http://owni.fr/2011/09/15/imprimer-le-reel-a-portee-de-main/
Le
15 septembre 2011
Découverte Sabine Blanc
in août, MakerBot Industries, un des principaux fabricants d’imprimante 3D grand public, a levé [en] 10 millions de dollars. À ses débuts en 2009,
la société avait 75.000 dollars en poche. Dans son tour de
table, Jeff Bezos, un des fondateurs d’Amazon. La
petite entreprise y croit : l’impression 3D va connaître une destinée similaire
au PC, devenir un outil grand public, et MakerBot
Industries compte bien s’en donner les moyens :
Nous embauchons
pour faire grossir notre équipe et démocratiser la fabrication et rendre l’impression
3D plus accessible à tout le monde !
Signe des temps : la société HP vient elle aussi d’an-noncer
[en] le lancement d’une imprimante/scan 3D… Les modèles pour l’industrie se sont répandus à partir du début des années 2000 et restent très chers, minimum 10.000 euros. Depuis, des modèles pour les particuliers ont été développés : les plus courants sont la RepRap [en], open source et auto-replicante, c’est-à-dire capable de fabriquer ses propres pièces, et la MakerBot qui, lancée en 2009 à environ 1.000 dollars pièce, a été vendue à 5.200 exemplaires à ce jour.Elles
vous permettent de construire des objets physiques à partir d’un modèle
virtuel, conçu grâce à un logiciel de conception assistée par ordinateur (CAO).
Pièce de remplacement, jouet, article de cuisine, les possibilités sont infinies, selon vos besoins. Pour un petit aperçu,
jetez un coup d’œil à la page «
objets populaires » de Thingiverse, lancé par MakerBot pour
rassembler cette communauté. Les imprimantes 3D ont la part belle dans les fab labs (fabrication laboratory), un
concept créé par Neil Gershenfeld, professeur au MIT.
Il s’agit de véritables mini-usines capables de produire des objets complexes à
la demande.
Se
lancer est aujourd’hui une affaire de geek : des
passionnés, adeptes du Do-It-Yourself (DIY, fais-le toimême), qui fréquentent les makerspaces, hackerspaces et autres fab labs, ces lieux de rencontre physique des passionnés de la
bidouille. Ils ont la foi des pionniers du PC et leur démarche peut être
politique : en démocratisant la fabrication personnelle, ce néo-artisanat remet
en cause le circuit traditionnel de production-distribution. Avant que Mme Michu ne soit convaincue, il faudra abattre un
certain nombre d’obstacles plus ou moins coriaces.
Une
technique à parfaire
« Toutes les machines ont un ticket d’entrée de compétences
relativement élevé, prévient Emmanuelle Roux, qui monte un projet de
Fab Lab à l’université de
Cergy-Pontoise, et heureuse propriétaire d’une MakerBot. Je vois mal tout le monde posséder une MakerBot à la maison, c’est très tricky (tordu), je l’adore mais il faut être
patient avec elle. » Et pourtant, les MakerBot
sont vendues préassemblées. Que dire alors de la RepRap, qu’il faut construire soi-même… Adrian Bowyer
[en], l’inventeur de la RepRap, ingénieur et mathématicien
de son métier nous résume la situation actuelle :
Pour l’instant, les coûteuses machines propriétaires
sont faciles à monter et à utiliser et les machines opensource
bon marché comme RepRap sont plus difficiles.
C’est surtout un pro-blème de logiciel, et beaucoup
de gens travaillent à l’améliorer, ce point est en train d’être résolu.
De
plus, les matériaux utilisés sont limités, il s’agit es-sentiellement
du plastique, ce qui limite les usages. « En dépit des avancées récentes,
nous sommes probablement à une décennie ou plus avant des imprimantes 3D que
tout individu sur la planète voudra posséder, estime [en] Singularity Hub. Quand ils peuvent produire de l’électronique,
du tissu et du métal, il n’y aura pas un ménage aux États-Unis qui n’aura pas
très envie d’une imprimante 3D. Longtemps avant d’en arriver là, nous avons
besoin d’une compagnie qui puisse transformer les outils dans autant de mains
technophiles que possible, de sorte que la technologie puisse se développer aux
côtés d’une communauté qui inventera des applications (rentables ?) en même
temps qu’elle évolue. »
De
plus, la fabrication est longue, comme le détaillait au Monde Clément Moreau, cofondateur de Sculpteo,
une société française qui fait de l’impression 3D :
« C’est le principal inconvénient de cette technologie
: elle prend du temps. Il faut compter environ une heure par centimètre. En
revanche, la qualité des objets pro-duits a fait de
très grands progrès : on peut aujourd’hui créer des objets solides, avec un très
bon degré de précision, et réaliser des formes qui seraient très difficiles à produire avec une machine-outil
classique. »
La caverne aux machines de MakerBot Industries : ça fait un peu peur encore.
