jeudi 1 novembre 2012

11:26

 

 

Par Christine Tréguier - 26 juin 2013

Edward Snowden : qui ne dit mot consent

« Je ne peux, en mon âme et conscience, laisser le gouvernement américain détruire la vie privée, la liberté d’Internet et les libertés essentielles pour les gens tout autour du monde au moyen de ce système énorme de surveillance qu’il est en train de bâtir secrètement. » 

 

Les révélations d’Edward Snowden – celui par qui le scandale des programmes de surveillance de l’Internet et des télécommunications de la NSA est arrivé – éclaboussent tout le monde, mais les réactions laissent à désirer. Hasard du calendrier, plusieurs autorités de protection des données, dont la Cnil, viennent de mettre Google en demeure de se conformer aux lois en ce qui concerne sa gestion des données utilisateurs. Un petit pas dans la bonne direction, mais qui risque fort de ne pas être suivi d’effet. 

Mais qui va protéger Snowden de l’accusation d’espionnage, de vol et d’utilisation illégale d’informations classifiées concernant la Défense nationale, et du mandat d’arrêt lancé contre lui par les Etats-Unis ? Qui va stopper le délire orwellien de la NSA et des services de renseignements de la planète ? Qui va proposer d’appliquer la loi antitrust et de démanteler les ogres trop puissants que sont Google ou Facebook ? Qui va rappeler aux parlementaires de tous bords qu’ils ont été élus pour défendre les libertés et pas la croissance et les profits de quelques-uns ? Qui va dire aux entreprises, chercheurs, ingénieurs, programmeurs de l’économie du numérique que la société du monitoring constant qu’ils fabriquent, au nom du progrès technique et du progrès social qui forcément en découlent, est la pire des impasses ? 

« Techno-totalitarisme »

Les pétitions tournent, en haut lieu on diligente des enquêtes, et quelques voix s’indignent. Pour Simon Davies, universitaire anglais et ardent défenseur de la vie privée, les responsables, au-delà des entreprises, sont du côté des instances européennes : « Le véritable ennemi est juste là, au Parlement européen, incarné par des eurodéputés qui ont sciemment vendus nos droits pour conserver leur puissant réseau relationnel. J’aimerais pouvoir dire qu’ils ont juste été trompés pour soutenir l’entreprise de démolition [du projet de règlement qui devait renforcer la protection de la vie privée, NDLR], mais la plupart sont des gens intelligents qui savaient exactement ce qu’ils faisaient. » Il pointe également la démission des États dans ce qu’il nomme l’« externalisation de Big Brother », c’est-à-dire l’évasion des données publiques, confiées à des prestataires privés dont les centres de traitement décentralisés échappent aux réglementations nationales. 

Sur le web :

 Un texte de Simon Davies sur Privacy surgean

 L’article de Cory Doctorow traduit

 Le texte de Pièce et main d’œuvre

Dans le Guardian, Cory Doctorow, journaliste et coéditeur du magazine Boing Boing, explique pourquoi chacun devrait se mobiliser : « Vous devriez vous sentir concerné par votre vie privée car la vie privée n’est pas secrète. Je sais ce que vous faites aux toilettes, mais pour autant cela ne veut pas dire que vous ne vouliez pas fermer la porte quand vous êtes sur le trône. Vous devriez vous sentir concerné par votre vie privée car si les données disent que vous faites quelque chose de mal, celui qui les analysera interprétera tout le reste à la lumière de cette information. »

Le collectif grenoblois Pièces et main d’œuvre (PMO), lui, s’étonne de l’absence de voix s’élevant pour défendre Snowden et regrette que le « techno-totalitarisme » qu’ils dénoncent dans leurs nombreux ouvrages mobilise moins que la lutte antifasciste. « Le “fascisme” aussi s’est modernisé. Il n’a plus le visage du dictateur. Même plus celui de Big Brother. Mais celui des myriades d’actionneurs, capteurs, nano-processeurs, datacenters, super-calculateurs, Little Brothers, qui maillent, structurent, activent et pilotent la société de contrainte. Il faut penser notre époque pour affronter notre ennemi actuel, et non les avatars du passé. » Et pour éveiller les consciences et révéler les servitudes, « le secret est de tout dire ». 

Une prison de verre

Les responsables de la mutation discrète de la société dite de l’information en société de la surveillance consentie sont donc désignés : États obsédés par une impossible sécurité et par la gestion managériale, entreprises et techniciens sans conscience prétendant scruter le monde et surtout ses habitants contre un peu de bonheur high-tech, et politiciens timorés voire vénaux qui ne représentent plus que des intérêts privés.

L’autre responsable, c’est celui qui ne dit mot et qui consent, c’est chacun de ceux qui consomment et désirent ces produits high-tech. C’est celui qui se plie à des usages et comportements préprogrammés, accros au portable, aux facilités de Facebook, Gmail ou du GPS. La place qu’on lui assigne, quoi qu’en disent les bonimenteurs de la démocratie participative, n’est plus celle de citoyen plus ou moins libre de ses déplacements et de ses actes, mais celle d’« utilisateur », sommé à tout bout de champ de s’identifier, de renseigner et de partager ses informations et ses expériences pour accéder à un espace, à l’usage d’un objet, un service ou une information. Chacune de ses actions est notée, analysée, corrélée et transformée en data (voir Des googols de datas et nous, et nous, et nous ! http://www.politis.fr/Des-googols-de-datas-et-nous-et,21679.html). Son intimité est violée et « processée », mais, lui affirme-t-on, ce clone de données, ce n’est pas lui, c’est lui… anonymisé. Pour le moment, et sauf pour la NSA et consorts, bien sûr.

S’il ne réagit pas rapidement, il vivra demain dans une prison de verre, exposé aux mille yeux des dispositifs censés améliorer sa vie. Des « dispositifs » que Giorgio Agamben a défini dans Qu’est ce qu’un dispositif ?, petit livre publié en français en 2012 comme «  tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modeler, de contrôler et d’assurer les gestes, les conduites, les opinions et les discours des êtres vivants ». 

Quelle stratégie adopter face aux dispositifs ?, s’interroge Agamben, qui suggère leur profanation, un retour à la subjectivation par le jeu et le détournement d’usage. D’autres proposent de libérer les outils et de les rendre plus transparents. Mais peut-être faut-il, en premier lieu, que les « utilisateurs » fassent entendre leur refus d’être utilisés et marchandisés comme gisement de « valeur ». Qu’ils disent « non », en groupe et individuellement. Ce que Simon Davies appelle l’« activisme du franc-tireur », l’action de celui qui, parce que sa coupe est pleine, refuse de se conformer.

 

Collé à partir de <http://www.politis.fr/Edward-Snowden-qui-ne-dit-mot,22825.html>