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La grande conspiration du malheur

Est-ce-que les homos ont un problème avec le bonheur ? En tant que célibataire à la recherche d’un partenaire équilibré et stable, je pense que ma dernière rencontre explique presque tout. Un mec me branche sur Internet. On va l’appeler J. Il habite à cinq heures de chez moi, donc je ne suis pas du tout convaincu qu’il ne s’agise pas d’un délire comme un autre. Mais J persiste. Il me parle sur le chat régulièrement pendant deux semaines avant de passer aux discussions au téléphone. Il dit qu’il n’y a rien pour les homos dans la petite ville où il habite. Il raconte que malgré le fait de se se savoir gay, il s’est marié jeune. C’est seulement maintenant, à quarante ans, qu’il a trouvé le courage de sortir du placard, de divorcer et de faire son coming-out. 

par Nick Alexander - Dimanche 21 novembre 2010

Nick Alexander est Britannique mais habite en France depuis 1991. Il est l'auteur de six romans qui sont parmi les meilleurs ventes de fiction gay outre-manche, et sont disponibles (actuellement en VO seulement) sur le net et dans le plupart des librairies gay en France.

Est-ce-que les homos ont un problème avec le bonheur ? En tant que célibataire à la recherche d’un partenaire équilibré et stable, je pense que ma dernière rencontre explique presque tout. Un mec me branche sur Internet. On va l’appeler J. Il habite à cinq heures de chez moi, donc je ne suis pas du tout convaincu qu’il ne s’agise pas d’un délire comme un autre. Mais J persiste. Il me parle sur le chat régulièrement pendant deux semaines avant de passer aux discussions au téléphone. Il dit qu’il n’y a rien pour les homos dans la petite ville où il habite. Il raconte que malgré le fait de se se savoir gay, il s’est marié jeune. C’est seulement maintenant, à quarante ans, qu’il a trouvé le courage de sortir du placard, de divorcer et de faire son coming-out. 

M

ais sa définition de « coming out » n’est pas vraiment la mienne. Il ne l’a toujours pas dit à ses collègues. Ce n’est pas leurs oignons, dit-il. Ni à ses parents — ils sont catholiques. Où est l’intérêt alors ? Pour lui, ça ne servirait qu’à les rendre malheureux.

Je ne suis pas entièrement convaincu par cette façon de faire. J’ai rencontré assez de mecs qui n’ont rien dit à Papa - Maman pour savoir que même si une relation amoureuse se développe, le sentiment de honte finira finalement par tout détruire. Les êtres humains choisissent toujours le chemin le plus facile et quitter une nouvelle relation dès le premier problème est généralement vécu comme une décision plus pratique que le fait d’admettre à Papa et Maman qu’on est un sale pêcheur qui va brûler en enfer pour l’éternité.  Surtout quand ca fait quarante ans qu’on est menteur.

 

Mais J insiste. Il veut venir pour un weekend de trois jours. Alors j’accepte. « Bien ! Viens ! » Je lui dis. Quand J arrive, il est mignon. C’est surprenant. Je veux dire… je l’ai vu en photo, bien sûr. Mais pour une fois, il ressemble aux photos. Il est même mieux en vrai. Il est intelligent aussi. Il articule bien. Et il est crevé d’une semaine au boulot et de ses six heures d’autoroute. 

Je cuisine, on partage une bouteille de vin, et nous passons la soirée devant la cheminée. C’est très agréable, et à la fin, quand je lui propose la chambre d’amis ou mon lit (toujours le gentleman, moi) il fait le bon choix — il choisit la dernière.

Je trouve le sommeil instantanément, donc cette première nuit, nous ne faisons rien à part dormir collés l’un à l’autre. N’importe quel célibataire depuis longtemps vous le dira : c’est une sensation agréable. Très agréable.

Le lendemain matin, nous prenons un petit déjeuner détendu. Tout semble encore cool et agréable. On se met à s’embrasser. Puis on se met à faire l’amour. Il veut que je le baise, alors je le baise, et il semble bien aimer ca. Moi aussi.  Par le bruit qu’il fait — hurlant comme une banshee — il aime beaucoup ça. Ca pourrait être une affaire qui marche.

 

Quand c’est fini, J fume une cigarette. « C’était génial » dit-il avec un sourire.

Il va à la salle de bains pour se laver, mais à son retour, il semble bizarre. Il ne veut plus me regarder dans les yeux. « Je pense que je vais rentrer chez moi, en fait » il m’explique.

— Ah bon ? Mais je croyais que tu restais jusqu’à lundi !

— Nan. J’ai plein de trucs à faire à la maison. Je pense que je vais rentrer et revenir quand il fera plus beau.