La
bataille juridique
Michael
Weinberg, de l’association Public
Knowledge
[en], a publié l’année dernière un livre blanc
[fr], « L’impression 3D, ce sera
formidable… s’ils ne foutent pas tout en l’air ! ». « Ils », ce sont les représentants de
l’oligarchie qui redoutent le développement de cette « technologie de rupture »
et vont tenter de freiner son développement en s’appuyant sur la propriété
intellectuelle. Il se rejouerait la même lutte que celle qui oppose encore les
internautes aux industries culturelles, avec un potentiel de points
d’achoppement plus nombreux : droit d’auteur mais aussi brevet, marque déposée,
etc. Pour reprendre Ars Technica [en], un Napster bis serait en
préparation, du nom de ce service d’échanges de fichiers,
fermé suite aux plaintes de l’industrie musicale pour violation du droit
d’auteur en 2001. À moins que les citoyens retiennent les leçons du passé,
explique Michael Weinberg :
« Quand l’oligarchie a commencé à comprendre à quel
point l’utilisation d’ordinateurs personnels pouvait être perturbatrice (en
particulier les ordinateurs personnels massivement connectés), les lobbys se
sont organisés à Washington D.C. pour protéger leur pouvoir. Se rassemblant
sous la bannière de la lutte contre le piratage et le vol, ils ont fait passer
des lois comme le Digital Millennium Copyright Act (DMCA) qui a rendu plus difficile
l’utilisation nouvelle et innovante des ordinateurs. En réponse, le public a
redécouvert des termes autrefois obscurs comme le « fair use » et s’est mobilisé avec vigueur pour défendre son droit
à discuter, créer et in-nover. [...] L’un des
objectifs poursuivis par ce livre blanc est de sensibiliser la communauté de l’impression
3D, et le public dans son ensemble, avant que l’oligarchie ne tente de
paralyser l’impression 3D à l’aide de lois restrictives sur la propriété
intellectuelle. En analysant ces lois, en comprenant pourquoi certaines modifications pourraient avoir un impact négatif sur
l’avenir de l’impression 3D, nous serons prêts, cette fois-ci, quand l’oligarchie
convoquera le Congrès. »
Michael Weinberg se dit « raisonnablement optimiste » sur l’issu de cette bataille, nous expliquant :
Une masse suffisante de parents
aura-t-elle envie de fabriquer les jouets de ses enfants ?
Je préfèrerais être dans la position de pro-téger les conditions légales existantes, plutôt que d’être
dans celle de devoir les changer.
Pour
Adrian Bowyer, l’aspect juridique n’est même pas un «
problème significatif. La seule arme réelle
dans l’arsenal de l’oligarchie industrielle serait de faire du lobby pour
changer les lois sur la propriété intellectuelle. Cela prendrait beaucoup de
temps – les machines 3D open source auront pris le dessus sur les machines de l’oligarchie
industrielle bien avant que les gouvernements du monde agissent (si jamais ils
le font.)
De plus, ce serait un contrôle faible. RepRap en particulier peut être distribué par les individus
sans impliquer une structure centralisée ou une entreprises.
L’expérience de l’industrie de la musique avec le format de
fichier MP3 montre que c’est un phénomène sur lequel la loi ne
peut avoir pratiquement aucun contrôle.
Troisième point, chaque imprimante 3D faite par l’oligarchie
industrielle peut fabriquer des RepRaps.
Mais les RepRaps ne feront pas les machines de l’industrie
oligarchique. Les imprimantes 3D non-réplicantes sont
stériles et ne font pas leurs propres enfants mais elles sont fertiles en
concevant des RepRaps. Les Re-pRaps sont fertiles en concevant des RepRaps.
Vous comprenez ce que cela produit à la dynamique de la population… »
Au
fait, la demande sera-t-elle là ?
Premier échelon, même s’il est possible de concevoir et d’imprimer à bas goût et facilement, Mme Michu ne se sent pas une âme de créatrice et/ou n’a pas envie de passer du temps à chercher un patron en 3D qui lui conviennent, et les objets à fabriquer ne sont somme toute pas légion : on n’a pas besoin de 150 vases dans une maison. Bre Pettis, co-fondateur de Maker Bot, est conscient du défi qui les attend :
Si le
message ne passe pas, une utilisation partagée se développerait, sans pénétrer
chaque foyer. Il existe déjà actuellement des services d’impression 3D. « Les gens qui ont besoin de créer des objets comme les
artistes ou les designers en auront une », pense Antonin Four-neau,
enseignant à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs (ENSAD). Son école
va ainsi s’équiper d’une Maker Bot, en complément de l’imprimante 3D « haut de
gamme ».
On verrait aussi le développement de fab labs de quar-tier, pour les projets de plus grande envergure, de la même façon que vous allez chez Ikéa acheter votre armoire Ingmar. Barcelone a ainsi exprimé la volonté de devenir la première Fab city avec 10 fab labs répartis dans chaque quartier contre quatre actuellement [pdf
, en]. cela va continuer, si on
apporte une technologie qui ne
demande pas d’être
un ingénieur en électronique. »
L’imaginaire s’envole vers des
horizons révolutionnaires :