“Pourquoi j’ai nominé WikiLeaks
au Nobel de la paix”
WikiLeaks, l’organisation conspuée par tout ce que
la planète compte de diplomates, inscrira-t-elle son nom au palmarès du prix
Nobel de la paix ?
C’est tout en cas le souhait de Snorre Valen, un jeune député de la gauche norvégienne. C’est
en bonne et due forme qu’il y a quelques jours, ce député / blogueur / musicien
de 26 ans a soumis au Comité Nobel norvégien la candidature du site qui fait
trembler la Maison-Blanche.
Députés et membres de gouvernements du monde entier, recteurs d’université,
anciens récipiendaires du prix… Ils sont nombreux à pouvoir proposer aux
membres du comité le nom d’un individu ou d’une organisation. Ces derniers les
passeront en revue, pour un résultat début octobre, où l’on connaîtra alors le
successeur de Liu Xiaobo.
Si WikiLeaks venait à recevoir ce prix, ce ne
serait pas la première fois qu’une organisation serait récompensée :
depuis 1901, 20 organisations différentes ont été distinguées (la Croix Rouge – à trois
reprises –, Médecins sans frontières, Amnesty International ou encore le GIEC,
dernière en date…).
Même si cette nomination fait beaucoup de bruit, ce n’est pas non plus la
plus atypique jamais enregistrée par les sages norvégiens, puisque des
personnages aussi fameux pour leur apport à la paix mondiale qu’Adolf Hitler, Benito Mussolini ou Joseph Staline figurent dans liste
des nominés – heureusement – jamais récompensés.
Contacté par OWNI, Snorre Vallen
s’explique sur cette nomination.
« J’espère susciter le débat autour du dilemme entre le besoin
légitime des gouvernements démocratiques à classifier l’information, et le
besoin tout aussi légitime du public de rendre ses gouvernants responsables. En
Norvège, le débat autour de la liberté d’expression a longtemps été dominé par
les caricatures de Mahomet, mais j’ai toujours trouvé que le cas de WikiLeaks était plus intéressant, parce qu’il concerne le
pouvoir et ses abus. Est-ce que l’on veut protéger la liberté d’expression même
quand cela menace notre propre gouvernement ? C’est une sorte de ‘litmus test
‘ des
idéaux démocratiques ».
En théorie,
la liste des nominés reste secrète dans les cinquante années consécutives à son
dépôt. Si le silence lie les membres du comité, rien n’interdit les
dépositaires de rendre leur choix public. Snorre Valen a donc pris les devants en annonçant publiquement sa
démarche.
« J’ai
décidé de rendre ma démarche publique parce que j’ai peur de la novlangue qui
progresse dans notre scène politique. Quand des politiciens américains qui
normalement défendent les droits de l’homme et la liberté d’expression
affirment que Moubarak ‘n’est pas un dictateur’ mais considèrent WikiLeaks comme des ‘terroristes’, quelque chose ne va
vraiment pas »
Quand on lui
demande s’il pense que WikiLeaks a des chances de
recevoir le prix, sa réponse est sans appel : « Complètement. C’est un
très bon candidat ».
Mercredi, Snorre Valen publiait sur son
blog une tribune (en) dans laquelle il
expliquait pourquoi il avait pris cette décision. Nous l’avons traduite en
intégralité.
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C’est toujours plus facile de soutenir la liberté d’expression quand
celui qui parle est d’accord avec vous. C’est un des tests des valeurs démocratiques
et libérales auxquels les gouvernements ont tendance à échouer. Ainsi, les
gouvernements occidentaux ont généralement été tolérants vis-à-vis des régimes
répressifs « amis ». Des entreprises du secteur de l’Internet aident
la Chine à censurer les moteurs de recherche. Et beaucoup de pays veulent « tuer le messager », quand WikiLeaks publie du contenu d’intérêt public.
Publier des
documents confidentiels est un droit évident que les médias et les journaux ont
exercé depuis des décennies. De cette manière, le public a été informé d’abus
de pouvoir dont les gouvernements devaient être tenus responsables. Internet ne
change pas la donne, il rend juste l’information plus accessible, plus facile à
distribuer et plus démocratique dans le sens où théoriquement, quiconque est
doté d’un accès Internet peut y contribuer.
Cependant,
beaucoup cherchent à redessiner la carte de la liberté d’information avec
l’émergence d’organisations comme WikiLeaks. Les
pouvoirs politiques et les institutions qui d’ordinaire protègent la liberté
d’expression avertissent soudain du danger, de la menace à la sécurité, oui,
même du terrorisme que Wikileaks représente. En
faisant cela, ils ne peuvent prétendre défendre les valeurs démocratiques et
les droits de l’homme. En réalité, ils font même le contraire. Déterminer
quels crimes doivent être rendus publics et par quel média ne doit jamais être
le privilège des politiciens.
Liu Xiaobo a reçu le prix Nobel de la Paix l’année dernière
pour sa lutte pour les droits de l’homme, la démocratie et la liberté
d’expression en Chine. De même, WikiLeaks a contribué
à la lutte pour ces valeurs au niveau mondial, en exposant (entre autres) la
corruption, les crimes de guerre et la torture – parfois perpétrés par les
alliés de la Norvège. Et plus récemment, en dévoilant les petits arrangements
économiques de la famille du président Ben Ali en Tunisie, WikiLeaks
a apporté sa toute petite contribution à la chute d’une dictature vieille de 24
ans.
Ce serait un
crime que de bannir ou d’interdire la publication de telles informations. Cela
doit au contraire être protégé, quoique l’on puisse penser du contenu de
certains, voire de la totalité, des documents publiés.
Je suis fier
de nominer WikiLeaks pour le prix Nobel de la Paix.