Aaron Swartz, un hacker qui avait soif de connaissance

Hommage | Le suicide d'Aaron Swartz ne laisse pas les internautes indifférents. Car ce hacker de 26 ans avait fait de la libération de l'information un combat personnel.

Le 15/01/2013 à 12h35

Nicolas Delesalle et Thomas Bécard

Aaron Swartz, au Boston Wiki Meetup, en août 2009. Photo: Sage Ross (licence CC by-sa)

Quasiment inconnu du grand public jusqu'à son suicide le 11 janvier dernier, Aaron Swartz est peut-être en train devenir la première icône de la lutte pour la libération des biens intellectuels. Le jeune homme s'est suicidé à 26 ans, un mois avant l'ouverture de son procès pour fraude électronique, au terme duquel il risquait une peine de trente-cinq ans de prison. Depuis juillet 2011, la justice américaine lui reprochait d'avoir illégalement téléchargé depuis le MIT (Massachusetts Institute of Technology) puis mis à disposition du public 4,8 millions d'articles scientifiques normalement accessibles par abonnement sur le portail JSTOR (quasiment la totalité du catalogue).

Chargé de la procédure, le procureur Steve Heymann, connu pour avoir par le passé obtenu une condamnation à vingt ans de prison pour un dossier de piratage de cartes bleues, voulait faire un exemple avec le cas Aaron Swartz.

Aux Etats-Unis, ni les observateurs, ni la famille d'Aaron ne taisent les liens entre les poursuites judiciaires dont il faisait l'objet et son geste désespéré : « La mort d'Aaron n'est pas seulement une tragédie personnelle, a écrit sa famille dans un communiqué. C'est le résultat d'un système judiciaire où l'intimidation et les poursuites excessives sont monnaies courantes. Les décisions prises par le bureau du procureur et le MIT ont contribué à sa mort. »

Jeune prodige de l'informatique, connu de la sphère internet pour avoir co-inventé les fils RSS à l'âge de 14 ans puis pour avoir participé à l'essor du site de partage de liens Reddit, Aaron Swartz était devenu le porte-étendard du Guerilla Open Access, mouvement de désobéissance civile prônant la réappropriation par tous les moyens possibles des fruits de la recherche publique accaparés jusqu'à aujourd'hui par les éditeurs commerciaux.

« L'information, c'est le pouvoir, écrivait-il dans une profession de foi, le Guerilla Open Access Manifesto, publié en juillet 2008. Mais comme tous les pouvoirs, certains veulent le garder pour eux seuls. L'héritage du monde scientifique et culturel, publié depuis des siècles dans des livres et des journaux, est de de plus en plus numérisé et mis sous clé par une poignée d'acteurs privés. (...) Nous devons aller chercher cette information, où qu'elle soit, la copier et la partager ».

En cela, Swartz s'inscrivait dans la droite ligne des premiers hackers, ceux qui justement ont développé leur éthique et leurs techniques... au sein du MIT. Richard Stallman, l'un des inventeurs du concept de logiciel libre, et qui travailla pendant les années 70 et 80 au sein du laboratoire d'intelligence artificielle du Massachusetts Institute of Technology, ne le disait pas autrement en 1990 : « J'estime que toutes les informations utiles devraient être libres et gratuites (...) La redistribution des connaissances rend l'humanité plus riche, quel que soit celui qui la distribue et quel que soit celui qui la reçoit. »

Depuis l'annonce de sa mort, les hommages se multiplient. Au MIT – où une enquête interne a été ouverte – les élèves se sont recueillis dimanche après-midi. Interviewé par le New York Times, un jeune programmeur Web de 23 ans venu du Connecticut rendre un dernier hommage au jeune Robin des bois du Net dit avoir pleuré en apprenant sa mort : « Je pense que chacun d'entre nous aimerait être un peu plus comme lui .» Sur la toile, les grands noms de la lutte pour le logiciel libre ont pris publiquement position. Le juriste américain Lawrence Lessig a écrit une oraison retentissante, le blogueur Cory Doctorow, un billet sur Boing Boing. Sur Archive.org, les documents liés à la procédure légale ont symboliquement été mis en ligne. Sur Twitter, des universitaires distribuent gratuitement leurs articles scientifiques sous le hashtag #pdftribute.

La répression sévère dont font l'objet les tenants de la libération des biens intellectuels est vieille comme le monde informatique.« On est à la recherche de la connaissance... et vous nous traitez de criminels », résumait le hacker The Mentor dans son fameux manifeste The Conscience of a Hacker rédigé... en 1986.