Les algorithmes ont-ils pris le contrôle des marchés
financiers?
par antoinechampagne Le 21 janvier 2011
Pour qui a
vu la saga Terminator, Skynet évoque ce réseau d’ordinateurs qui, une
fois devenu plus malin que les humains, décide de déclarer la guerre à notre
espèce. Depuis quelques années, des logiciels informatiques, plus précisément
des algorithmes extrêmement complexes, ont peu à peu remplacé les traders.
Aujourd’hui, selon les dernières études, quelques 73% des transactions aux
États-Unis, sont réalisées par des machines à la vitesse de la lumière. C’est
le High-Frequency
Trading…
Le monde de
la finance est particulièrement inventif. Surtout lorsqu’il s’agit de créer les
conditions d’une crise financière globale. Il y a eu la crise de l’immobilier,
celle d’Internet, des “Subprimes”. Il y aura probablement celle du High
Frequency Trading (HFT).
Développée
dans une relative discrétion, cette technique permet de gagner sans prendre de
risques. On embauche des mathématiciens, des astrophysiciens, des statisticiens
–paradoxalement peu de traders ou de financiers- et on leur demande de réaliser
des algorithmes d’acheter et vendre en quelques microsecondes (une microseconde
= un millionième de seconde).
« On achète
et on vend à une vitesse telle que l’on peut générer quasiment à coup sûr des
petits bénéfices sur chaque transaction. Et comme c’est récurrent, mis bout à
bout, ça fait des millions et des millions. Le premier qui commet une erreur
sur un marché est immédiatement sanctionné car ces programmes informatiques
réagissent bien plus vite que des hommes », explique un banquier. Un autre
raconte :
La seule
fois où ça n’a rien rapporté, c’est le jour où les types ont oublié de lancer
les programmes. On en rigole encore
Exemple
simple : la même valeur peut être cotée sur deux marchés (Paris et New
York par exemple), mais le cours peut être très légèrement différent pendant
quelques microsecondes. Les algorithmes repèrent ces différences, achètent au
prix bas et revendent au prix haut en une fraction de seconde.
Pour
certains, la bonne santé des banques pour ce qui est de leur activité de marché
serait imputable au développement du HFT. Les banques empruntent à un taux
proche de zéro, revendent à un peu moins de 4%. De l’argent gratuit qui peut être
réinvesti sur les marchés, via la HFT. Jusqu’au moment où le HFT part en
vrille… C’est d’ailleurs ce qui s’est passé le 6 mai dernier à New York, lors
d’un épisode depuis surnommé « Flash Crash ».
L’indice global avait alors perdu 9% en séance, avant de se refaire. Le tout,
sans aucune raison évidente. Sauf à considérer que les algorithmes ont été
arrêtés et que le marché s’est asséché.
On est très
loin des marchés financiers qui soutiennent l’économie réelle. Selon Nanex, une
petite société américaine de diffusion de flux de données boursière a analysé
des années de données à la recherche d’incongruités liées au HFT. Elle a ainsi
mis en évidence que certaines places boursières avaient fourni jusqu’à 5.000
cours pour un seul titre en une seconde. On cherchera longtemps le lien avec
l’économie réelle.
Mieux, Nanex a mis en
lumière la dernière arme des acteurs du HFT. Depuis des années, ils se
livrent à une course aux armements visant à gagner des microsecondes sur les
concurrents. Cela est passé par l’achat de machines plus performantes, plus
rapides, par l’embauche à prix d’or de créateurs de scenarii ou d’algorithmes,
par le raccourcissement des câbles. Cela a fini par la mise en place de centres
serveurs en colocation au cœur des marchés financiers. Que faire pour aller
plus vite que le voisin ? Simple, l’inonder de données pourries. Un déni
de service au cœur de la finance. Un acteur va ainsi envoyer des milliers
d’ordres d’achats qu’il annulera dans la microseconde. Les autres algorithmes
seront obligés de traiter ces informations et seront ralentis… C’est le « quote
stuffing ».
La SEC
(autorité des marchés américaine) qui se penche sur ce sujet sans pour autant
interdire le HFT a pondu un
rapport comique sur le flash crash du 6 mai. On peut y lire ceci :
Le
“high-frequency trading” peut générer plus de un million de transactions en un
seul jour et représente maintenant plus de 50% du volume du marché des actions.
De nombreuses entreprises génèrent plus de 90 ordres pour une seule
transaction. Autrement dit : une entreprise qui effectue un million de
transactions par jour peut soumettre plus de 90 millions d’ordres annulés.
En d’autres
termes encore, le « quote stuffing » est prépondérant sur les marchés.
Bien
entendu, les investisseurs individuels sont les escargots des marchés, ceux qui
permettent en partie au HFT d’être aussi rentable. Tout est pour le mieux.
Cerise sur
le gâteau, les algorithmes ne perçoivent pas de bonus en fin d’année…