vendredi 13 juillet 2012

17:44

 

Haro sur Bernard Arnault ?

mardi 11 septembre 2012

Qu’y a-t-il de plus scandaleux : que M. Bernard Arnault réclame la nationalité belge afin de préparer l’ « optimisation fiscale » de sa fortune — la première française et quatrième du monde — ou que les politiques publiques successives (en France, en Belgique, ailleurs) aient offert de telles possibilités à leurs contribuables les plus opulents ? On ne peut libérer le marché des capitaux, laisser proliférer les paradis fiscaux, y compris en Europe, et se plaindre ensuite que les individus pour qui de telles décisions sont prises choisissent d’en tirer le meilleur profit.

Le fait que des responsables de la droite française — et au premier rang l’ancien premier ministre François Fillon — se soient aussitôt portés au secours de M. Arnault signale assez que le problème dépasse très largement le comportement incivique d’un milliardaire ordinaire. Il n’est d’ailleurs pas invraisemblable que M. Arnault compte prochainement d’autres avocats. Ayant servi de témoin de mariage à M. Nicolas Sarkozy (1), ayant recruté nombre de personnalités politiques, de droite et de gauche, au sein de son groupe (Mme Bernadette Chirac, M. Nicolas Bazire, M. Renaud Dutreil, M. Hubert Védrine, M. Christophe Girard), ayant acheté le principal quotidien économique français — Les Echos —, les appuis ne devraient pas lui être mesurés. Des journalistes comme Guillaume Durand et Jean-Pierre Elkabbach n’ont jamais dissimulé l’admiration que leur inspirait la première fortune de France, par ailleurs grosse dispensatrice de publicité dans la presse.

Pourquoi ne pas rappeler aussi qu’il y a moins de dix-huit mois, lorsque M. Arnault a reçu le « prix Woodrow Wilson de la citoyenneté d’entreprise et du service public », il a été qualifié de « grand citoyen du monde » par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair, invité d’honneur de la soirée. Puis présenté comme soucieux de la place des femmes à tous les niveaux hiérarchiques, offrant des emplois aux handicapés, préoccupé par la protection de l’environnement et consacrant d’importantes ressources à la promotion des arts. M. Arnault, qui n’est pas très modeste, indiqua également à cette occasion aux journalistes qu’il avait été reçu par le président Barack Obama à la Maison Blanche et qu’il avait parlé avec lui de la situation économique mondiale (2).

Evoquèrent-ils déjà le niveau de la fiscalité pour les revenus les plus démesurés ? Il semble bien en effet que c’est là qu’il faut chercher, et pas très longtemps…, le motif principal de la passion subite du « grand citoyen du monde » pour le « modèle belge » en matière de paradis fiscaux. Car depuis que, paraît-il, à la suite de la parution d’un article du Monde diplomatique (3), M. François Hollande a annoncé, le 27 février 2012, son intention de taxer à 75% les revenus supérieurs à 1 million d’euros par an, c’est le tollé — et le tocsin — dans le petit monde des grandes fortunes.

Industriel qui sait se montrer intraitable avec les ouvrières qu’emploie son groupe de luxe LVMH ou les employés des magasins Carrefour dont il est un gros actionnaire (4), M. Arnault avait déjà quitté la France pour les Etats-Unis peu après l’élection de François Mitterrand à l’Elysée. Et il n’en revint qu’une fois rassuré sur les risques que les socialistes faisaient courir aux grandes fortunes françaises. Le chantage à la délocalisation qu’annonce sa passion soudaine pour la Belgique lui vaudra-t-il d’être bientôt apaisé, cette fois par M. François Hollande ? Lors de son intervention télévisée d’avant-hier, en tout cas, le chef de l’Etat, assez indulgent envers le contribuable le plus riche de la République, a estimé que celui-ci « aurait dû bien mesurer ce que signifie demander une autre nationalité. » M. Arnault sait « mesurer ». C’est-à-dire prendre la mesure des gens dont lui et sa fortune n’ont rien à redouter.

(1) Le 12 avril 2012, M. Sarkozy, alors président de la République, confiait au Parisien : «  Bernard Arnault qui rachète à trente-cinq ans le groupe Boussac et qui en fait, en vingt ans, LVMH, un des plus grands groupes du monde, ça ne me gêne pas qu’il gagne de l’argent.  »

(2) AFP, 8 avril 2011.

(3) Plusieurs récits de journalistes indiquent que c’est à la suite de la publication par Le Monde diplomatique de l’article de Sam Pizzigati «  Plafonner les revenus, une idée américaine  » (février 2012) que M. Hollande a annoncé son intention de créer un impôt supplémentaire de 75 % frappant les revenus supérieurs à 1 million d’euros. Lire en particulier Franz-Olivier Giesbert, Derniers carnets. Scènes de la vie politique en 2012 (et avant), Editions Flammarion, mai 2012, pp. 141-142, et Odile Benyahia-Kouider, «  75% : ces pleureuses qui ont fait le forcing auprès de Hollande  », Le Nouvel Observateur, 30 août 2012.

(4) A la suite d’un mouvement social, les salariés de Carrefour ont obtenu l’année dernière une augmentation de 1% de leurs salaires, soit 10 euros par mois en moyenne.

 

Collé à partir de <http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2012-09-11-Arnault>