http://owni.fr/2011/10/18/un-flic-pourfend-le-systeme/
Le
18 octobre 2011
Surveillance Jean-Marc Manach et Guillaume Dasquié
e jeudi 20 octobre, le Tribunal administratif se penchera sur le cas du commandant Philippe Pichon, exclu de la police nationale le 20 mars
2009
par arrêté de la ministre de l’époque Michèle Alliot-Marie, pour avoir évoqué
plusieurs pratiques illicites en vigueur dans la police. Et en particulier pour
avoir osé dénoncer les dysfonctionnements du Système de traitement des
infractions constatées (STIC).
Pichon,
qui entend bien retrouver tous ses droits, conteste le bienfondé de l’arrêté
ministériel. Et la juridiction administrative lui a, dans un premier temps,
accordé le bénéfice du doute en ordonnant sa
réintégration provisoire ; dans l’attente de cette audience de jeudi, consacrée
au fond du dossier.
Outre un essai décapant publié en 2007 chez Flam-marion, “Journal d’un flic”, son administration lui re-proche surtout d’avoir mené campagne contre ce STIC. Véritable “casier judiciaire bis” truffé d’erreurs et de données obsolètes, et dans lequel un certain nombre de policiers viennent piocher des infos en dehors de tout cadre légal. Le STIC fiche pas moins de 5 millions
de suspects et 28 millions de victimes, soit plus de la
moitié de la population française.
Après
avoir plusieurs fois alerté sa hiérarchie, en vain, sur ces dysfonctionnements,
ayant même “évoqué la possibilité de s’en ouvrir à la presse ou dans un
cadre universitaire“, Philippe Pichon aurait confié
les fiches STIC de Jamel
Debbouze et Johnny Halliday à un journaliste qui les
lui avait demandées afin d’en démontrer le peu
de sérieux – c’était dans la foulée du scandale autour du fichier
EDVIGE. Et le site Bakchich.info les publia dans un article intitulé “Tous fichés, même les
potes de Nicolas Sarkozy“.
Si le
STIC se révèle une encyclopédie de l’approximation et de l’erreur policière,
cependant, il était déjà interconnecté à un dispositif permettant de tracer l’ac-cès à ses registres. Permettant alors d’identifier pas moins de 610 fonctionnaires ayant
interrogé le STIC au sujet de Djamel et 543 au sujet de Johnny. 24
fonctionnaires ayant imprimé la fiche de
l’humoriste et 16 celle du chanteur. L’épisode avait entraîné l’ouverture d’une
autre procédure, pour violation du secret professionnel, confiée
elle à un juge d’instruction.
Qui
reçut des explications claires de Philippe Pichon, vite suspecté. Celui-ci
expliqua son “geste citoyen” en raison des nombreux
dysfonctionnements du STIC, au sujet desquels il avait plusieurs fois alerté sa
hiérarchie, en vain. Dans son ordonnance de renvoi, qu’OWNI a pu consulter, le
juge écrit d’ailleurs que le fichier :
a été unanimement critiqué et l’est encore notamment par la CNIL qui
avait relevé de singulières défaillances et avait émis 11 recommandations (…)
Il appartiendra au Tribunal de se prononcer en tant que Juge du fond sur la
légalité de l’acte administratif réglementaire ayant présidé à la
création du STIC.
Le renvoi de Philippe Pichon devant le Tribunal correctionnel, pour
violation du secret professionnel, accès frauduleux à un système automatisé de
données et détournement d’informations à caractère personnel, a quant à lui été
fixé au 22 mai 1012. C’est là que, par souci de
cohérence, les magistrats pourraient se pencher sur la légalité du STIC.
D’ici là, il semble peu probable que le Tribunal administratif prenne
le risque, ce jeudi, de confirmer l’expulsion
du commandant Pichon. Lequel pourrait bien être traité en héros, au mois de
mai, lorsque le débat portera sur le sérieux et la légalité de ce STIC.
Créé en 1994, légalisé en 2001, le STIC a fonctionné en violation de
la loi informatique et libertés pendant six ans. Lorsque la CNIL fut enfin autorisée à le contrôler, ses découvertes la
conduisirent “à faire procéder dans 25 %
des cas à des mises à jour, ou même
à la suppression de signalements erronés ou manifestement non justifiés” :
Par exemple, une personne signalée par erreur
comme auteur d’un meurtre, ou encore un enfant de 7 ans signalé dans le STIC
pour avoir jeté des cailloux sur un véhicule…
En 2008, la CNIL constata un taux record de 83% d’erreurs dans les fiches
STIC qu’elle fut amenée à
contrôler. Et, au terme d’une enquête approfondie de plus d’un an, la CNIL
estima que plus d’un million de personnes, blanchies par la justice, étaient
toujours fichées comme suspectes dans le STIC…
Illustration d’Obey
via Leo Reynolds/Flickr [cc-by-nc-sa]