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SOCIAL
« Le non recours aux prestations sociales est bien supérieur à la fraude » – Philippe Warin (politologue)
A. Thouvenot | France | Publié le 08/11/2012

Philippe Warin, politologue, directeur de recherche au laboratoire « politiques publiques, action politique et territoires » du CNRS, co-dirige l’Observatoire des non recours aux droits et services (Odenore), qui publie jeudi 8 novembre 2012 "L’envers de la fraude sociale".

L’ouvrage(1) [1] que publie l’Observatoire des non recours aux droits et services (Odenore) part d’un constat que la fraude aux prestations sociales est bien inférieure aux allocations non demandées.
Pourquoi de tels travaux ?

Les travaux sur le non recours sont apparus dans les années 1990, mais ces dernières années, un discours sur la fraude aux prestations sociales s’est développé, permettant de justifier la réduction de certains de leurs budgets, les allocations sociales étant « fraudogènes ».

Or le non recours est bien supérieur à la fraude. Dans un rapport, [2] l’Assemblée nationale a estimé la « fraude sociale » à environ 20 milliards d’euros, dont 15 à 16 dus au travail dissimulé et 3 à 4 milliards d’euros liés à des escroqueries aux prestations sociales, soit environ 1 % du montant total des sommes versés.

Ces 4 milliards de fraudes aux prestations sociales sont à mettre en regard des 5,3 milliards d’euros de non dépenses produits par le non recours au seul RSA.

Pour la CMU complémentaire, 24 % des ménages éligibles n’en bénéficient pas alors que les fraudes à la CMU ont représenté, en 2010, 800 000 euros. Pour nous, le scandale du non recours aux droits sociaux, c’est l’envers de la fraude sociale.

 

[3]

Source : Philippe Warin, la fraude aux prestations sociales : réalités et enjeux, p31.

 Quelles sont les causes de ce non recours ?

Il y a tout d’abord la stigmatisation des publics qui ont recours aux prestations sociales. Un discours ambiant a véhiculé une norme sociale culpabilisatrice. Toute demande d’aide est perçue comme une preuve de faiblesse.
Le discours sur la fraude et l’assistanat a ainsi tendance à dissuader davantage les personnes que l’aide cible en premier.

Il y a aussi la complexité des systèmes administratifs pour y avoir accès. L’exemple de la tarification sociale de l’énergie est particulièrement révélatrice : pour obtenir une tarification sociale, il faut être bénéficiaire de la CMU C.

Il revient à la caisse primaire d’assurance maladie d’en informer l’entreprise qui fournit l’énergie, de faire les calculs et le cas échéant d’accorder le tarif social.
Si bien que seul 47 % des ménages éligibles ont effectivement eu accès à cette aide.

Il faudra voir dans le temps si le décret du 6 mars 2012 [4] relatif à l’automatisation des procédures d’attribution des tarifs sociaux de l’électricité et du gaz naturel permet d’améliorer la donne.

La crise économique peut-elle aggraver ce non recours ?

Les difficultés budgétaires, notamment des collectivités locales, conduisent les instances à resserrer les conditions d’accès à ces aides. Le risque est que les personnes qui sont éligibles à ces prestations s’en détournent alors même qu’elles en constituent les publics cibles.
Comme une forme d’autocensure.

Vous préconisez une lecture qui ne soit pas purement comptable de ces prestations sociales, en insistant sur leurs effets multiplicateurs sur les territoires.
Etes-vous entendu ?

Les choses bougent et la prise de conscience est réelle quelle que soit l’orientation politique de la collectivité. Le non recours, s’il représente une économie comptable pour la collectivité, constitue une perte économique pour un territoire.
Il faut donc davantage développer l’étude de l’impact des dépenses sociales.

Le cas de l’aide personnalisée d’autonomie est très intéressant. Si cette prestation permet de faciliter la vie d’une personne âgée, elle finance un service à domicile qui, par l’emploi et le salaire qu’elle représente, engendre des cotisations, des impôts et des dépenses sur un territoire. Aujourd’hui, sur les 4 milliards d’euros que représente l’APA, près d’un quart ne sont pas dépensés.