Dernière ligne droite avant la fin du monde

Quand j'ai vu mes petits parents adorés « sur leur 31 » prêts à aller diner je ne sais où, et quand ils m'ont grondé parce que je n’avais officiellement rien de prévu pour le nouvel an, je me suis demandé quelle drôle d'idée j’avais eu d’aller chez eux ce soir là. Il fallait que je me rapproche de l’œil du cyclone. Ils habitent à proximité du centre de Paris, ce qui est pratique si tu veux y aller rapidement.

par Mysteriouscow — - Samedi 14 janvier 2012

Mysteriouscow est né en 1976 dans le 93 où il habite aujourd'hui. Après un bac Economie et des études d'Arts Plastiques qui n'ont pas permis d'établir à ce jour s'il est un artiste ou pas, il s'engage dans l'assistance automobile où il a un peu l'impression d'être utile. Tiraillé par ses origines algériennes, sa culture musulmane et son homosexualité, il navigue à vue dans l'océan de l'intégration française  

Quand j'ai vu mes petits parents adorés « sur leur 31 » prêts à aller diner je ne sais où, et quand ils m'ont grondé parce que je n’avais officiellement rien de prévu pour le nouvel an, je me suis demandé quelle drôle d'idée j’avais eu d’aller chez eux ce soir là. Il fallait que je me rapproche de l’œil du cyclone. Ils habitent à proximité du centre de Paris, ce qui est pratique si tu veux y aller rapidement.

A

minuit, j’étais dans un Marais déserté. Marchant vers la discothèque qui accueillerait ma solitude, je m’interrogeais sur mes aspirations profondes. Des groupes de parisiens et de touristes alcoolisés se souhaitaient les meilleurs vœux dans toutes les langues. J’ai envoyé une quinzaine de SMS par téléphone. Il fallait que je fasse comme tout le monde.

Je pensais que c’était bizarre de me retrouver tout seul une nuit comme celle là.

 

B. était invité avec son mari chez quelqu’un d’autre. Il a mis du temps à me le dire, comme s’il n’osait pas me faire de la peine. Il faut dire qu’on a passé quelques réveillons sympathiques quand il était célibataire ! Mais il vit maintenant avec D. en banlieue parisienne et ils ont l’air très heureux. Nous nous voyons moins et pourtant, j’aime toujours sortir avec lui. J’aurais pu les inviter dans mon nouvel appartement. Mais je ne suis pas le mec qui fait à diner pour ses amis. Ce n’est pas dans mon logiciel.

 

Je préfère faire des cadeaux ou aller au restaurant, manger la nourriture de quelqu’un d’autre et la payer. Je me sens étranger à ces coutumes d’invitations mutuelles. Il faut entretenir son parc de connaissances. Les arroser comme des plantes. Prendre de leurs nouvelles régulièrement. C’est la convivialité à la française.

 

 

B. a grand nez

 

B. est un grand type. C’est une sorte de beau mec. Une bombe sexuelle ? Je reconnais qu’il a beaucoup de succès auprès des garçons et même des filles ! Enfin je le constate. Quand on se voit dans la capitale pour boire une boisson trop sucrée dans un café à la mode, il concentre toute l’attention. Le nombre de ses conquêtes dépasse largement le mien. Pourtant je n’arrive pas à le voir de l’extérieur, je le vois d’en dedans. Pour moi il n’est pas « beau » et je lui répète souvent qu’il a un grand nez pour le taquiner.

 

Pourtant il est clairement une version supérieure de moi. Il est prof quand je végète dans un boulot alimentaire. Il a fait son coming-out quand je m’entraine encore à le dire devant la glace de ma salle de bain. Il vit en couple quand je lorgne encore sur les promotions du sex-shop qui fait l’angle dans la rue du salon de thé.

 

Il ne m’intéresse pas sexuellement. Je jure que c’est vrai. Si je devais penser à une telle éventualité, cela me dégouterait autant que si c’était avec une de mes sœurs. C’est comme un membre de la famille avec qui je pourrais avoir une discussion intime et salace. Et il est définitivement trop maigre !

 

Et puis il y a eu des périodes où on ne s’est même plus parlé pendant un moment. Il lui arrive de me reprocher des choses dont je ne pense pas être responsable mais je me sens alors très privilégié. J’ai des comptes à rendre à quelqu’un.

 

J’aime la compagnie de B. aussi parce qu’il attire vers lui tous ces regards de gourmandise. Et c’est très confortable pour moi parce que j’aurais aimé avoir le don d’invisibilité. Je dois inconsciemment faire de l’agoraphobie !

