Faut-il vraiment se réjouir de l’accord entre Google et la presse ?

Analyse | L'accord avec Google va-t-il sauver la presse ? Pas tant que les zones d'ombre sur le fonds de transition vers le numérique doté de 60 millions d'euros sur trois ans signé avec le géant américain subsistent. Explications.

Le 04/02/2013 à 00h00 - Mis à jour le 04/02/2013 à 17h42

Olivier Tesquet

De gauche à droite : Aurelie Filippetti, Eric Schmidt, Marc Schwartz, François Hollande et Fleur Pellerin à l'Elysée, lors de la signature de l'accord avec Google. @ Pool/ Stephane Lemouton/Maxppp

Pour conclure cet « accord historique », le big boss de Google, Eric Schmidt, s’était empressé de sauter dans un avion, direction Paris. Vendredi 1er février, après trois mois de polémique et deux de médiation sur la captation économique du premier sur les seconds, le géant américain et les éditeurs de presse français ont signé l’armistice sous les dorures de l’Elysée. En présence de François Hollande himself. C’est dire l’importance politique que revêt cet accord, obtenu quelques heures avant qu’il ne migre vers l’agenda parlementaire. Il prévoit la mise en place d’un « fonds de transition vers le numérique » de 60 millions d’euros sur trois ans. Comme le relève Frédéric Filloux dans sa Monday Note, c’est une somme peu ou prou équivalente aux revenus publicitaires [70 millions d’euros, ndlr] de la presse d’information politique et générale (IPG), celle qui est venue jouer des coudes avec Google. C’est aussi le montant de l’enveloppe dévolue au fonds SPEL entre 2009 et 2011, destiné à subventionner la presse en ligne. Pour la firme de Mountain View, c’est une obole : 60 millions d’euros, c’est la somme que l’entreprise a investi pour numériser le contenu de la bibliothèque de Lyon. Une autre opération de... mécénat.

Le fonds sera chapeauté par un conseil d’administration, que devrait vraisemblablement présider le médiateur Marc Scwhartz. Autour de lui, un représentant des éditeurs (Nathalie Collin), un autre de Google, et trois indépendants, tous chargés de sélectionner les projets à soutenir. Lesquels ? Selon quelles modalités ? D’après Francis Morel, directeur général des Echos (et qui a activement pris part aux négociations), le fonds Google financera 60% de chaque projet, tandis que l’éditeur prendra à sa charge la part restante. Essayons d'y voir plus clair en trois questions.

Un compromis plus qu'une victoire ?

De quoi sabler le champagne ? « L’accord avec Google ne sauvera pas la presse », tempère Louis Dreyfus, président du directoire du Monde (propriétaire de Télérama, ndlr) dans une interview au Point. « On n’a pas obtenu gain de cause sur une compensation, c’est un compromis », renchérit Nathalie Collin, directrice générale du Nouvel Obs et présidente de l’association de la presse IPG. Gain de cause ? Pendant des semaines, les éditeurs de presse n’ont cessé d’appeler de leurs voeux le versement d’une rente, en réclamant auprès de Google une rémunération contre l’indexation de leurs contenus. « On avait proposé cette solution de droit voisin parce qu’on pensait qu’il était impossible de négocier avec Google », reconnait aujourd’hui Nathalie Collin. « C’était une solution conflictuelle, contraignante et légale, mais pas idéologique. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : toute la presse en ligne est dépendante de Google ».

 

Eric Schmidt, le président de Google et François Hollande, le 1er février 2013. @ Pool/ Stephane Lemouton/Maxppp

Un système à deux vitesses ?

Du côté du Spiil, le syndicat de la presse en ligne (qui n’avait pas caché son opposition à l’idée d’une Lex Google), on se dit qu’on a évité le pire. Mais les pure players s’inquiètent déjà des termes d'un accord frappé du sceau de la confidentialité, qui pourrait distiller un poison moins odorant et plus pernicieux. « Attention aux gens qui veulent faire le bonheur à votre place », prévient Johan Hufnagel, cofondateur et rédacteur en chef de Slate.fr, qui déplore « l’obligation » de prendre part au dispositif pour ne pas créer « une distorsion de la concurrence » : si les autres y vont, il sera obligé d'y aller aussi, peu importe ses réserves. Maurice Botbol, le président du Spiil, soulève de son côté la question qui fâche : « Pourquoi ce fonds est-il limité à un nombre restreint d’acteurs ? C’est un accord privé basé sur un critère public. » Celui de la commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), qui accorde aux titres la fameuse étiquette « IPG ». Sur 533 services de presse en ligne homologués par la commission, 167 sont donc éligibles pour recevoir des subsides de Google. Et les autres ? Des titres comme L'Equipe ou Elle pourraient être priés d’attendre à l’extérieur. “Ca va nous transformer en chasseurs de primes », s’agace encore Johan Hufnagel. « Il y aura une prime à celui qui fait le meilleur cahier des charges, donc à ceux qui ont les meilleures structures, donc les plus gros ».

 

Politiquement, cela trahit un présupposé : l’innovation viendrait des acteurs historiques du secteur. Si vous, derrière votre écran, vous avez une idée de génie pour lancer le site d’info de demain ou d’après-demain, il faudra aller taper à une autre porte. Sans label rouge, point de salut. « Il existe un risque de créer une presse à deux vitesses », prévient Maurice Botbol. Entre les gros et les petits ? Pas seulement. Que se passera-t-il si un site Web sollicite le fonds avec une idée de plateforme vidéo basée sur la technologie de Dailymotion [rival de YouTube, qui appartient à Google, ndlr] ? Même si l’entreprise américaine n’est pas seule décisionnaire, le simple fait qu’elle alimente une cagnotte au bénéfice de la presse induit une intégration de celle-ci dans son écosystème. A tous les niveaux.

Et la pub dans tout ça ?

C’est ici qu’intervient le deuxième volet de l’accord entre Google et les éditeurs français : celui qui concerne la publicité. Sur le modèle belge, la presse hexagonale pourra conclure des accords commerciaux avec le moteur de recherche pour bénéficier de ses services d’optimisation du référencement (AdSense, AdExchanges, etc.). En toute transparence ? Rien n’est moins sûr, tant le talent publicitaire de Google repose sur l’opacité de son algorithme. « Est-ce que Google va mettre en avant des titres partenaires et biaiser le référencement ? », se demande ainsi Maurice Botbol. Le président du Spiil n’aura peut-être même pas le temps de se poser la question : du côté des éditeurs de presse, on songe déjà à remettre le couvert sur la table déjà dressée des négociations. Avec Apple.

 

Collé à partir de <http://www.telerama.fr/critiques/imprimer.php?chemin=http://www.telerama.fr/medias/faut-il-vraiment-se-r-jouir-de-l-accord-entre-google-et-la-presse,93018.php>