vendredi 29 juin 2012
17:38
Richard Stallman, précieux radoteur
Le 29 juin 2012 Sabine Blanc et Ophelia Noor
Le pape du logiciel libre a donné une conférence ce jeudi à Paris sur le thème ”Logiciels libres et droits de l’Homme”. Son discours prend une dimension supplémentaire dans un contexte de surveillance croissante des citoyens.
Richard Stallman à La Mutinerie Coworking à Paris, le 28 juin 2012 - (cc) Ophelia Noor
La Mutinerie, ses flamboyantes tentures rouges et son coffre de pirate en guise de table : l’espace parisien de co-working était tout désigné pour accueillir la conférence de Richard Stallman, hacker mythique qui a initié le mouvement du logiciel libre, sur le thème ”Logiciels libres et droits de l’Homme”. Une initiative des ONG la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) et Reporters sans frontières (RSF), de leurs amis du cluster de hackers Telecomix, de Silicon Maniacs, avec le soutien de l’agence de communication LIMITE.
En mode automatique, Richard Matthew Stallman, rms pour les intimes, a délivré son laïus habituel, devant un public acquis. Le même depuis presque trente ans, lorsqu’il claqua la porte du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT en 1983 pour développer GNU1, un OS dont le code est ouvert, en réaction à la logique propriétaire de plus en plus prégnante, gros sous oblige. Un retour à la nature originelle des logiciels puisque, on l’oublie souvent, les programmes ont d’abord été libres par défaut. Dans la foulée, la Free Software Foundation (FSF) est créée pour soutenir le projet.
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Plus qu’un paramètre technique, l’ouverture du code est pour Richard Stallman une véritable philosophie. Il la résume en trois petits mots qui nous sont familiers, rappelé en ouverture, dans un français impeccable :
Liberté, égalité, fraternité.
Un triptyque d’où découlent quatre obligations, “quatre nouveaux droits de l’homme”, dans une société où l’informatique joue un rôle central : liberté d’utiliser le logiciel, de l’étudier, de le modifier et de le redistribuer. Mais aussi une quadruple obligation que doit respecter un programme pour pouvoir prétendre à une des licences labellisées “libre”.
Conférence de Richard Stallman sur les logiciels libres et les droits de l'homme à la Mutinerie Coworking à Paris, le 28 juin 2012 - (cc) Ophelia Noor
Stallman est bien sûr agaçant par son côté sectaire, son intransigeance, qui consiste à démonter méthodiquement les outils que la plupart des gens utilisent au quotidien, en ignorant (faisant semblant de ?) que l’utilisateur lambda se contrefiche de savoir que Microsoft a mis des portes dérobées (backdoors) pour modifier Windows, ce “malware universel”, ou qu’il ne peut pas tripatouiller le code, tant que ses besoins sont satisfaits. Lassant encore quand il file, as usual, la petite claque à Linux, l’OS libre à succès développé par Linus Torvalds et la grosse baffe à l’open source, avatar marketé parfois moins pointilleux sur les licences, qui a commis le crime de mettre en avant l’efficience des outils libres plutôt que l’éthique.
Richard Stallman joue d’ailleurs de cette étiquette en tonnant à moult reprises “parlez plus fort, je n’entends pas” (il est sourd comme un pot), ou en endossant le costume de Saint iGNUcius :
Saint iGNUcius, de l’Eglise d’Emacs2
Je bénis ton ordinateur
Nous adorons le seul vrai éditeur d’Emacs
Tu dois prononcer la confession de foi :
Il n’y a aucun autre système que Gnu et Linux est un de ses noyaux
Richard Stallman, transformation en Saint iGNUcius avec la robe et l'auréole -(cc) Ophelia Noor
Si l’homme occidental moderne fait furieusement penser au Discours de la servitude volontaire, de la Boétie, c’est somme toute son problème. En revanche, quand la liberté de communiquer, voire des vies, sont en danger, l’argument du “contrôle du logiciel sur l’utilisateur” pèse d’un poids nouveau. Et malheureusement, la surveillance du réseau s’accroit, comme l’a rappelé Antoine Bernard, le directeur général de la FIDH :
En Colombie, le président Uribe s’est livré à de l’espionnage sous couvert d’une procédure anti-terroriste. Des défenseurs des droits de l’homme, des magistrats, des policiers, ont été poursuivis jusqu’en Europe, leurs communications ont été interceptées.
Lui-même s’est fait tacler par rms pour utiliser Skype. Le bien pratique logiciel est troué comme une passoire et il a servi à espionner les opposants syriens grâce à un mouchard. Et ce n’est qu’un exemple.
Dès lors, il était logique de “connecter le monde du libre et des droits de l’homme”. La FIDH a “intégré l’enjeu depuis 2000″, les logiciels libres ont été installés, “non sans peine” car il est difficile de tourner le dos au “confort fallacieux de certains logiciels”, pour reprendre les termes de Nicolas Diaz, le webmaster de la FIDH. RSF, qui défend également des blogueurs et netcitoyens, souhaite aussi “engager plus la communauté du libre”.
“Bull éclaté”
Impossible de ne pas évoquer le cas d’Amesys, cette filiale de l’entreprise française Bull qui a vendu des systèmes de surveillance à des dictatures. La dualité de la technologie a bon dos, quand il s’agit de faire du chiffre d’affaires. La FIDH et la LDH ont déjà eu la satisfaction de voir que leur plainte déposée cet automne visant la société pour complicité d’actes de torture en Libye a permis l’ouverture d’une information judiciaire.
Gnu contre le taureau, Richard Stallman était symboliquement entré dans l’arène au printemps lors d’un séjour en Tunisie, le temps d’un happening, prouvant que le vieil oncle radoteur est aussi un gardien sacrément vigilant :
Photographies
par Ophelia Noor pour Owni
Owni a publié en ebook sur Amsesys, Au pays de Candy, enquête sur les marchands d’armes de surveillance numérique
Nos confrères des Inrockuptibles ont demandé à Richard Stallman de conseiller François Hollande. Dommage que les équipes du cabinet de la nouvelle ministre de la Culture Aurélie Filippetti soient déjà constituées, avec un certain tropisme hadopiesque.
1. pour Gnu is Not Unix. Créé en 1970, l’OS révolutionnaire Unix s’est développé dans les années 70 avec succès : son code était distribué librement et il a donc attiré de nombreuses contributions, avant de redevenir propriétaire en 1983. Lire le détail des débuts de GNU dans Richard Stallman et la révolution du logiciel libre – Une biographie autorisée [↩]
2. Cet éditeur de texte a été développé par Stallman depuis les années 70, et lui a valu une grande renommée dans le milieu des hackers. Il est si puissant qu’il peut quasiment remplacer toutes les autres applications. [↩]
Collé à partir de <http://owni.fr/2012/06/29/richard-stallman-precieux-radoteur/>