21/11/2013 à 16h39

« La vie privée, une anomalie » : Google de plus en plus flippant

Philippe Vion-Dury | Journaliste

« Le vie privée pourrait en réalité être une anomalie. »

 Vince Cerf (Veni Markovski/Wikim&eacute ; dia Commons/CC)

 

Non, cette phrase n’a pas été lâchée par James Clapper ni un autre responsable de la NSA. On la doit à Vint Cerf qui n’est autre que le « chef évangéliste de l’Internet » de Google.

Cet homme, considéré comme l’un des pères fondateurs d’Internet, avance que vivre sans aucune intimité n’a non seulement rien de neuf, mais rien de bien inquiétant.

Il explique ainsi qu’il a lui-même grandi dans une petite ville de 3 000 habitants, sans ligne téléphonique, où le postier savait de qui venait toutes les correspondances. L’idée d’anonymat serait selon lui apparue avec l’urbanisation et la révolution industrielle et n’est plus nécessairement compatible avec notre société contemporaine.

« Il sera de plus en plus difficile pour nous de garantir la vie privée. »

Cette déclaration peut nous choquer, nous faire peur. Elle est cohérente avec le discours du patron de Google, Eric Schmidt, président du conseil d’administration et ancien PDG de la firme au célèbre slogan « Don’t be evil » (ne soit pas maléfique).

 

Eric Schmidt à Hong Kong, le 4 novembre 2013 (Vincent Yu/AP/SIPA)

 

Google, le gentil monstre

« Implanter des choses dans votre esprit franchit la ligne rouge. Du moins, pour l’instant. »

Pour poser le décor, revenons sur une déclaration d’Eric Schmidt au Washington Ideas Forum en 2010 :

« Google a pour règle d’aller jusqu’au bord de ce qui pourrait vous donner la chair de poule et de ne pas aller plus loin. Je dirais qu’implanter des choses dans votre cerveau franchit cette ligne rouge. Du moins pour l’instant, jusqu’à ce que la technologie s’améliore. »

Qu’on se rassure donc, il faudra attendre que les implants ne soient pas rejetés par le corps ou ne nous détruisent pas les synapses pour se les implanter. Pas question d’éthique ici, juste de fiabilité technique...

Ne voyez pas le mal partout, les gens de Google ont une idée très précise du bon et du mauvais, ils savent ce qu’ils font (Abu Dhabi, mars 2010) :

« Il y a beaucoup, beaucoup de choses que Google pourrait faire, mais choisit de ne pas faire... Un jour nous avions cette conversation où nous débattions si oui ou non nous pourrions tout simplement prédire [les fluctuations de] la Bourse. Et puis nous avons conclu que c’était illégal. Alors on a arrêté de le faire. »

 

 

Google, un ami qui vous veut du bien

« Les gens veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire. »

Si vous avez raté un épisode, le grand projet de Google tient en un mot : « Personnalisation ». Le but ultime de la firme est de créer pour chaque individu un Internet à sa taille, conçu pour lui et par lui (à son insu), afin que finalement, Google lui soit totalement indispensable.

Eric Schmidt a tout avoué au Financial Times en mai 2007 :

« Nous allons devenir de plus en plus forts au niveau de la personnalisation. L’objectif, c’est que les utilisateurs de Google puissent en venir à poser une question comme “ que dois-je faire à présent ?” ou encore “ quel job devrais-je prendre ?” ».

Il récidive en 2010 avec le Wall Street Journal :

« Une idée serait que de plus en plus de recherches soient effectuées en votre nom, sans que vous ayez à les taper. Je pense véritablement que la plupart des gens ne souhaitent pas que Google réponde à leurs questions. Ils veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire. »

« La technologie du ciblage individuel sera si performante qu’il sera vraiment dur pour les gens de regarder ou consommer quelque chose qui n’a pas été d’une manière ou d’une autre taillé pour eux. »

En bref, si j’ai regardé trop de nanars dans ma jeunesse,difficile voire impossible pour moi de tomber un jour sur un Wong Kar Waï ou un Rohmer : c’est la fameuse bulle de verre théorisée par Eli Pariser dans son ouvrage « The Filter Bubble » (Ed. Penguin Press, 2011).

 

 

Google est moral

« Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez vous commencer par ne pas le faire. »

Mais revenons un instant au concept googlien de la vie privée et des conséquences que peuvent entraîner sa violation ou son exposition sur la Toile. La philosophie Google est assez simple : au même titre que nous nous baladons dans le monde réel munis de papiers d’identité, notre vie numérique doit porter une empreinte qui permette de nous identifier.

La justification ? La voici :

« Pas d’anonymat. Et la raison est que dans un monde de menaces asymétriques, le vrai anonymat est trop dangereux. […] Ce n’est pas possible d’avoir tel ou tel terroriste faire telles ou telles terribles choses sous le couvert d’un anonymat absolu. »

Et pour les non-terroristes, Eric Schmidt dit :

« Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez vous commencer par ne pas le faire. »

A noter que le PDG de Google n’a pas toujours eu pour habitude d’appliquer à lui-même cette logique implacable. Les journalistes du site américain CNET par exemple ont été blacklistés pendant plus d’un an par Google pour avoir publié des infos sur Eric Schmidt (salaire, adresse, hobbies et certaines donations politiques) toutes obtenues grâce au moteur de recherche de la firme.

 

 

Google, lui, ne vous abandonnera jamais

« Nous connaîtrons votre position au mètre près. »

Allez, une dernière citation pour vous empêcher de dormir. Eric Schmidt lors de la conférence TechCrunch Disrupt en 2010 :

« C’est un futur où vous n’oubliez rien. Dans ce futur nouveau, vous n’êtes jamais perdu. Nous connaîtrons votre position au mètre près et bientôt au centimètre près. Vous n’êtes jamais seul, vous ne vous ennuyez jamais, les idées ne viennent jamais à vous manquer. »

 

Collé à partir de <http://www.rue89.com/2013/11/21/vie-privee-anomalie-les-dogmes-flippants-google-247726>