Le 6 octobre 2011
Sabine Blanc
Le logo de Hackbus
“Transportation hacking” : tel est l’intitulé d’un des projets soumis pour le 28C3, le prochain congrès du Chaos Computer Club (CCC), le plus grand collectif allemand de hackers, qui aura lieu à Berlin en décembre. Il faudra vous y faire : les hackers, ces bidouilleurs qui font un usage créatif des technologies, bougent, contribuant à l’essor de leur communauté.
Mitch Altman, figure du milieu qui a créé Noise-bridge, et voyageur inlassable, a même créé un passeport hacker qui “ressemble beaucoup aux passeports américains, sauf qu’il n’y a pas besoin d’empreintes digitales.” Il explique les raisons pour lesquelles il a initié ce document :
• Aider à promouvoir les gens qui visitent autant de hackerspaces que possible dans le monde.
• Accroître la
collaboration.
• Accroître
la pollinisation croisée de façon que nous pouvons tous
apprendre des autres.
• Encourager tous les hackerspaces à se soutenir les uns les autres.
• (Et c’est amusant).
Une pratique qui évoque le compagnonnage [fr] et leur célèbre Tour de France, jusque dans le passeport [fr], en plus horizontal : là où le compagnon apprenait d’un maître, les hackers ne s’embarrassent pas d’une hiérarchie figée.
Mitch Altman avait apporté 2 500 passeports début août au dernier Chaos Communication Camp, le grand camp quadriannuel du CCC. Ce n’est pas par hasard : la précédente édition de 2007 avait suscité une vague inédite de création de hackerspaces. Derrière cet événement fondateur, un beau voyage, réalisé avec Hacker on the Plane, une sorte de tour operator pour hacker, en mode coucou plutôt qu’Airbus A380. Mitch se remémore :
« Le dernier CCC a changé ma vie à jamais et celle de tant de gens. Je ne suis pas venu ici en pensant que cela marquerait le début d’un mouvement mondial. Trois hackers allemands viennent juste de donner une conférence expliquant comment lancer des hackerspaces. Dès mon retour, je me suis mis au travail avec mon ami Jake qui était aussi ici. Nous avons tout de suite reçu beaucoup de gens qui ont rendu Noisebridge possible. Des hackerspaces comme Noisebridge, NYC Resistor, HacDC, The Hacktory à Philadelphie et quelques autres prospèrent depuis. Comme nous avons prospéré, d’autres s’y sont mis et ont prospéré et maintenant ils sont plus de 500 listés sur hackerspaces.org ! »
Ateliers et conférences
Le partage des connaissances, au centre de l’éthique hacker, fait partie de ses grandes motivations. Et c’est fructueux pour la communauté : “J’aime aller dans les hackerspaces et proposer des ateliers et des conférences, témoigne Mitch. Cela attire beaucoup de monde dans les hackerspaces qui n’en n’aurait peut-être pas entendu parler autrement. Ils voient à quel point c’est cool et peuvent s’y amuser. De nombreuses personnes deviennent membres, le disent à leurs amis ou com-mencent le leur dans les villes proches.” Du coup, il a fait une conférence au dernier CCC : “Comment faire de super ateliers”. Et que d’autres essaiment.
Mitch Altman au CCC
Pour porter la bonne parole, des hackbuses [fr] (ou mobile hacklabs or hack vehicles) commencent à voir le jour. Le concept, né sous la houlette de l’artiste-hack-tiviste autrichien Johannes Grenzfurthner, est simple : aller vers les gens qui ne connaissent pas la culture hacker avec un véhicule équipé pour monter des ateliers. Habitué des tournées des popotes informelles, Moritz Bartl, membre du CCC qui fréquente les hackerspaces de Munich, Berlin et Dresde, prépare un voyage de six mois au moins dans toute l’Europe l’année prochaine. Il nous explique :
« Je peux facilement me garer au centre des petites villes et faire un peu de bruit sur l’importance de la free culture et des médias indépendants. Je prévois de faire équipe avec Creatives Commons et Wikimedia pour distribuer des flyers et peut-être donner des conférences. »
Faire office de révélateur
Renforcer la communauté, c’est aussi aller à la rencontre de ces hackers qui s’ignorent, dans des pays moins sympathiques que les “bourgeoises” démocraties européennes. Alexander Heidenreich aime ainsi visiter les anciennes républiques soviétiques. Basé dans les hackerspaces de Leipzig et de Dresde en Allemagne, il aménage un antique camion pour entreprendre une longue tournée.