— T’es sûr ? Quelque chose ne va pas ? 

— Non, dit-il, toujours le regard par terre. Tout va bien.

— OK, alors fais gaffe sur la route avec cette pluie. Et fais-moi signe quand tu rentres. 

Et le voilà en train de faire son sac. Et le voilà parti.

Six heures plus tard, je le vois en ligne sur Internet. Est-ce qu’il pense que ça suffit pour me faire « signe » qu’il est rentré ? Apparemment oui.

 

 

Drogué, séropo et/ou dépressif

 

J’ai rempli mon premier roman 50 Reasons to Say Goodbye avec des histoires semblables. Et ça s’est vendu comme des petits pains parce que les homos se sont parfaitement retrouvés dans ce descriptif de l’enfer des rencontres entre mecs. Et dix ans plus tard, ces désastres sont toujours d’actualité. Dix ans plus tard, c’est toujours ainsi que la plupart des rendez-vous se passent pour moi et pour mes amis.

 

Nos copains potentiels sont finalement dépressifs ou toxicomanes ou fraîchement séropos et décimés par la nouvelle. Ils sont alcooliques ou paniqués à l’idée de s’engager ou ils sont obsédés du cul avec un régime de 30 partenaires différents par semaine. Ils cherchent Monsieur Parfait d’une manière tellement désespérée qu’ils n’ont pas le temps pour découvrir les côtés cachés de Monsieur Maintenant – devenu déjà Monsieur Hier.

 

Dans mon nouveau roman, The Case Of The Missing Boyfriend, le personnage principal est une fille entrourée d’homos. Une fille à PD comme on dit. Quand un de ses amis se suicide, mes amis qui ont lu le manuscrit ont commenté qu’ils trouvaient ce passage particulièrement convaincant.Il y en a même un qui m’a signalé qu’il trouvait ce passage « bizarrement agréable… »

Alors les gays, ont ils un problème avec le bonheur ? Erm, oui. Je pense que c’est évident.

 

 

L'Église...

 

En Europe, je suis convaincu que l’oppresseur principal reste l’église Catholique. Il y a quelques années, on m’a demandé d’écrire un article pour le magazine Britannique reFresh pour raconter la vie gay dans les nouveaux pays entrants de la communauté Européenne. Parce que je ne pouvais pas me permettre de les visiter tous (j’étais payé 80 euros par article), je me suis branché sur Gayromeo pour discuter avec les mecs en Chypre, Lettonie, Malte…

 

La première chose qui m’a frappé était que les garçons en Pologne ne montraient jamais leurs visages. A Malte, idem.

Quand je leur ai demandé pourquoi, ils n’ont jamais rédigé plus que trois lignes de texte avant de parler du Catholicisme. J’ai demandé comment c’était d’être gay et en Pologne la réponse était systématique : affreux. Un mec en particulier n’a pas mâché ses mots. « It’s the fault of the fucking church» il m’a expliqué. « They’re cunts. »

 

A Malte, où la population est 98% Catholique Orthodoxe, ils m’ont raconté que c’était tout simplement impossible d’être gay. Il semblerait que les homos maltais se marient sans exception.  Etre gay là-bas implique seulement qu’on baise de temps en temps avec d’autres mecs dans les parkings sombres. Ambiance 1930 — en 2010.

Après, j’ai parlé avec les mecs en Estonie. Allez regarder vous-mêmes. Sur chaque photo, un mec heureux, souriant. Je leur ai demandé comment c’était d’être homo là-bas. « Génial » ont-ils répondu. Tous. Vraiment. Et, à votre avis, est-ce qu’ils sont religieux en Estonie ? Pas de tout ! Pour des raisons historiques, l’Estonie est LE pays le moins religieux du monde.

 

Ce conditionnement catholique est tellement intègré dans le mœurs que ceux qui habitent dans les pays Catholiques qu’ils ne le remarquent même plus. Mes amis Français nient en permanence cette influence en m’expliquant sans fin que l’église Catholique n’a plus de pouvoir en France depuis la séparation de l’Église et de l’État. Ils ne semblent pas remarquer que le gouvernement entier est blanc, hétéro, et catho. Ou que tous les jours fériés sont des fêtes religieuses catholiques. Ou qu’on vous dit encore, en 2010, quel saint fêter à la fin de chaque  bulletin de météo. Ou que les églises (mais pas les mosquées) sonnent encore leurs cloches dans toutes les villes de France pour vous appeler à la prière. Et qu’il suffit que le Pape parle des  méchants homos ou même lâche un pêt quelque part dans le monde pour que TF1 — terrorisé par l’idée qu’on va rater ça — lui donne dix bonnes minutes dans le journal de vingt heures, le tout en HD stéréo.

