Le racisme anti-blanc n'existe pas, mais il a gagné.

Il faut réagir contre l'inique instrumentalisation de la gastronomie française par les tendances identitaires!!! Après le saucisson, le jambon et le pinard, le pain au chocolat est sur le point de devenir une cause nationaliste. Quand Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les young terminators de la Droite dure (tout ça se résume peut-être qu'à une longue métaphore de bandaison), passent sur les plateaux, non seulement ils replacent sans style les termes de nations/peuple/patrie, mais surtout ils tentent nous faire associer le goût du pain au chocolat avec le goût de l'indignation envers le racisme anti-blanc. La gauche avait jusqu'à présent l'exclusivité de la dialectique compliquée : être contre quelque chose qui est contre (contre le racisme, le classisme, le sexisme, bref contre les discriminations...). Maintenant, la droite s'y est mise, et elle adore ça. 

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Richard Mèmeteau

par Richard Mèmeteau - Dimanche 28 octobre 2012

Professeur de philosophie, co-fondateur de Freakosophy, geek attardé, fan de comédie US, discuteur de théories en tout genre dans les cafés, et, depuis 2005, amoureux de Kele Okereke, le chanteur de Bloc Party.

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Il faut réagir contre l'inique instrumentalisation de la gastronomie française par les tendances identitaires!!! Après le saucisson, le jambon et le pinard, le pain au chocolat est sur le point de devenir une cause nationaliste. Quand Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, les young terminators de la Droite dure (tout ça se résume peut-être qu'à une longue métaphore de bandaison), passent sur les plateaux, non seulement ils replacent sans style les termes de nations/peuple/patrie, mais surtout ils tentent nous faire associer le goût du pain au chocolat avec le goût de l'indignation envers le racisme anti-blanc. La gauche avait jusqu'à présent l'exclusivité de la dialectique compliquée : être contre quelque chose qui est contre (contre le racisme, le classisme, le sexisme, bref contre les discriminations...). Maintenant, la droite s'y est mise, et elle adore ça. 

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videmment, l'histoire du pain au chocolat est ridicule (dernier avatar de la vanne : « Il n'y a pas un papier de cigarette entre le programme de F. Fillon et celui de J-F. Copé – si, au moins un pain au chocolat » @ Ce soir ou jamais, émission du mardi 23 octobre). Pourtant une fois les moqueries épuisées, et le sens de la vérité définitivement corrompu, le concept de racisme anti-blanc est resté (l'histoire, on le sait, n'a pas pu se passer ces deux dernières années, puisque le pain chocolat volé au petit écolier et détruit est supposé l'être sous prétexte de ramadan, alors que le ramadan est tombé deux ans d'affilée pendant les vacances scolaires – seule Nadine Morano avance sans preuves dans un tweet que l'histoire a eu lieu il y a 4 ans...). La France n'est en effet pas apte à comprendre pourquoi le concept de racisme anti-blanc est absurde ; elle n'a pas le logiciel pour l'éradiquer.

Un passage de l'émission du Grand 8, du 16 octobre, illustre parfaitement le problème : on était déjà en queue de comète de l'affaire des pains au chocolat, et c'est Guiullaume Peltier, le junior de la Droite Forte, qui était invité chez les copines d'Audrey, de Roselyne et de Laurence. Elles ont parlé de la petite anecdote de Copé. Comme en France la politique c'est de la littérature, on a analysé le discours, décortiqué les stratégies, et on s'est mis d'accord. Evidemment c'est un appel du pied au FN, qui a popularisé le terme bien avant l'UMP. Alors passée la littérature, voilà qu'Audrey Pulvar ajoute pourtant que bien sûr que le racisme anti-blanc existe (il y a des cons partout). « Le racisme, c'est le racisme, c'est tout, qu'il soit dirigé contre les noirs, les blancs ou qui que ce soient ». Ce qui pose problème, selon elle, c'est de ne parler que du racisme anti-blanc, en oubliant les autres. D'ailleurs, son autre chroniqueuse, Hapsatou Sy, ajoute qu'elle a été la première à dénoncer le racisme anti-blanc. Ainsi, le racisme anti-blanc existe bel et bien. On a perdu. On n'a toujours aucune idée de ce qu'est le racisme.

