http://owni.fr/2011/11/08/le-parti-pirate-allemand-veut-chavirer-la-politique/
Le 8 novembre 2011
Politique Sabine Blanc et Ophelia Noor
QG
du Parti Pirate à Berlin, novembre 2011
Comme parti d’opposition, vous pointez les
failles, vous trollez le gouvernement, c’est votre
boulot.
Le
tout jeune parti, cinq ans d’existence en Allemagne, ne rejoindra donc pas une
coalition. Une prise de position pragmatique, nous a argumenté Alex Morlang [de], un autre élu :
En Allemagne, des partis surgis de nulle part ont explosé, ils
ont rejoint une coalition et ils ont perdu. Il est difficile
et long d’apprendre comment le système marche, ce n’est pas une option, si nous
rejoignons la coalition, nous serons réduits en pièce ou déchiquetés. Nous
avons tant à faire, le premier trimestre sera consacré au budget, c’est un
travail de spécialiste. La première étape sera d’apprendre à survivre ici, même en
tant que parti d’opposition. Nous cherchons d’abord à travailler ensemble, au
sein du groupe, ce que nous n’avons jamais fait. Il faut que nous restions soudés, si l’un d’entre
nous part, il n’y a plus de groupe.
Ouvrir
la porte par principe
S’il
a bien été question de laisser la porte ouverte à des négociations, début
octobre1, c’est par principe et sans
illusions. Pavel clarifie ce point :
« Le SPD a le choix entre une coalition avec les Verts,
qui a échoué pour des raisons assez complexes, et avec la CDU,
précise Frédéric Happe, correspond à
Si
coalition il doit y avoir à Berlin, ce sera plus tard, d’ici deux ans avance
Pavel, après avoir ouvert le capot de la machine. En bon hacker -il est proche
du Chaos Computer Club,
célèbre club de hackers, ces adeptes de la bidouille technologique-, Pavel file la métaphore informatique :
La
machine politique du Parlement a des boutons, des leviers, que vous pouvez
contrôler, vous devez comprendre ce qui se passe si vous les actionnez. On modifie la machine quand on sait exactement comment
elle fonctionne.
Pavel
s’est déjà attelé à cette tâche, dès la session inaugurale, fin
octobre. Il a annoncé que le règlement intérieur devait évoluer afin que le parlementaire en tant qu’individu ait
plus de pouvoir, car actuellement, il favo-rise le
groupe. « Cela fausse le principe de démocratie,
avance-t-il. Un élu, qui représente 20.000
citoyens, est amené à faire le choix du groupe, au lieu du sien.
» Une tentative d’« update », de « patch2 incrémental de l’OS3 » accueillie par de l’incompréhension
: « la plupart des autres élus n’ont
pas compris. Ils sont là depuis 10, 20 ans, ils ne questionnent plus le système.
» Il va porter l’affaire devant la Cour constitutionnelle.
« Démocratie
liquide »
Aujourd’hui
tout frais, tout neuf, le propos exalté où perce parfois une sincère émotion,
nos pirates courent le danger le risque de l’institutionnalisation, comme les
Verts, broyés par le jeu des coalitions, divisés en deux fractions et
embourgeoisés après trente ans dans le jeu politique. Alex se marre :
«Bien sûr que cela nous fait peur ! Comme certains an-ciens des Verts ont rejoint le PP, nous avons la
possibilité de regarder leur histoire, nous sommes assez différents. Les Verts
des débuts, comme les Nazis, voulaient pro-téger les
arbres allemands, et de l’autre côté, il y avait des féministes et des pacifistes, qui discutaient de savoir s’il fallait
imprimer, beaucoup de débats chronophages. Maintenant nous avons Internet,
beaucoup de choses sont devenues possibles. Nous avons des pad, des wiki, nous
pouvons travailler indépendamment du temps et de l’espace, l’esprit le plus
brillant peut collaborer, cela change les choses de façon fondamentale. La
prochaine étape, c’est la démocratie liquide. »
La démocratie liquide consiste somme toute à revenir aux fondamentaux de la démocratie, en permettant aux gens de participer directement au processus politique : proposer des initiatives, les soutenir, les amender. L’accent est mis sur l’horizontalité, la transparence et l’obligation d’être constructif : vains trolls, passez votre chemin. Sa mise en œuvre passe par un outil tout neuf développé par le PP allemand depuis 2009, LiquidFeed-back [en]. Il est déjà aussi utilisé en Autriche, en Suisse et au Brésil. On attend encore la traduction française.
