet présenté ce matin ses conclusions au bureau de l'assemblée, dont je
suis membre.
Et il prétend que « le bureau a
donné à l'unanimité son accord de principe sur l'ensemble des propositions
faites ». Autant le dire tout de suite : Bernard Accoyer
va un peu vite en besogne !
Retraite
de base des députés : on aligne sur le droit commun…
Comparé à la loi du silence
et à l'immobilisme qui prévalaient jusqu'à ces derniers temps, il y a de
grands progrès. C'est dans ce cadre que j'ai soutenu ces propositions :
· Dans le système qu'il propose, le
service de pension-vieillesse des anciens députés deviendra un régime
obligatoire calqué sur le régime de la fonction publique
· Le montant des pensions-vieillesses
versées aux anciens députés sera diminué de près de 8% -il s'agissait de la
suppression du treizième mois, que nous avons découvert à l'examen de cette
question !
· Le taux des pensions de réversion,
pour les veufs et veuves, sera ramené à celui des régimes obligatoires de
retraite complémentaire du régime général
· La pension vieillesse maximale des
anciens députés ne pourra être obtenue qu'après une durée de cotisation
effective égale à celle exigée dans le régime général et la fonction publique
· Le montant maximum de la pension
vieillesse des anciens députés sera désormais plafonné.
· Lorsqu'un ancien député pensionné
deviendra membre du Gouvernement, sa pension sera suspendue durant l'exercice
de sa fonction ministérielle.
…
mais un régime spécifique pourrait refaire surface
Mais, car il y a un
« mais », et il est de taille, la double cotisation (qui permettait
aux députés de raccourcir leur durée de cotisation), supprimée par la porte…
revient par la fenêtre.
Elle prendrait la forme d'un
« dispositif facultatif de pension vieillesse complémentaire » -dont
la prochaine réunion du bureau de l'Assemblée aura à valider le principe.
Réduite dans le temps (dix ans), celle-ci ne représente pas pour autant un
régime complémentaire classique : la caisse qui la versera sera la même
que la caisse générale, et le dispositif ne pourra pas être équilibré.
Cumulé au régime de base, ce nouveau
régime pourra ainsi faire monter le montant maximum de la pension à 90% du
revenu d'activité, voire à 100% en tenant compte des majorations pour
enfants !
Je le redis encore une fois ici :
un tel régime dérogatoire me parait anormal. J'en ai d'ailleurs discuté avec le
président du groupe socialiste, et nous partageons le même point de vue :
il faut mettre fin définitivement à la double cotisation, quelle qu'en soit la
forme.
Dès lors qu'existent -parfois
organisés au passage par des proches du président de la République, mais c'est
une autre histoire- des systèmes individuels de retraites complémentaires, auxquels
peuvent souscrire les députés qui souhaitent « assurer leurs
arrières », je ne vois pas pourquoi il conviendrait de créer un nouveau
régime spécial pour les parlementaires en plus du régime de base, car ce régime
serait supporté au final par le budget de l'Etat.
Précaires,
les députés ? Pas plus que les salariés
Pour justifier le maintien de
dispositifs dérogatoires du droit commun, le président de l'Assemblée nous sort
un argument stupéfiant : il s'agit, déclare en résumé Bernard Accoyer, relayé par certains collègues, de prendre en
compte le caractère instable et précaire de la fonction, et de ne pas
décourager des citoyens à s'engager dans la vie politique, en leur imposant des
risques matériels trop insupportables.
Mais dans quel monde vivent donc les
auteurs de tels propos, et ceux qui les partagent ?
La précarité de la fonction ?
Nous, parlementaires, avons fait le choix d'agir au service de nos convictions,
et de nos concitoyens. Tous les cinq ans, nous avons le choix de solliciter ou
non leurs suffrages, avec le risque, si l'on n'est pas réélus ou que l'on ne se
représente pas, de devoir chercher ou reprendre, selon que l'on est ou non
fonctionnaire, un nouvel emploi.
Mais cela, c'est ce que vivent des
millions de salariés, qui sont soumis, au cours de leur vie, à des ruptures
professionnelles qu'ils n'ont, eux, pas choisies, ou qui n'étaient, elles, pas
prévisibles !
Elu
député, ce mandat devient notre « profession »
Notre statut de députés comporte à la
fois des analogies et différences avec ces femmes et ces hommes qui peuvent se
retrouver sans emploi, et donc sur le marché du travail, avec une rupture de
leur vie professionnelle.
Analogie, l'allocation de retour à
l'emploi : à ceci près que le régime instauré à l'Assemblée, s'il est
entièrement financé par les cotisations payées par les députés actifs, est bien
souvent incompréhensible pour le commun des mortels.
