En 2003, la loi pour la sécurité intérieure (LSI), dite Loi Sarkozy II, créait un nouveau délit, le racolage passif, [1] puni de deux mois d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende. En mars 2010, la députée UMP Chantal Brunel demandait la réouverture des maisons closes [2].
Un an plus tard, un rapport de la députée PS Danielle Bousquet proposait de créer un délit pour réprimer le recours à la prostitution [3] en pénalisant les clients, passible de six mois de prison et d'une amende de 3 000 euros.
Alors que le lobby européen des femmes a récemment lancé une campagne vidéo [4] pour « éradiquer la prostitution en Europe », Morgane Merteuil, escorte sur Internet et secrétaire générale du Strass [5], syndicat du travail sexuel, répond.
Rue89 : Quelles sont les lignes directrices du Strass ?
Morgane Merteuil : Le Strass est un syndicat autogéré et indépendant né en 2009, qui défend les travailleurs/euses du sexe et milite pour l'amélioration de nos conditions de travail. L'appellation travailleurs/euses de sexe réunit :
Le Strass est un outil politique : on part du principe qu'obtenir des statuts légaux clairs permettrait de lutter contre la prostitution contrainte et les réseaux de traite, et de réduire les risques sanitaires et sécuritaires.
Sur le terrain, nous travaillons avec de nombreuses associations :
En pénalisant le racolage même passif, la LSI contraint les femmes, hommes et trans – je vais les englober au féminin, ce sera plus simple – qui se prostituent dans la rue à se planquer en périphérie.
Cet isolement et cette réclusion forcée les rendent beaucoup plus vulnérables : depuis 2003, on constate clairement une recrudescence des violences à l'égard des travailleuses du sexe.
Elles sont moins accessibles aux associations de prévention, et Médecins du monde et Act Up ont maintes fois dénoncé les risques d'augmentation de transmission des maladies.
Le client est le seul qui puisse encore prévenir la police sans avoir à redouter quoique ce soit, et qui a du poids : quand les filles du Strass qui travaillent dans la rue repèrent une fille qui a l'air vraiment mal et qu'elles appellent la BRP [brigade de répression du proxénétisme, ndlr], les policiers ne viennent pas.
Pénaliser le client comporte également le risque de renforcer le proxénétisme. En tant qu'escorte sur Internet, par exemple, j'ai déjà été démarchée par téléphone par des hommes prétendant avoir des listes de clients, et prêts à me soutenir.
Et sans fantasmer, entre la LSI et la pénalisation des clients, on peut facilement penser que plus on devra se cacher, plus on devra avoir recours à des intermédiaires :
Le Strass est contre la réouverture des maisons closes comme elles se pratiquaient avant la loi Marthe Richard de 1946 [11]. Les maisons closes impliquent une règlementation spécifique aux travailleuses du sexe, très contraignante :
C'est très stigmatisant. Par contre, autoriser l'ouverture de lieux apparentés à des maisons ouvertes ou des coopératives comme il en existe dans de nombreuses autres professions libérales, pour des avocats ou des infirmières par exemple, serait bienvenue.
C'est très simple : le Strass demande l'accès au droit du travail, comme n'importe quel autre corps de métier. Chacune doit pouvoir choisir comment elle veut travailler, en intérieur, en extérieur, sur Internet, à l'hôtel, indépendante ou salariée.
Comme pour n'importe quelle autre profession, être libre de choisir dans quel cadre l'exercer.
On ne nous met aucun bâton dans les roues pour déclarer nos revenus : il y a le statut d'indépendant ou d'auto-entrepreneur. En revanche, pour récupérer les droits sociaux qui sont censés être acquis, ça pose souvent problème parce que la case à cocher n'existe pas.
On choisit la plus proche : masseuse ou coach bien-être par exemple, avec le risque de tomber pour travail dissimulé dans le cadre de notre activité « prostitutionelle », puisqu'on ne peut pas se déclarer en tant que tel.
Dans d'autres branches de métiers, comme le bâtiment, la restauration ou la couture, il y a également des abus. On n'interdit pas la couture pour autant : on la règlemente. Grâce au droit du travail, ces situations peuvent être dénoncées quand ces droits ne sont pas respectés.
Ensuite, les chiffres qui circulent sont inchangés depuis trente ans : 80% de prostitution contrainte. Ce sont les chiffres de l'Office central de répression de la traite des êtres humains (OCRETH), un organe policier dépendant du ministère de l'Intérieur, basés uniquement sur les arrestations de rue.
Même s'il est impossible de fournir des chiffres exacts, la prostitution de rue n'est absolument plus majoritaire ni représentative aujourd'hui.
Les psychologues et les « experts » avancent que vendre des services sexuels provoque des traumatismes incomparables à d'autres activités. Quand une fille est forcée, c'est du viol, et, évidemment, c'est traumatisant. Oui, il faut lutter contre la prostitution forcée, mais ça n'est pas en nous pénalisant toutes, les libres aussi, que la situation va s'améliorer.
On nous dit que nous, qui avons en toute conscience choisi le travail du sexe, sommes vraiment une minorité. Il est impossible de chiffrer la prostitution, il y a tellement de clandestinité, sous toutes ses formes : pensez aux personnes qui ne l'avouent pas.
J'ai choisi de me prostituer. Je n'ai pas été violée, ou maltraitée, et d'ailleurs, même si ça avait été le cas, ça ne regarderait personne. Je fais mon travail, je constate que je suis discriminée aux yeux de la société à cause de ce travail, et que ça me met en danger, point.
Je ne vois pas l'intérêt dans le cadre d'un débat politique de parler de ma vie intime, et aussi absurde que ça soit de devoir le dire, oui, on peut être pute et heureuse.
Lors d'un débat avec une ministre luxembourgeoise par exemple, un soit-disant expert évoquait toutes les prostituées qu'il rencontrait, et la grande majorité étaient, disait-il, prises dans des réseaux de traite. C'était une façon de justifier la nécessité de pénaliser toutes les formes de prostitution.
Encore une fois, oui, malheureusement la prostitution forcée existe, et il faut la combattre. Une de nos adhérentes, qui était présente et qui tapine à Dauphine depuis des années, lui a simplement demandé :
« Mais comment faîtes-vous pour les rencontrer, vous ? Non parce que moi j'y suis tous les jours, sur le trottoir, et je ne suis jamais arrivée à entrer en contact avec elles. »
Photo : manifestation de prostituées devant le Sénat, à Paris, en novembre 2002 (Jérôme Brezillon/Tendance floue)
Links:
[1]
http://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070719&idArticle=LEGIARTI000006417875&dateTexte=20110815
[2] http://www.rue89.com/rue69/2010/10/25/chantal-brunel-il-faut-proteger-les-prostituees-173139
[3] http://www.rue89.com/node/181355
[4] http://www.womenlobby.org/spip.php?rubrique187&lang=fr
[5] http://site.strass-syndicat.org/
[6] http://lesamisdubusdesfemmes.com/default.aspx
[7] http://www.actupparis.org
[8] http://www.griselidis.com/
[9] http://www.cabiria.asso.fr/
[10] http://autresregards.org/
[11] http://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_Marthe_Richard
[12] http://www.rue89.com/node/222477
[13] http://www.rue89.com/rue69/2011/08/25/de-largent-facile-au-stigmate-de-la-pute-une-vie-de-prostituee-219040
[14] http://www.rue89.com/tag/prostitution
[15] http://bit.ly/nR7Zr6
[16] http://bit.ly/qiW2l0