A Toulouse, un autre internet, solidaire et non-commercial, c’est possible !
par Emmanuel Daniel 15 octobre 2013
Pour lutter contre la surveillance du web et les atteintes à la neutralité du net, une association toulousaine a monté son propre fournisseur d’accès à Internet (FAI). Un an et demi plus tard, l’association relie plus de 150 foyers et croule sous les demandes. Reportage chez les pionniers de l’Internet associatif, libre et solidaire. Qui œuvrent également à réduire la fracture numérique en connectant au réseau squats urbains et hameaux ruraux.
6 mois, 12 000 euros, des antennes-relais, 300 mètres de fibre optique et un courrier à l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes). Voilà ce qu’il a fallu à l’association Tetaneutral.net pour lancer son propre fournisseur d’accès à internet (FAI) à Toulouse en 2011. « Devenir opérateur, c’est une formalité », affirme Laurent Guerby, président de l’association.
Pour déployer son réseau, Tetaneutral a installé quelques antennes radios [1] sur les points hauts de la ville, et sur les toits ou les balcons des premiers abonnés. Progressivement, 230 boîtiers ont été posés, permettant à 162 foyers de Toulouse et des environs de surfer sur la toile sans passer par Orange, SFR ou Free. L’abonnement est à prix libre, mais le tarif suggéré oscille entre 20 et 28 euros selon les zones, location du matériel radio (5 GHz) inclus.
Vide juridique et possibilité de bloquer des sites web
L’objectif de l’association « n’est pas tant de fournir un accès à internet que d’expliquer les enjeux sociaux, économiques et politiques qui se cachent derrière », insiste Laurent Guerby. Et ils sont nombreux. Cet ancien informaticien de salles de marché, reconverti dans l’associatif, s’inquiète notamment des menaces qui planent sur la neutralité du net, principe qui veut que les opérateurs ne filtrent, n’altèrent ou ne censurent aucune donnée transitant via leurs « tuyaux ».
« Il y a un trou dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Aucune loi n’interdit aux opérateurs de filtrer l’accès à certains sites, par exemple celui de l’UMP ou du PS, en fonction de leurs envies », prévient-il. Et les opérateurs classiques se sont déjà servis de leur « pouvoir ». Un exemple ? Free, opérateur détenu par Xavier Niel, avait décidé de bloquer toutes les publicités de Google pour une histoire de gros sous.
Défendre la « neutralité du net »
« Si internet n’est pas neutre, ça veut dire qu’on ne peut pas accéder à tous les contenus, et donc à toutes les idées », résume Théo, qui a rejoint l’association quelques mois après sa création. C’est pourquoi, chez Tetaneutral, la défense de la neutralité du net est inscrite dans les statuts. En outre, l’association s’engage à ne pas fouiller dans les données des utilisateurs. Elle est néanmoins soumise à l’obligation légale de répondre aux requêtes judiciaires, mais ne peut fournir que le nom et l’adresse des abonnés aux autorités, et non leur historique de navigation. « Il y peu de chances qu’ils soient inquiété par la Hadopi », s’amuse Laurent Guerby.
La démarche de Tetaneutral est avant tout politique. Ce FAI alternatif fonctionne sans salarié et ne cherche pas de nouveaux clients, mais des abonnés conscients d’être des acteurs du réseau, qu’ils contribuent à construire. Lors de leur adhésion, il leur est proposé d’installer sur leur toit ou leur balcon une antenne-relais afin d’étendre la zone de couverture. Ils sont également mis à contribution pour aider les nouveaux venus à configurer leur machine ou répondre aux appels. « Quand quelqu’un a une idée, il en parle sur la mailing list. Si c’est légal et que ça ne coûte pas trop de sous, généralement, tout le monde est d’accord », s’enthousiasme Théo qui vante le fonctionnement horizontal de l’association.
