« Nous avons connu des procès autrement plus épineux ». Sans contradicteurs ni montée de tension particulière, la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Paris jugeait, lundi 25 février, 6 déboulonneurs pour « dégradation en réunion ».
Devant un parterre silencieux de militants, les 6 prévenus ont repris une à une les raisons qui ont motivé leur geste de « désobéissance civile ». Une après-midi de février 2009, ils ont tagué trois panneaux publicitaires parisiens devant une dizaine de journalistes et 40 policiers.
« La publicité est une agression qui dure parce que les citoyens restent passifs », lance Yvan, qui comptabilise 7 procès en 6 ans pour des faits similaires et avoue y avoir pris goût. Devant les tribunaux, explique-t-il à la barre, « nous pouvons au moins nous exprimer ».
Des écrans publicitaires géants bientôt dans les rues
En toile de fond, le débat politique n’a pas évolué et la publicité continue de gagner du terrain sur l’espace public, malgré le changement de pouvoir. Christiane Taubira était pourtant venue soutenir les déboulonneurs à la sortie d’un délibéré, en mars 2007, alors qu’elle n’était encore qu’une simple représentante du PRG.
Les déboulonneurs se disent aujourd’hui déçu par l’inaction du nouveau pouvoir socialiste :
Les déboulonneurs espéraient une révision de la loi « extrêmement permissive » dont avait accouché le Grenelle de l’environnement. JCDecaux, principal afficheur français et proche de Nicolas Sarkozy, avait « littéralement tenu [le] stylo pour écrire le décret » d’application de cette loi, d’après une source ministérielle citée, le 1er juin 2011, par le Canard enchaîné (lire sur politis.fr) [1].
Résultat, le texte publié en janvier 2012 autorise l’installation d’écrans publicitaires de 8m2 dans les rues, ainsi que des bâches géantes sur les chantiers.
« Nous ne sommes pas contre l’information commerciale »
À revers, les déboulonneurs revendiquent un « retour à un format humain » des publicités dans les rues, soit 50 cm par 70 cm. « Nous ne sommes pas contre l’information commerciale, elle est parfaitement utile, explique Arthur, déjà condamné à 200 euros d’amende dans une affaire similaire. À la radio ou à la télévision, nous pouvons nous soustraire aux messages, ce n’est pas le cas dans les rues. Nous sommes pour qu’ils restent sur le côté pour que les gens intéressés aillent les voir. »
Face à l’avancée larvée des publicitaires, qui adoptent la stratégie du « fait accompli », les déboulonneurs avouent leur impuissance. « Nous sommes 50 lors de nos actions rituelles de barbouillage, regrette Yvan. La défense du paysage et de la vie intérieure n’intéresse personne. »
Il leur reste donc les actions de barbouillage, souvent bien médiatisées, et les nombreux procès – 8 à Paris et 19 sur le plan national - qu’ils utilisent comme autant de tribunes.
« Dans tous les pays industriels, nous voyons apparaître une épidémie d’obésité, qui est conditionnée par la publicité, s’inquiète ainsi le professeur de santé publique Claude Got, ancien conseiller de Michel Rocard, appelé comme témoin devant le tribunal.
Il est suivi à la barre par Mehdi Khamassi, chercheur en neuroscience au CNRS qui décrit les « surcharges cognitives » et le stress que la publicité induit.
Il nous résume son témoignage, quelques minutes après l’audience :
Face aux déboulonneurs, JC Decaux, qui s’est porté partie civile et réclame 895 euros de dommages, n’a pas jugé opportun de se faire représenter à l’audience.
200 euros d’amende
Au terme d’un procès paisible, la procureure a requis la requalification des faits de « dégradation en réunion » en « dégradation légère ». Cela lèverait l’obligation de prélèvement ADN et annulerait ainsi les poursuites pour « refus de prélèvement » contre les 6 déboulonneurs, qui ont tous refusé de s’y soustraire.
La procureure a toutefois demandé une condamnation pour les 6 déboulonneurs au nom de la liberté d’entreprendre et parce que tous les prévenus annoncent, avec quelques nuances, qu’ils recommenceraient leurs barbouillages si l’occasion leur était donnée.
Elle a requis 200 euros d’amende pour les déboulonneurs « récidivistes » et 200 euros avec sursis pour les autres. Le délibéré a été fixé au 18 mars à 13 h 30, devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Paris.