“Ils ne sont tout simplement pas au courant de l’existence du mouvement hacker, même si certains font la même chose que nous, ils n’ont jamais eu de contacts avec quelqu’un en dehors de leur propre domaine, raconte-t-il. De plus, certains pays sont des États policiers où les hackers ne sont pas très appréciés. Ils ont un peu peur d’entrer en contact avec d’autres hackers car ils savent que la répression est présente et il n’est pas courant d’envoyer un simple mail à quelqu’un que tu ne connais pas et en qui tu ne sais pas si tu peux avoir confiance. C’est à nous de leur parler de cette communauté. Mais, en général, il existe dans ces pays une scène bien organisée qui sait ce qu’elle fait, il faut juste entrer en contact avec elle.”
Le passeport de Noisebridge, installé à San Francisco.
Documenter et faire aboutir le foisonnement d’idées
Mais l’objectif principal de Moritz, reste de documenter. L’enjeu n’a rien d’anecdotique :
« Alors que le partage des connaissances est un des principes au cœur de la scène hacker, car les gens y font ce qu’ils veulent et pensent que c’est important, la documentation n’est pas fréquente. J’espère qu’en étant un documentaliste extérieur, l’équivalent d’un journaliste embeddé, je pourrai aider n’importe qui. Nombre d’entre nous ont des idées brillantes pour améliorer la société, mais parce que la plupart du temps ils ne présentent pas d’intérêt commercial et que nous réalisons ces projets sur notre temps libre, seule une petite partie voit le jour. Meilleure communication et échange d’idées aboutiront à de plus beaux projets. »
Moritz espère que la matière accumulée finira sous forme de série documentaire, sur le modèle des Voyages de Gernstl, une série de la télévision bavaroise sur les trente années de périple de trois Allemands dans un bus Volkswagen. Poussant l’idée jusqu’au bout, il propose de créer une diplomatie hacker : “Chaque hackerspace devrait avoir un ou plusieurs ambassadeurs. Il serait en charge de la collecte des informations et de la documentation, et son boulot principal serait de voyager et de rencontrer les autres espaces pour échanger des connaissances.” Un travail à temps plein : les hackers-paces se multiplient, 500 sont actuellement répertoriés sur hackerspaces.org.
Un accueil qui « fait chaud au cœur »
Sus aux clichés, les hackers voyageurs reçoivent un accueil digne de ce nom, “à bras ouverts” témoigne le Hollandais Koen Martens, fondateur de RevSpace à La Hague. Je n’ai dormi que deux fois à l’hôtel durant un voyage de six mois aux Etats-Unis, et jamais durant
mon dernier en Europe. L’hospitalité pour les gens à la tournure d’esprit similaire et l’ouverture vers les autres est un point que tous les hackers semblent partager.” Quant à Mitch Altman, il dit même être reçu “comme une rock star” : “Les gens m’hébergent pour la nuit (ou deux ou trois voire plus). Ils me donnent à manger (et de façon très bienveillante puisque Jimmie et moi avons des régimes végétariens très stricts, sans produits lai-tiers). Ils nous font visiter leur ville, si bien que nous pouvons nous connecter à la scène locale artistique, artisanale et musicale. Cela fait très chaud au cœur”.
Toutefois, pour améliorer la logistique, la communauté cogite. On a vu passer ces temps-ci un projet de site de booking, HackerHostel.com : “Un site qui permettra aux utilisateurs/internautes de repérer les habitations disponibles dans les hackerspaces et de leur envoyer des propositions. Parlez-nous de vous et de ce que vous souhaitez enseigner durant votre séjour dans le hackerspace de votre choix. Le site aidera les hackers à gérer leurs propositions et discuter des meilleures pratiques, aussi bien qu’aider à rassembler de l’argent pour rafraîchir leurs espaces pour dormir si nécessaire. De plus, chaque hackerspace aurait une sorte de profil détaillant l’espace disponible, le type de cours qu’ils cherchent, les outils à disposition de la HIR1.”
Chaleur humaine et… confort relatif en vue :
« Cela pourrait être un hamac, un coin où mettre votre sac de couchage, un canapé, ou un lit de camp. Si vous avez un lieu où échouer, vous avez une auberge de hackers. »
Images CC by nc sa Noisebridge et hackerbus.eu
Photos de Mitch Altman par Ophelia Noor pour Owni cc-by-nc-sa
1. Hackers in Residence : Hackers en résidence [↩]
http://owni.fr/2011/10/06/compagnons-du-hacking/