Les gens qui n’existent pas
août 20 2011
Les amis qui n’existent pas ne sont pas vraiment des amis. Ils ne t’ont jamais vu rire aux éclats et avaler du coca par le nez. Ils ne t’ont jamais ramassé en pleurs après le dernier SMS de ton ex. Ils n’ont jamais monté de tente bourrés dans un camping plein de hollandais. Pourtant les amis qui n’existent pas là sont toujours là, avec leur présence étrange, à portée de clics ou de textos, avec un avis sur tout, une blague foireuse ou un gif qui clignote. Les gens qui n’existent pas sont dans mes rêves parfois, leur têtes se détachent de l’écran de mon cerveau comme leurs avatars, des ronds copiés collés à des corps empruntés. Les gens qui n’existent pas travaillent, font de la musique, écrivent, se marient, disparaissent, font des enfants, et meurent parfois. C’est compliqué de porter le deuil de quelqu’un qui n’existe pas. Ou plutôt, ca devrait l’être. Qu’est ce qui nous attache si fort à ces identités floues, à ces 140 caractères, à ces mails qu’on échange avec ces inconnus ? La part du coeur sans doute, aussi niais que cela puisse être à dire. La partie qu’on planque derrière le cynisme et le LOL, la part de vérité qu’on laisse exister comme un courant d’air malvenu, qu’on cherche à dissimuler pour ne pas se laisser bouffer.
Peut-être que le deuil de ces amis imaginaires est le plus pur de tous. On ne pourra pas reprocher de pleurer pour nous, d’avoir la peine égoïste. Les liens qui nous lient à eux sont impossible à quantifier, à décrire, à expliquer. Ils cessent de communiquer, ils sont morts, mais ils pourraient être ailleurs finalement. Ils pourraient avoir décidé d’arrêter d’écrire, de partager, de hurler ou de râler. Et puis il n’y a pas de corps dans cette mort. Il n’y a que cette avatar flottant au dessus de l’âme. Pas de main qui se crispe, pas de coup de fil terrible dans la nuit, rien de cinématographique. Ils s’en vont juste de nos écrans, discrètement, sans annonces dramatiques, sans chantages, sans heurts et sans cris. Le plus cruel du virtuel, ce sont toutes les traces que le disparu laisse. Rien n’y changera plus jamais. Plus un billet. Et quand l’hébergement cesse, tout est vierge de leur passage dans nos mondes. L’impression qu’il y a eu quelque chose de bien, mais que tout est fini. Et on passera à autre chose, dans quelques semaines ou quelques mois. On oubliera un peu. On se racontera l’histoire de cette fille qui voulait vivre, comme un exemple de courage, on trahira un peu sa mémoire en lui donnant le rôle d’un martyr, on la fera mentir.
Au revoir Claire. Tu n’existais pas vraiment. Et pourtant ta présence a illuminé mes journées. Tu continues à exister malgré ton corps. Dans ce coin de la tête qui n’appartient à aucun logiciel, à aucun monde virtuel.
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