Pavel
Mayer, élu du Parti Pirate à Berlin, novembre 2011
L’outil
est là, opérationnel, mais les citoyens s’en em-pareront-ils
? « Au niveau fédéral, ⅓ du PP
participe, argumente Alex. L’idée attire les gens, certains nous ont rejoint pour ça. En Bavière, le système n’est pas implémenté,
les gens qui sont venus l’utiliser demandent “où est-il, où est-il ?” »
Le propos se fait plus enflammé :
Ce n’est pas l’idée classique de révolution,
“emparons-nous de l’usine”, nous n’avons pas pris l’encyclopédie, nous avons
construit la nôtre à la place de ça, et ils ont construit des réseaux pour la
consommation, on s’en fout, à la place, nous avons construit l’Internet. Ils
ont voulu nous vendre des logiciels, on s’en fout, nous avons fait des
logiciels libres, ils nous disent comment diriger un gouvernement, on s’en
fout.
On s’en fout, sauf que la loi ne permet pas de considérer des
serveurs informatiques comme un membre du PP et que la prise de décision passe toujours pas le bureau ou le convent.
Des
sauveurs, pas des ennemis
Un
tantinet optimiste, – voire prétentieux ? -, Pavel estime que cette envie de
changement est au fond partagée par les politiques :
Les
autres parties placent beaucoup d’es-poir en nous.
Ils pensent que nous avons un secret qu’ils doivent apprendre, ils ne nous
attaquent pas vraiment encore, ils sont curieux, ils ne nous regardent pas
comme les ennemis mais comme les sauveurs. Ils commencent à comprendre que la
société change, vers la société de l’information. Ils ne la comprennent pas
mais veulent l’embrasser, c’est le futur, ils ne peuvent l’éviter.
Pourtant,
quand de jeunes Verts ont proposé d’implémenter LiquidFeedback,
les anciens ont refusé. Démocratie pâteuse.
Texte : Sabine
Blanc
Photos : Ophelia Noor
1. les germanophones pourront écouter les débats ici, enregistrement du 5 et 11 octobre [↩]
2. en informatique, un patch
est une correction apportée à un bug sur un programme [↩]
3. operating system [↩]
Berlin
de l’AFP. Les Pirates ne pourraient entrer
en jeu que dans deux “constellations” tout aussi irréalistes l’une que l’autre.
D’une part Rot-Rot-Orange, avec le SPD et die Linke, car le PP a indiqué qu’ils
auraient du mal à collaborer avec Die Linke, notamment en raison des liens ou
une part de nostalgie de certains de ses membres envers la RDA et la Stasi, l’ancienne
police politique de l’Allemagne de l’Est ; ou Schwarz-Grün-Orange (la CDU et
les Verts). On imagine mal les Verts accepter de coopérer avec les Pirates qui
ont gagné le gros de leurs presque 9% en rognant sur l’électorat contestataire écologiste.
»
Toutefois,
dans la jungle parlementaire, certains seront plus amicaux que d’autres : « Nous essayerons aussi de former des alliances, nous
avons des choses en commun avec les Verts et die Linke »,
poursuit Alex Morlang. Des Verts pas si rancuniers
que ça, à l’en croire : « il y a trente ans, les partis détestaient
les Verts, ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour les bloquer. Les Verts ont
donc pris une décision pour nous soutenir car ils ne veulent pas que cela se
reproduise pour d’autres. »
De
même, cela n’exclut pas des alliances au niveau des arrondissements : « Le PP a fait quatre propositions et ils ont parlé aux
Verts, qui étaient ennuyés de voir ces jeunes débouler et vouloir changer les règles.
Ils en ont parlé aussi avec le SPD et Die Linke, ils en ont même parlé à la
petite fraction conservatrice de quatre personnes. À la fin
tous ont voté pour nos propositions », détaille Alex.