FAI alternatif et solidaire
« Tout le monde va essayer d’aider les autres dans la mesure de ses compétences et de son temps libre. Quand il y a un souci, on va parler à quelqu’un qu’on connaît, pas à un télétravailleur sur une plateforme à l’étranger, fait valoir Cyril Gousse, très impliqué dans l’association. C’est une structure à but non lucratif : l’argent collecté sert soit à améliorer le service, soit à baisser le prix de l’abonnement. On réinvestit au profit des gens, on n’a pas d’actionnaires à rémunérer ». En outre, chaque membre peut consulter les comptes publiés mensuellement par Laurent Guerby, qui fait de la transparence une exigence démocratique.
Libérée de la recherche de profit à tout prix, l’association s’engage dans des actions de solidarité. Douze squats toulousains ont été raccordés gratuitement. Et les bénévoles fournissent des services à prix libre (hébergement, messagerie instantanée...) aux causes qu’ils soutiennent.
À la rescousse des déserts numériques
Avec son discours militant et son penchant solidaire, l’association a su séduire 42 abonnés à Toulouse. Mais c’est en zone rurale que se trouve le plus gros des adhérents. Car, outre la défense des libertés sur internet, Tetaneutral s’est engagé dans un autre combat. Celui de la couverture des zones blanches, ces territoires délaissés par les opérateurs classiques faute d’être rentables. Depuis un an, l’association a étendu son réseau pour pouvoir couvrir la commune de Saint-Gaudens et les villages alentours, à 80 kilomètres de Toulouse.
Une aubaine pour les habitants : « Avant, on avait un Adsl à 512 kbit/s, soit du très bas débit. On avait du mal à se connecter, à ouvrir plusieurs pages en même temps, quant aux vidéos, il ne fallait pas en parler », se rappelle Stéphane, adhérent depuis quelques mois à l’association. Depuis qu’il est passé chez Tetaneutral, il assure que son débit a été multiplié par 30. « C’est le jour et la nuit ! », se réjouit-il. Ce trentenaire est d’autant plus satisfait que ce changement d’opérateur lui a permis de voir sa facture diminuée d’un tiers. « Dans la région, il y a des gens qui ne captent pas le téléphone mobile, certains n’ont même pas de ligne fixe. Alors Internet, c’était inenvisageable pour eux. On va couvrir une ou deux maisons au milieu de la pampa : ça va nous coûter cher, mais ce n’est pas grave, le but est d’aider les gens », plaide Cyril Gousse.
Pousser SFR et Bouygues à améliorer leurs offres
Tetaneutral n’est pas un cas isolé. La Fédération French Data Network, pionnière dans le domaine, rassemble 21 FAI associatifs en France, et d’autres sont en projet (lire notre article). Pour l’instant, les gros opérateurs ne réagissent pas face à cette concurrence. « Nous allons où ils ne veulent pas aller. Et puis en termes de chiffre d’affaires, c’est insignifiant. Il arrive même que les boutiques locales des opérateurs nous envoient des abonnés quand ils ne peuvent pas les connecter », glisse Laurent Guerby.
Pourtant, la demande existe. « Au moins 150 personnes attendent d’être raccordées », explique Cyril. Si deux tiers des foyers français sont connectés à internet, le haut débit pour tous est encore loin. Un rapide coup d’œil à la carte des débits Adsl en France suffit à prendre la mesure de la situation. « Mais si des opérateurs associatifs font ça partout en France, les gros vont se réveiller, estime Cyril. Ils seront obligés d’améliorer leur offre, de mieux couvrir les campagnes et d’avoir une logique de neutralité ».
En attendant, les membres de Tetaneutral font œuvre de pédagogie et accompagnent des municipalités et des associations dans la création de leurs propres FAI. « Nous n’avons pas vocation à couvrir le territoire, indique Laurent Guerby, seulement montrer que d’autres choses existent ». Et ainsi prouver qu’un autre internet, libre, décentralisé et contrôlé par ses usagers, est possible.
Emmanuel Daniel (Tour de France des alternatives)
Photo : CC Lars Kristian Flem
Voir le site de Tetaneutral
Collé à partir de <http://www.bastamag.net/article3391.html>