 

Quand il a finalement lâché l’autre soir au bar, dans un souffle « On est invités chez A. pour le réveillon » je me suis dit que c’était l’occasion de m’émanciper et de sortir enfin tout seul. C’était une sorte de nouvelle résolution.

 

 

Réservé aux garçons

 

J’ai consulté Internet pour voir ce qu’il y avait d’excitant dans la ville et il y avait cette soirée branchée « réservée aux garçons » dans une boite gigantesque à République où j’étais déjà allé avec d’autres potes.

 

Cet endroit de Paris est un peu le carrefour toxique de plusieurs groupes irréconciliables. Les branchés, les gays, les petites cailleras qui font semblant de ne pas aimer la bite, les filles avec des jupes trop courtes, les provinciaux trop bourrés pour constater qu’ils se font piquer leur portefeuille et ceux pas assez beurrés pour se croire obligés de chercher la bagarre avec le premier venu. Ajoutons à ça la Brigade Anti Criminalité et le SAMU qui viennent dire « coucou ! » toutes les heures et si tu n’as pas encore les chocottes avant de te présenter devant les videurs, c’est que tu es un dieu.

 

J’ai toujours cette appréhension très « 93 » de me faire refuser l’entrée d’une boite quand je viens à Paris. N’importe laquelle. Et je déteste passer devant tout le monde dans la file d’attente comme si j’étais une célébrité à la con. Une fois le videur d’un établissement des Champs Elysées m’a serré la main quand il m’a fait entrer pour justifier peut être de me laisser passer au détriment de mecs super bien sapés alors que j’avais, je le reconnais, une chemise que je me refuse à renier à ce jour.

 

Là, je suis passé devant les vigiles assez facilement. En souriant. Et mort de trouille. Des mecs au regard hostile étaient assis dans un grand canapé circulaire, la cigarette au bec pour suçoter quelque chose de palpable. D’autres formaient la file devant les vestiaires. Il y avait des filles et des garçons de tous les sexes. Comme un avant goût du jardin d’Eden.

 

Dans trois espaces différents cohabitaient une ambiance laser-techno-house-boum-boum, une autre avec des remixes de variété internationale et la dernière près d’un fumoir, arborait un écran diffusant des films pornographiques devant une sorte de backroom étroite et sombre composée de banquettes disposées comme dans une arène rectangulaire.

Un peu le repaire de tous les mecs qui voulaient danser et baiser dans la même soirée.

 

Je reste persuadé qu’on ne peut bien faire certaines choses que confortablement installé dans un fauteuil ou un grand lit. Mais j’ai quand même scruté les hommes présents.

 

D’abord, il y avait le porno qui passait en boucle avec des acteurs blancs bodybuildés qui semblaient ne jamais éjaculer. Ensuite, le barman blond qui avait un petit sourire en coin parce qu’il se tenait devant la télévision. Et qu’il s’amusait sûrement de voir chaque nouveau client lui commander un alcool machin en regardant le plasma. Et quatre types le sexe à la main qui s’excitaient rapidement face à un petit groupe nu dont les bouches et les pénis avaient trouvé les prises correspondantes.

 

Il y avait ce garçon au physique irréel qui me regardait en se faisant sucer. Il était indéniable qu’il ne me voyait pas, mais qu’il était pris dans une sorte de douce hébétude. Ses yeux étaient comme vidés. Il semblait se dire qu’il vivait un instant incroyable et en même temps il était possible que ce fût juste la routine pour lui. Mon esprit analysait ces conneries comme ça.

Le drame de la bogossitude, c’est de baiser encore et encore sans ressentir quoi que ce soit de particulier ?

 

 

Torse nu

 

Il y avait maintenant des mecs qui s’approchaient les uns des autres en se touchant le corps comme quand on est dans l’obscurité et on y était. Deux petits gars en costard-cravate pratiquement échappés d’un mariage, se chauffaient puis l’un a pris la bouche de l’autre avec son membre. C’était amusant et excitant à la fois.

 

Et une connasse farouche, genre étudiant en arts plastiques survolté « Je garde le sac de ma copine » s’est postée devant moi à ce moment précis. On aurait dit le copain officiel du sucé hébété. Il lui caressait les cheveux comme pour dire à tout le monde « Enfin zut, il jute et après il remet son calbute ! ». Je me suis alors dirigé vers la grande salle pour sentir d’autres vibrations comme appâté par la musique qui venait de l’autre coté.