Je plaide pour ma part pour un
alignement pur et simple avec le système de Pôle emploi -l'allocation
différentielle (c'est-à-dire plafonnée en tenant compte des autres revenus de
l'ancien député) devrait être versée sur la même durée et selon les mêmes
règles de niveau financier que celles qui régissent le droit commun.
Analogie, la retraite de base des
députés nouvelle formule.
De ce point de vue, je pense
sincèrement que les déclarations du type « le mandat parlementaire ne
constitue pas une profession, la pension vieillesse versée à un ancien député
ne peut être assimilée stricto sensu à une retraite professionnelle » sont
parfaitement hypocrites.
Quand on est élu député, pour moi, les
citoyens ont décidé que, pendant les cinq années qui suivent, notre
« profession », c'est d'être députés. On devrait donc y consacrer
toute notre énergie, et ce devrait être -à l'exception des mandats locaux, et
encore je souhaite qu'on en limite le cumul strictement- notre seule source de
revenus, et notre seule occupation.
Nous sommes, pendant cinq ans -un CDD
de mission- salariés de la France, au service des Français. Et il me semblerait
normal que notre protection sociale soit la même que celle des salariés -ni
plus, ni moins.
Au chapitre des différences avec les
systèmes professionnels « classiques », il y a le déséquilibre qui
existe -il faut le reconnaître- entre le nombre de cotisants (nous sommes 577)
et celui des pensionnés. Cela justifie que le système soit déficitaire :
il ne peut pas en être autrement.
Mais ce déficit structurel doit être
contenu, et non aggravé par des conditions exceptionnelles faites aux
parlementaires : et force est de constater que sur ce point, la réforme
proposée semble encore trop timide.
L'indemnité
de 5 300 euros par mois, pas un scandale
Autre différence enfin, et elle est de
taille, le niveau et la structure des indemnités qui nous sont versées. Chaque
mois, nous recevons deux virements de l'Assemblée : l'un correspond aux
frais de fonctionnement. Il n'est pas, ne doit pas être, un complément de
revenu.
C'est pourquoi je continue de plaider
pour la publication de l'usage fait de cette indemnité. Je m'applique cette
obligation à moi-même, je pense qu'elle devrait être étendue à tous.
L'autre versement correspond à notre
indemnité proprement dite, et c'est sur cette base qu'est calculée notre
retraite. Cette somme qui constitue -ne jouons pas sur les mots- notre salaire
pendant les cinq ans d'exercice de notre mandat, est de 5 300 euros nets.
C'est certes la contrepartie d'un
travail ardu, très chronophage -nos semaines de travail font plus souvent 50
heures, voire plus, que 35- et de responsabilités importantes : celles de
voter la loi, contrôler le gouvernement, relayer les aspirations de nos
concitoyens, bref, faire vivre la démocratie.
Je ne suis pas de ceux qui, par
facilité démagogique, prétendent qu'une telle somme est un scandale.
Les
conditions matérielles ne doivent pas être un critère
Je conserve, je le crois, assez les
pieds sur terre pour en mesurer le caractère considérable pour nombre de nos
concitoyens : cela n'a rien à voir avec les rémunérations de grands
patrons (cela correspond, sur un mois, à une demi-journée de rémunération des
patrons du cac 40), c'est l'équivalent de ce que
perçoit un médecin généraliste pendant cinq semaines, ou un chef d'entreprise
d'une PME de plus de 50 salariés sur un mois.
Mais c'est aussi trois fois le revenu
moyen des Français.
Ce n'est donc pas rien, et lorsque
Bernard Accoyer justifie la persistance de règles
spécifiques et favorables de calcul de la retraite par la nécessité de
« ne pas décourager les vocations », je ne peux rester indifférent.
Je ne peux pas m'empêcher de penser
que s'il est réellement des femmes et des hommes qui hésitent à s'engager pour
représenter leurs concitoyens, porter leurs convictions, faire la loi… au motif
que les conditions matérielles faites aux parlementaires et notamment la perspective
de leur retraite, représenteraient pour eux trop de sacrifices, ces hommes-là
et ces femmes là, notre République peut bien s'en passer !
Photo : François Fillon entouré
de Gérard Larchet, président du Sénat et de Bernard Accoyer, président de l'Assemblée (Gérard Cerles/Reuters)
Retraites
des parlementaires : Accoyer sous la pression du web
[2]
Retraites
: la réforme suspendue (pour les parlementaires) [3]
Links:
[1] http://www.rue89.com/francois-de-rugy
[2] http://www.rue89.com/2010/10/21/retraites-des-parlementaires-accoyer-sous-la-pression-du-web-172373
[3]
http://www.rue89.com/2010/10/16/la-reforme-des-retraites-est-suspendue-pour-les-parlementaires-171534