 

 

La philosophie française du racisme

 

En France, on est complètement nuls sur le racisme, désespérément nuls. À ma connaissance, il n'y a peut-être qu'un tout petit chapitre de La Condition noire de Pap Ndiaye qui montre assez bien l'absurdité du racisme anti-blanc. Mais pour le reste, nous autres, le commun des François, on parle du racisme à toutes les sauces (anti-jeunes, anti-vieux, anti-prof, anti-flics...). Et on a tellement l'habitude de tout confondre qu'on noie allègrement le poisson dans la sauce dès qu'une occasion se présente. Rappelons juste – pour que l'inaltérable mémoire du net n'en perde jamais la trace – que dans la foulée de l'affaire du racisme anti-blanc, Florence Parisot s'est mise à parler de racisme anti-entreprises ! Il ne s'agit même plus de personnes, d'humains, mais elle s'en fout... Pourquoi pas du racisme anti-voiture française (personne ne veut en acheter), anti-bouillote (ringarde), ou anti-bouteille (trop souvent cassée pour rien) ?

 

Peut-être justement parce qu'on a beaucoup trop philosophé là-dessus, avant de tenir compte de la prise de parole des minorités concernées, on croit que le racisme c'est une façon de penser, une idéologie (ou une passion, pour citer Sartre) – et non la situation concrète d'un certain rapport de force... On a fait du racisme une pure affaire privée, une affaire de pensée. Alors que les Américains savent depuis Frederick Douglass que le racisme est le fruit d'une certaine organisation sociale.

 

En tant qu'idéologie, le racisme est partout et nulle part. Il est là où on pourrait le voir. Alors, si on veut regarder de près les miroitements grasseux d'une chocolatine, on l'y trouvera ! La théorie de la supériorité de la race blanche a beau avoir été déclarée scientifiquement absurde depuis longtemps, en tant que façon de penser – mieux : Lebensanschauung – elle continue de s'appliquer à tout et n'importe quoi. Il faudrait peut-être tout simplement arrêter de penser que le racisme est une simple généralisation, sous peine d'être tous racistes parce qu'on prononce les mots « noirs », « blancs » ou « rebeu ». Par ailleurs, l'antiraciste combattant en général le racisme risquerait, sur le même principe, de devenir lui-même raciste, et finirait par s'auto-réfuter (on reconnaîtra ici les vaines arguties d'Eric Zemmour) !...

 

On peut tout apprendre du racisme au détour d'un article écrit par un américain. Je suis tombé par hasard sur cet article de Brandon M. Easton, un dessinateur afro-américain de comics, qui y parle de la situation des Noirs dans l'industrie des comics.

D'après lui, l'industrie des comics est raciste. Attention, non parce que Captain America est travaillé par une haine secrète à l'égard de Black Panther, ni parce que les dessinateurs noirs sont délibérément renvoyés des maison DC ou Marvel. Mais parce que la représentation des scénaristes ou dessinateurs Noirs est tout à fait sous-proportionnée par rapport au lectorat lui-même Black ou latino. Il s'agit d'une situation concrète, et non de la dénonciation d'actes individuels de racisme. Malgré la légitimité qu'auraient ces dessinateurs ou scénaristes, l'industrie reste majoritairement blanche. On peut citer des cas de racisme manifeste, nous explique Brandon M. Easton, mais le vrai problème n'est pas là : « Je ne suis pas un avocat de la cause de l'affirmative action dans les comics. Soit vous avez du talent, soit vous n'en avez pas. Le problème est que ces talents n'ont pas la même opportunité de présenter leurs idées que les autres. Les chiffres ne mentent pas. La question est : pourquoi le chiffre est si bas ? » Autrement dit, le problème n'est pas un homme, une façon de penser, le problème est celle d'une situation inégale qui se conserve elle-même, le problème est celui de l'institutionnalisation du racisme.

 

 

Racisme individuel et racisme institutionnalisé.