 

Déjà une majorité de mecs étaient torses nus. Certains collés les uns aux autres. Préludes d’une danse sexuelle qui se terminerait près du fumoir. Sur la scène, à coté du DJ, évoluaient quelques performers à la dégaine incroyable, matadors musclés et précieux, créatures dorées. Voir des adultes consentants faire des choses aussi fantaisistes était remarquable.

 

Ce type de soirée induit une idée qui me semble nouvelle. Il n’est plus nécessaire de rater la musique pour se taper quelqu’un qui nous intéresse. On peut rester encore quelques heures après avoir léché son prochain. Plus besoin de rentrer avec lui pour constater qu’il n’est pas si terrible que ça. Un fast-food du sexe. Et quelques infrabasses pour remplacer la mayonnaise. On ne va plus honteux au bordel, c’est celui-ci qui vient à nous.

Il nous saisit précisément au moment où dans l’obscurité notre main va chercher autre chose qu’une autre main. Et il met à la disposition des plus téméraires des seaux pleins de préservatifs et de poches de gel lubrifiant.

 

 

Politesse de club de Q

 

Je danse d’une manière très caractéristique. Sans chercher quoi que ce soit. Juste pour le plaisir de ressentir les vibrations me parcourir comme des ondes en terrain conquis. Et je vois invariablement passer les mêmes mecs qui semblent me dire avec les yeux « Et mes fesses, tu les aimes mes fesses ? »  Se contenter de les regarder refaire le même cinéma à 10 autres personnes. Des fois, tu hausses les épaules et tu enlèves délicatement la main de celui qui commence à te titiller les tétons en se léchant les doigts.

Parce que si on ne fait pas l’amour, on n’est pas obligés de faire la guerre non plus.

 

C’est peut être l’inconvénient de ce genre d’endroit. Quand bien même l’idée de danser à proximité d’un lieu de baise, fait son petit effet quand on est un peu coquin, il est toujours agréable d’être respecté et traité avec égard.

Si la Drag-queen te fait la bise, il faut lui sourire et la complimenter sur son look. C’est une question d’éducation !

Si le Swagg boy te tourne autour pendant 5 minutes, tu te dois de le considérer même s’il te glisse entre les doigts sitôt qu’une Beyonce du 95 le tire par le bras parce qu’elle veut attraper le premier métro.

 

Et il est désagréable d’imaginer qu’en effleurant sans arrières pensées le torse ou le cul d’un mec que l’on souhaite juste ne pas bousculer, l’on passe pour le dernier des pervers. Et sans doute que ça lui plaise aussi.

 

Comme la chaleur des corps s’additionne vite, j’aime alors marquer la mesure avec un flyer trouvé sur place et l’utiliser comme éventail. Cela me donne une dégaine unique qui me ravit ! J’essaie de trouver un tract suffisamment rigide et dont le message ne soit pas trop explicite (que celui qui ne s’est jamais servi d’un carton publicitaire « Prends-moi » sans envoyer involontairement les mauvais signaux, me jette la première pierre).  

Et sans me prendre pour un seigneur de la piste de danse, je tente de garder le rythme pour me mouvoir. Et comme je donne virtuellement la mesure au DJ, je peux avoir l’impression, dans un moment de pure illusion, de contrôler les boucles rythmiques qui s’abattent sur mon corps.

 

 

Sur place ou à emporter ?

 

J’ai quelquefois envie de fermer les yeux, mais comme j’ai peur de vaciller sous l’effet de l’ambiance apocalyptique, je reste aux aguets.

 

Pourquoi faudrait-il absolument que je rentre avec un garçon ? Pour lui dire quoi dans le taxi ? Pour que l’on s’embrasse vigoureusement dans le noir et qu’en allumant la lumière on se déplaise, mais qu’on ait tellement envie d’aller au lit qu’on aurait rien à se dire de plus ?

Plutôt lui faire sa petite affaire dans la salle n°3 et se vider... l’esprit d’une telle obligation.



Et quand je regarde les mecs s’embrasser dans la petite pièce assombrie et d’autres me regarder avec une envie coquine dans les yeux, je souhaite danser jusqu’à la fin des temps car je me dis que l’année 2012 sera réellement celle de la fin du monde.



La fin du monde comme il était avant mon coming-out.

Ce sera un putain de cataclysme, mec !


Mysteriouscow —

Notes

Tu peux écouter ça pendant la lecture de ce texte : http://youtu.be/Jz_Tkzvbkho et http://youtu.be/SlqUTf460oU