 

 

Ce pouvoir est immense, et partout. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Française n’a toujours pas passé une seule publicité à la télé qui parle directement de sexe entre hommes dans le risque du sida. C’est la raison pour laquelle il n’y a toujours pas eu une seule émission régulière destinée aux homos sur une chaîne terrestre. (Out on Tuesday a été transmise pour la première fois au Royaume-Uni en 1989 ! C’est-à-dire il y a 20 ans.) C’est la raison pour laquelle le cinéma français ne montre toujours pas un couple de mecs heureux (il doivent être paumés, mourants, ou torturés par leur sexualité). Sinon, on les accepte seulement s’il sont assez folles pour faire rire les hétéros. À la Pédale Douce

 

 

Souffrez!

 

C’est la raison pour laquelle les maisons d’éditions françaises m’ont répondu qu’il y a trop de sexe dans mes romans pour être publiés en France. « Le cul homosexuel dans la littérature française n’est acceptable que dans les ambiances sombres, nihilistes, à la Remès. » Je cite. Je ne rigole pas…

 

Pourquoi ? Parce que le message doit être moralisateur. Il doit démontrer la souffrance du pêcheur. Montrer un couple d’homos en train de vivre une histoire d’amour saine, fidèle, sans maladie, mais remplie de cul joyeux? Mon Dieu, non ! Que dirait Benoît ?

 

Alors, d’une certaine façon, je n’étais même pas surpris quand après la nuit passée ensemble, J le Catho a préféré regarder par terre. Ça ne m’a même pas étonné quand il a choisi de partir en courant plutôt que prolonger une quelconque relation avec moi. 

 

Ce qui m’étonne encore, c’est qu’il y a de plus en plus de gens, surtout dans la nouvelle génération, et particulièrement dans les pays moins catholiques, qui n’ont jamais appris que leur nature était mauvaise. Je connais des jeunes qui ont très vite dévoilé leur sexualité et leur frères et leurs sœurs ont dit : « Ah bon ? T’es homo ? Ok. Mais on mange quoi ce soir ? » Et une partie non négligable de ces gens-là sont aussi en train de baiser sans capote, de se noyer dans l’alcool et la drogue, de s’enfermer vers une mort précoce. 

Et quand on leur parle, beaucoup d’entre eux semblent en colère — très en colère — et disent à quel point c’est difficile d’être homo. Quand, franchement, je ne le trouve pas ça dur du tout. Et je ne vois aucune évidence que c’est plus dur pour eux non plus.

 

Nous vivons dans des sociétés où être victime apporte de la plus-value. Nous aimons nos divas non pas malgré, mais grâce à leurs vies tragiques. Nos gouvernements et nos réseaux de soutien courent dans tous les sens pour soutenir les malades et les mourants pendant que la majorité silencieuse — qui est encore en pleine santé pour la simple raison qu’ils ont toujours mis des capotes pour baiser — reste invisible et ignorée par tout le monde. Et exclus d’office par tous les systèmes de soutien,  ils finissent par se sentir parfois plus isolés et plus seuls que la minorité séropositive.

 

Dans une époque ou la télé nous vend l’idée que notre devoir est d’être heureux, beau et drôle, qu’on devrait avoir un vaste réseau de Friends,  qu’on devrait tous être des Pop Starz ou des artistes ou des stars de films porno avec des bites de 30 centimètres — qu’en gros, on devrait être exceptionnel dans toutes les façons possibles, c’est tellement plus facile de mettre la responsabilité de nos vies médiocres sur la grande conspiration anti-gay que de le porter nous-mêmes.

 

Mais au fur et à mesure que la répression s’efface (dans l’occident du moins) nous sommes de plus en plus des victimes de notre accoutumance pour le malheur, notre propre mythe de la misère, et de notre désir de s’auto-infliger maladie et malheur.

Les êtres humains ont une capacité étonnante de se cogner contre les mêmes murs en permanence. Et nous, les gays, ça fait trop longtemps que nous cognons nos têtes contres les murs de la maladie (évitable), de notre statut de victime, de notre toxicomanie du cul, couplé avec notre honte Chrétienne. Nous méritons mieux que cela. 

 

Il est temps de changer. Il est temps de rejeter une fois pour toutes ce que les Églises moyenâgeuses ont à dire sur nous. Il est temps de respecter nos corps et ceux de nos amants. Nous méritons de nous autoriser le fait d’être sains et heureux et, pour la première fois dans l’histoire, c’est à portée de main. Nous savons tout ce qu’il faut savoir. Notre belle époque peut être enfin là si seulement nous décidons de l’accepter.


Nick Alexander