 

En France, on confond deux choses: les préjugés (les simplifications, les réductions, les essentialisations de certaines catégories de personnes) et le racisme (un certain rapport de pouvoir qui entraîne l'aggravation des inégalités entre un groupe par rapport à un autre). On peut aussi parler de racisme individuel et de racisme institutionnalisé.

 

Stokely Cormichael, le militant des droits des Noirs fait cette distinction très clairement en 1967 dans l'un de ses discours, The Dialectics of Liberation. « Laissez-moi vous donner un exemple du racisme du premier type. Quand des terroristes blancs non-identifiés font exploser une église noire, et tuent cinq enfants, on a affaire à un acte de racisme individuel, largement déploré par tous les segments de la population mondiale. Mais quand dans la même ville, à Birmingham, Alabama, non pas cinq mais cinq cents bébés meurent chaque année à cause du manque de nourriture décente, de toits ou d'aménagements médicaux, et que des milliers en plus sont détruits et estropiés physiquement, intellectuellement et émotionnellement à cause des conditions de pauvreté et de discrimination dans la communauté noire, c'est un effet du racisme institutionnalisé ».

 

J'espère que la chose est claire par elle-même : le racisme anti-blanc n'a pas de sens, car dans cette société, les Blancs ne sont pas les victimes d'un racisme institutionnalisé. Être agressé sur la base de préjugés absurdes est toujours un mal, mais l'apparence de légitimité qui enveloppe le racisme partagé le rend encore plus insupportable. Les choses sont donc beaucoup plus simples si vous acceptez de reconnaître qu'on a bâti notre démocratie moderne sur les cendres d'une ancienne société esclavagiste. Dans cette société, un préjugé raciste envers un Blanc n'a pas le même poids qu'un préjugé raciste contre un Noir. C'est peut-être la même démarche intellectuelle – et encore – mais insérée dans une certaine société raciste, cette pensée sera une pure et simple injustice. Pour continuer, un préjugé homophobe n'a pas le même poids qu'un préjugé anti-hétéro. Et une énième blague sur les chrétiens n'aura jamais le même poids qu'une caricature de Mahomet dans un journal satirique. Pourquoi ? Parce qu'on vit dans une société à majorité blanche, chrétienne et hétérosexuelle. C'est un fait, et vous aurez beau être sympa, et compréhensif, ça ne changera rien à la situation politique concrète. Le racisme n'est pas qu'une question d'intention, et de mode de penser.

 

Stokely Cormichael et Brandon M. Easton expliquent que lorsqu'on parle de racisme; le premier mouvement de l'interlocuteur est de s'excuser, mais aussi de relativiser : lui, personnellement n'est pas raciste, donc tout va bien. La charge de la preuve revient alors tout de suite à celui qui parle de racisme. Si vos interlocuteurs affirment ne pas l'être – et évidemment, ça ne coûte à personne de dire qu'il aime le couscous, ou qu'il a déjà voyagé en Martinique – vous vous retrouvez seul comme un con, à porter désormais l'accusation d'un racisme inversé. Car vous accusez l'autre (plutôt le Blanc, dans ce cas de figure) de rester aveugle au racisme institutionnalisé. Le racisme anti-blanc est donc aussi vieux que le discours de Cormichael, aussi vieux que le racisme lui-même. C'est sa première ligne de défense.

 

Voilà la faille française : même si nous pensons individuellement que tout le monde est sympa, et qu'on devrait aller plus souvent en club pour danser ensemble, les Noirs / Blancs / Rebeu / Indiens / Asiatiques / Latino etc... notre avis individuel sur la question ne compte pas vraiment. Ce qui compte est l'état de la société. Le simple fait que le débat sur le racisme anti-blanc fut lancé que par des hommes politiques blancs prouve à quel point, le racisme anti-blanc s'est lui-même réfuté... Peut-être d'ailleurs, à la grande colère de ceux qui sont véritablement victimes d'actes individuels de racisme et qui trouvent les plus mauvais défenseurs dans les représentants de cette nouvelle Droite-forte-qui-n'est-pas-molle-car-elle-n'a-pas-de-problème-d'érection (merde, qu'est-ce qu'ils prennent à la fin pour l'avoir si dure, leur droite...?). 


Richard Mèmeteau