Après 15 ans de lutte contre l’oppression de la finance, Attac aspire toujours à « désarmer les marchés »
par Nolwenn Weiler 19 novembre 2013
Depuis 1998, l’association Attac se bat pour que le monde ne soit plus un terrain de jeu pour la finance et les multinationales. Taxation des transactions financières, refus des traités de libre-échange, réforme du système bancaire, lutte contre la financiarisation de la nature ou pour la justice climatique, Attac est de tous les combats altermondialistes. Et continue inlassablement d’imaginer d’autres mondes possibles. A l’occasion des 15 ans de l’association, qui compte environ 10 000 adhérents, entretien sous forme de bilan avec l’économiste Geneviève Azam, l’une de ses porte-paroles.
Basta ! : Il y a 15 ans, un édito du Monde diplomatique appelant à « désarmer les marchés » a entraîné la création d’Attac. Ces marchés apparaissent aujourd’hui plus puissants que jamais... tout en étant de plus en plus contestés. Considérez-vous cette situation comme une victoire ou comme un échec ?
Geneviève Azam : Ce n’est ni une victoire, ni un échec. Désarmer les marchés, c’est s’attaquer aux bases du capitalisme dans ses nouvelles formes. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Nous avons alerté les citoyens concernant des mécanismes qui étaient peu connus au moment de la création d’Attac. Nous avons été des lanceurs d’alerte sur les risques d’effondrement financier et sur leurs conséquences. Nous avons, avec d’autres, participé à délégitimer cette idée selon laquelle les marchés allaient maintenir les équilibres économiques et sociaux, et maintenant les équilibres écologiques. L’histoire nous a malheureusement donné raison. Mais les marchés financiers continuent à dominer les sociétés et le champ politique. C’est pourquoi notre combat continue.
Attac s’est aussi construite, comme tout le mouvement altermondialiste, sur le refus des accords de libre-échange. Car c’est la libéralisation des marchés financiers, à l’échelle du monde, qui a permis l’explosion de la finance. Souvenons-nous de la bataille contre l’accord de libre-échange entre le Mexique et les États-Unis (Alena), en 1994, avec la lutte au Chiapas autour du sous-commandant Marcos. La lutte contre l’accord multilatéral d’investissement (AMI) en 1997 précède tout juste la création d’Attac. Les manifestations de Seattle en 1999, lors de la conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), sont un autre moment fondateur de la lutte contre les accords de libre-échange. De même que le démontage du Mac Do de Millau. Nous luttons actuellement contre les accords de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, entre l’Union européenne et les États-Unis. A l’origine d’Attac, il y a ce refus d’un monde qui serait sous la coupe des transnationales industrielles ou financières, un monde globalisé où tous les territoires sont des terrains de jeu pour les firmes et les salles de marché.
Attac défend depuis son origine la création d’une taxe sur les transactions financières. Comment cette proposition a-t-elle avancé ?
Portée par Attac, cette proposition de taxation des transactions financières a été reprise par de nombreuses ONG, avec toute une palette de nuances sur ce qui doit être taxé, dans quelles proportions, etc. Le but était à la fois de dégonfler la finance et de collecter des ressources publiques. Cette idée été très bien accueillie par les citoyens. Les élites dirigeantes, de tout bord, se sont empressées de dire que cette taxation ne pourrait pas être mise en place. Mais l’idée a avancé, personne ne dit aujourd’hui que c’est impossible à mettre en œuvre. Malheureusement, cette taxe, telle que nous la souhaitons, n’existe toujours pas. Cette bataille reste importante. Mais pour désarmer les marchés, une taxe ne suffira pas. Le processus de transition inclut d’autres outils.
Au départ, Attac s’attachait principalement aux questions financières et économiques. Aujourd’hui, les questions écologiques sont bien plus présentes. Comment l’expliquez vous ?
Attac s’est affirmée au fil des années sur les questions écologiques. En grande partie, au départ, grâce à la présence de la Confédération paysanne parmi nos membres fondateurs. Avec le refus du productivisme agricole, elle a fait entrer les questions alimentaires et agricoles au sein de l’association, à commencer par celle des OGM, premier engagement écologique et social d’Attac. Puis ce fut la question des droits de propriété, en lien avec l’OMC, et celle de la privatisation du vivant : la prise de conscience que le mouvement de financiarisation touche les acquis sociaux mais aussi la nature. Et qu’il y a un processus de domination conjointe des humains et de la nature, une dimension écologique de la crise. Il nous est apparu nécessaire de « ressouder » les questions sociales et écologiques. Ce n’est pas la planète d’un côté et les humains de l’autre. Les autres mondes possibles dont nous rêvons intègrent à la fois la société et la Terre.
