Une vague de racisme déferle sur France 2

Ma vie au poste, le blog télé de Samuel Gontier |

Le 25/03/2013 à 00h00 - Mis à jour le 26/03/2013 à 09h48

Samuel Gontier

Tous les jours, le même refrain. Entonné par un chœur œcuménique où vocalisent aussi bien l’historien Pascal Blanchard que David Pujadas, le sondologue Pascal Perrineau que la philosophe Chantal Delsol – sans compter Le zapping de Canal+ en perroquet. De plateau en plateau, tout ce petit monde s’en va répétant deux vérités chiffrées donc incontestées : « 70% des Français jugent qu’il y a trop d'étrangers en France » ; « 74 % des Français estiment que l’islam n’est pas compatible avec les valeurs de la France. » Illustration :

 

 

Consternation ! Touts ces gens commettent la même erreur de débutant : remplacer les « sondés » par des « Français ». Même Pascal Blanchard, que j’apprécie et qui intervenait au cours d’un passionnant débat animé par l’excellent Ahmed El-Khey dans l’émission Toute les France, sur France Ô… Emission où il venait tout juste de démontrer les biais de fabrication du palmarès du JDD sur « les personnalités préférées des Français » ! On peut toutefois accorder à l’historien que, pris dans le feu de la discussion, il n’a pas eu le temps de réfléchir à ce qu’il disait…

Pour les journalistes de France 2, en revanche, aucune excuse. Dire « 74 % des Français pensent que… » au lieu de « 74 % des sondés pensent que… » n’est pas seulement une erreur, c’est une faute. Une faute d’autant plus grave qu’il est permis de se poser de sérieuses questions sur ces « sondés », au vu des conditions de production dudit « sondage », dont la perversité a été brillamment mise en lumière par Alain Garrigou dans Le sondage de trop (sur son blog intitulé « Régime d’opinion »). Le directeur de l’Observatoire des sondages s’attarde particulièrement sur les biais causés par la réalisation de cette enquête par Internet. Sa démonstration, très convaincante, aboutit à une conclusion cinglante : « On pourrait dire que les sondages par Internet recrutent surtout les sots et les fachos. »

 

Si ce sondage est scandaleux, bien au-delà des aspects techniques (mais essentiels) du recrutement des sondés, c’est surtout par la formulation de ses questions. « Une formulation lourde pour ne pas dire nauséabonde », estime Alain Garrigou. Effectivement, la plupart des questions paraissent être des citations extraites de prospectus du FN (ou de la droite forte, voire d’une affiche pétainiste). Par exemple, les sondés devaient dire s’ils partageaient des opinions telles que « on a besoin d’un vrai chef pour remettre de l’ordre » (87 % des sondés sont d’accord) ; « il y a trop d’étrangers en France » ; « les immigrés ne font pas d’efforts pour s’intégrer en France », « le racisme anti-Blancs est un phénomène assez répandu en France » (ce qui présuppose que ce racisme existe). Ajoutez à cela quelques affirmations aussi générales que stupides, sans doute soufflées par Jean-Pierre Pernaut : « Aujourd’hui, on ne se sent plus chez soi comme avant » ; « On n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres »…

© Le Monde - Janvier 2013

87 % des « Français » (comme on dit au JT) souhaitent donc « un vrai chef pour remettre de l’ordre »… « Il n’est même pas sûr que le nazisme ait recueilli pareille unanimité », ironise Alain Garrigou. Evidemment. Les questions sont tellement orientées, tellement marquées à droite, qu’elles ont dû choquer un grand nombre de personnes sollicitées par Ipsos et le Cevipof. (Si un enquêteur m’avait posé ces questions dans la rue, je peux vous dire que je l’aurais bien reçu.) Ces personnes ayant deux sous de jugeote ont certainement refusé de répondre. Mais voilà : dans un sondage, le « refus de répondre » n’existe pas. Seuls font partie de l’échantillon ceux qui ont accepté d’être sondés sur ces questions… qu’ils estimaient donc légitimes.

Voilà comment on crée l’opinion au lieu de la sonder. Et comment on rend performatives les insanités proférées par l’extrême droite. Admirez la qualité du raisonnement : les Français qui sont racistes sont racistes puisqu’ils nous disent qu’ils sont racistes. CQFD. [Attention : je ne dénie pas l’éventualité d’une « droitisation » de la société française. Mais ce sondage ne permet pas de l’évaluer. Il se contente d’en être le zélateur.]

« Que fait le Cevipof dans ces opérations où il martèle le même cliché ? s’interroge Alain Garrigou. On sait le laboratoire très à droite… » Quelle urgence la rédaction de France 2 avait-elle à marteler le même cliché, deux mois après la parution du sondage dans Le Monde ? Certes, David Pujadas annonce une « enquête » de Guillaume Daret. Mais ce n’est qu’un ignoble micro-trottoir (« Vous avez peur ? », demande-t-il) pour trouver la confirmation de ce qu’on voulait démontrer.

« Voilà, des paroles qui dérangent et qu’il est difficile de laisser sans les commenter », reprend David Pujadas en plateau. Et devinez qui est invité pour les commenter… « Bonsoir Pascal Perrineau, vous êtes le directeur du Cevipof et donc le commanditaire de cette étude. C’est vraiment représentatif de la France, ce qu’on vient d'entendre ? » « Tout à fait », répond Pascal Perrineau. Quelle surprise ! Comme si le « commanditaire » allait dire : « Non, mon sondage, c’est de la merde, il n’est pas représentatif. Les résultats sont biaisés par d’infâmes méthodes de propagandiste. »

Pascal Perrineau poursuit : « La crise est dans la tête des Français sur le plan économique, mais aussi – ce qui est intéressant – sur le plan culturel. » Ben voyons ! Le choc des civilisations est dans votre cerveau, rien ne l’en délogera sauf, peut-être, une trépanation. « Et là on voit que l’islam peu à peu s’installe comme nouveau bouc émissaire. » Désigné par qui, ce bouc émissaire ? Par les sondeurs et les journalistes de France 2 ?

 

Collé à partir de <http://television.telerama.fr/television/une-vague-de-racisme-deferle-sur-france-2,95115.php>