Police

Wissan est mort, et il ne se passe rien

 

paru dans CQFD n°116 (novembre 2013), par Jean-Baptiste Legars, illustré par Lasserpe

 

Wissam el Yamni est passé d’une fête entre amis au musée des refroidis aussi rapidement que l’on se souhaite « Bonne année ! ». Il lui aura suffi de croiser les forces de l’ordre. C’était le 1er janvier 2012. Depuis, la justice s’empresse de traîner.

Dans la presse, l’autre, la mainstream, celle appartenant aux marchands de béton ou de canon – et à la pub –, pour qu’un sujet soit traité, il faut au minimum un lien avec l’actualité. Et, surtout, surtout, qu’il y ait du neuf. De nouvelles infos à vendre, coco.

Rien de tout cela ici. Wissam el Yamni est mort voilà presque deux ans, début janvier 2012, à Clermont-Ferrand, suite à une arrestation policière musclée le soir de la Saint-Sylvestre. L’information toute chaude que CQFD apporte est celle-ci : rien. Du côté de la justice, il ne se passe rien. « Depuis cet été, un nouveau juge doit reprendre l’affaire. Mais il refuse d’instruire le dossier, il refuse que des enquêtes soient menées », explique Farid el Yamni, frère de la victime.

Wissam el Yamni est décédé à l’hôpital de Clermont-Ferrand après quelques heures aux mains des forces de l’ordre et neuf jours de coma. Il avait été interpellé dans le quartier de la Gauthière pour avoir lancé une pierre sur une voiture de police aux alentours de 3 heures du matin alors qu’il fêtait le nouvel an dehors avec des amis. Suite à son interpellation, il avait été retrouvé allongé face contre terre dans un couloir et mains menottées dans le dos peu après son arrivée au commissariat. Une information judiciaire avait alors été ouverte pour «  violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique, ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans son réquisitoire, le procureur visait nommément les deux policiers de la brigade canine qui avaient procédé à l’interpellation et transporté la victime au commissariat. Mais ce n’était pas pour de vrai : les deux policiers visés n’ont pas été mis en examen, et n’ont même pas été entendus par les différents juges d’instruction qui se refilent le dossier depuis bientôt deux ans – nous en sommes au troisième.

« Ils nous ont d’abord parlé d’un “règlement de comptes”, puis d’une prise de contention – un “pliage” – effectuée par un des policiers qui lui aurait compressé la carotide », poursuit Farid el-Yamni. Enfin, suite à une expertise complémentaire, il a été dit que Wissam serait mort du “cocktail toxique” d’alcool et de cocaïne. Et que les traces constatées au niveau du cou ne seraient que des marques de frottements de vêtements… « Or, dans le rapport du premier médecin qui a examiné mon frère, il est bien marqué : “marques de strangulation”, assure Farid. Nous avons les photos de mon frère à l’hôpital, il a des bleus dans le cou, et ce ne sont pas des traces de “frottement”. Quant à l’explication liée à la prise d’alcool et de stupéfiants, nous avons les preuves scientifiques qu’elle ne tient pas. »

Depuis bientôt deux ans, Farid et sa famille se battent pour obtenir justice, et connaître les circonstances exactes du décès de Wissam : «  On voudrait que la justice prenne en compte tous les éléments, mais elle ne veut pas enquêter », estime son frère. Elle pourrait, par exemple, exploiter ce témoignage recueilli par le site Mediapart quelques jours après les faits : « Les policiers sont descendus, ils ont mis de la musique à fond, de la funk, et ont démuselé les deux chiens. Ils étaient chauds, ils ont fait un décompte : “Trois-deux-un, go” et ils lui ont mis des coups. »

Chien méchant

 

Collé à partir de <http://cqfd-journal.org/Wissan-est-mort-et-il-ne-se-passe>