Nous avons eu un débat difficile au sein d’Attac sur l’énergie et notamment sur le nucléaire. Pour certains, cela ne faisait pas partie des fondamentaux d’Attac. D’autres estimaient au contraire que le nucléaire était une question de société qui allait bien au-delà de l’énergie. Le fait que le nucléaire soit une énergie centralisée, qui ne supporte pas le débat démocratique, nous a aidés à nous décider. Car Attac veut aussi permettre aux citoyens de se réapproprier la démocratie. Depuis 2008-2009, l’association défend une position anti-nucléaire. Attac a aussi développé une vraie expertise sur le changement climatique, à partir de 2007, notamment avec la construction du mouvement international pour la justice climatique.
Quels liens imaginez-vous à l’avenir entre Attac, le mouvement altermondialiste et les nouvelles formes de mobilisation telles que Occupy ou les Indignés ?
Attac fait partie de ces nouveaux mouvements sociaux qui entendent récupérer le pouvoir citoyen.Tous ces mouvements sont autonomes, mais ils viennent du même creuset. Ils symbolisent le réveil des sociétés confrontées à la décomposition de leurs bases sociales, politiques et naturelles. C’est un même mouvement historique. La lutte contre l’oppression de la finance est un des points de convergence.
Les méthodes d’action adoptées par ces mouvements entendent changer la façon dont les décisions sont prises. Ils défendent la démocratie directe. Ils sont aussi porteurs de projets et d’expériences concrètes, qui n’attendent pas le grand jour de la transition, mais s’engagent déjà dans ce processus. Attac partage cette culture politique. La société a beaucoup évolué en quinze ans : elle est moins en attente de solutions qui pourraient venir « d’en haut ». Notre participation au rassemblement Alternatiba, à Bayonne en octobre 2013, va dans ce sens. C’est en quelque sorte la préfiguration d’une « coagulation », d’une « métamorphose », grâce à laquelle toutes ces alternatives pourront rendre possible un basculement démocratique vers des sociétés justes et soutenables.
Les grandes mobilisations européennes et internationales ont marqué le mouvement altermondialiste. Aujourd’hui, la tentation protectionniste semble de plus en plus forte, y compris à gauche, en France. Qu’en pensez-vous ?
Je parlerai de réflexe nationaliste plus que protectionniste. Le protectionnisme, c’est autre chose. Face à cette croyance selon laquelle « tout seul, on s’en sortira mieux », il faut continuer à tisser des liens entre tous les réseaux de résistance au niveau européen, syndicats, mouvements liés à l’accès à l’eau, aux gaz de schiste, aux grands projets inutiles et imposés, à la financiarisation de la nature. C’est fondamental. Sur ce point, nous sommes trop faibles. Le Forum social européen n’existe plus. Nous manquons dramatiquement de lieux politiques, symboliques, dans lesquels puissent s’exprimer les résistances et alternatives européennes.
Ce que nous opposons aux traités de libre-échange, c’est une relocalisation des activités, avec des liens de solidarités très fort entre les régions européennes. La crise actuelle en Bretagne est significative : on a choisi l’importation d’aliments pour le bétail à très bas coût depuis les pays du Sud, un élevage hors sol et la délocalisation de la transformation, le tout avec une vision quasi coloniale des échanges internationaux. Cette insertion dans le marché mondial se retourne aujourd’hui contre les salariés. Qui défendent légitimement leur emploi mais se trouvent pris au piège de défendre et légitimer un modèle qui est en bout de course et qui les sacrifie. Les solutions pour mettre fin à cette crise prendront du temps : il s’agit ni plus ni moins que de démanteler ce modèle globalisé. Il faut relocaliser, en lien avec les autres « localités », dans une dynamique de coopération européenne, pour éviter la guerre de tous contre tous. Articuler local et global, une démarche qui est la marque de fabrique du mouvement altermondialiste, ancré dans les luttes locales.
Propos recueillis par Nolwenn Weiler
Photo : CC Attac France
Collé à partir de <http://www.bastamag.net/article3523.html>