Augmenter le salaire minimum de 40% : débat houleux aux Etats-Unis
Journaliste
Publié le 20/02/2014 à 11h08
Obama lors d’un meeting sur la hausse du salaire minimum, à Lanham dans le Maryland, le 29 janvier 2014 (Maryland GovPics/Flickr/CC)
Obama en a fait l’une des priorités de son second mandat, et pourrait bien, grâce à la mobilisation du camp démocrate, des médias et le soutien d’une large partie de la population, parvenir à augmenter le salaire minimum fédéral de 40% d’ici la fin de l’année : une initiative historique.
La proposition du Fair Minimum Wage Act
Ce fut l’un des thèmes phares de la campagne du président américain en 2012 : l’augmentation du salaire minimum au niveau fédéral, fixé depuis 2009 à 7,25 dollars (5,28 euros) de l’heure, qu’il avait proposé de rehausser à 9 dollars de l’heure (6,50 euros) peu après sa réélection.
Le camp démocrate a pris les devants en mars 2013 en proposant une réforme globale « plus juste » des bas salaires avec le Fair Minimum Wage Act qui fixe le minimum horaire 10,10 dollars de l’heure (7,36 euros) – il aurait dû être de 10,74 dollars aujourd’hui s’il avait été indexé sur le taux d’inflation depuis 1968.
La valeur du salaire minimum fédéral selon la valeur du dollars en 2012 (NELP)
Un bond de 40% du salaire minimum actuel qui semblait a priori risqué pour le Président et le camp démocrate face à l’opposition systématique des républicains sur ce sujet – qui possèdent par ailleurs la majorité à la Chambre des représentants.
Obama a finalement soutenu la proposition Harkin-Miller (du nom des deux démocrates à son origine) en novembre dernier, espérant rassembler l’ensemble du camp démocrate derrière elle.
Lors du dernier discours de l’Union, il a montré sa détermination en promulgant « un ordre exécutif » qui fixe à 10,10 dollars le salaire de tout contracteur employé par le gouvernement fédéral et qui entrera en vigueur en 2015.
Il s’agit désormais pour le Président d’essayer de faire passer en force cette proposition historique, avant les élections de mi-mandat en novembre prochain, qu’il doit à tout prix éviter de perdre comme en 2010.
Un enjeu politique crucial pour les démocrates
Aux Etats-Unis, le droit donné aux Etats et aux villes de fixer leur propre salaire minimum (égal ou supérieur au minimum fédéral actuel) a contribué ces dernières années à creuser les écarts des revenus sur l’ensemble du territoire entre les bastions démocrates et les Etats du Sud.
Un salarié de 40 heures chez McDonalds va débuter avec un salaire de 1 718 dollars (1 254 euros) à San Francisco (le plus élevé du pays) et de seulement 1 160 dollars (846 euros) en Louisiane ou dans le Mississippi.
A l’approche des élections de novembre qui doivent élire ou réélire les gouverneurs de 36 Etats, la hausse du salaire minimum est donc devenue la « plateforme économique populaire » sur laquelle vont jouer les démocrates.
Argument puissant pour les politiques et « intérêt direct » pour les électeurs qui iront voter « pour avoir une augmentation », explique au Huffington post un conseiller républicain.
Devant le blocage quasi-systématique du Congrès à faire passer des réformes, l’initiative appartient donc aux gouverneurs et aux maires :
· l’Etat de Washington a donné l’exemple début janvier en promulguant le record national de 9,32 euros de l’heure (6,79 euros) ;
· le gouverneur de Californie a signé l’année dernière une augmentation de 8 à 10 dollars de l’heure, qui devrait prendre effet en 2016.
Bénéfique pour 28 millions d’Américains
Aujourd’hui, 4,8 millions d’Américains touchent le salaire minimum, essentiellement dans le secteur des services, l’hospitalité (restaurants, hôtels) et la vente (grandes chaines de vêtements et d’alimentation).
La seule façon de survivre aujourd’hui aux Etats-Unis avec 1 200 dollars, c’est d’être « jeune, célibataire et de vivre au milieu de nulle part ».
Sauf que l’âge moyen d’un salarié à bas salaire est aujourd’hui de 35 ans, à majorité féminine qui participe à près de 50% à la survie du foyer – des statistiques qui contredisent l’argument républicain que les emplois à bas salaires sont surtout des jobs d’été pour étudiants.
Le salaire minimum : entre « ce que les gens pensent » et « la réalité » (Economic Policy Institute)
Ces « working poors » sont de plus en plus défavorisés par rapport au reste de la population active américaine, qui touche un salaire moyen presque trois fois plus élevé : 19,55 dollars de l’heure (14,26 euros).
Un salaire horaire de 10,10 dollars – soit 1 750 dollars (1 277 euros) par mois contre 1 250 dollars (912 euros) auparavant – aiderait à sortir 900 000 familles de la pauvreté.
La mesure bénéficierait plus largement à 28 millions de travailleurs : les 17 millions gagnant aujourd’hui entre 7,25 et 10 dollars de l’heure, et ceux dont les salaires un peu plus élevés que 10,10 dollars seraient systématiquement réajustés – soit un cinquième de la force de travail américaine.
Un soutien médiatique et populaire
Cette proposition de loi bénéficie d’un soutien populaire assez rare pour une mesure aux effets redistributifs.
Un sondage du Washington Post publié en décembre affirme que 66% des Américains sont favorables à une augmentation du salaire minimum – qu’ild fixeraient cependant à 9,41 dollars – en dessous de l’actuel projet de loi.
Une du Bloomberg Businessweek du 17 février
Les médias ont également pris part au débat cette semaine, en défendant le « 10,10 » : Bloomberg Businessweek, qui y a consacré sa une, parle « du plancher salarial comme une marque de dignité du travail en lui-même » et la hausse de 40% comme du compromis le plus juste entre « la justice sociale et l’économie ».
Pour le New York Times, c’est désormais au tour des bas salaires de récolter les profits toujours plus importants des entreprises utilisés jusqu’ici pour ndemniser les dirigeants et les actionnaires.
D’autant, poursuit-il, que « des recherches, des faits, et des preuves montrent aujourd’hui qu’une hausse du salaire minimum est vitale pour la sécurité économique de milliers d’Américains, et bénéfique pour une économie à la peine ».
L’appel des 600
Affiche du Nelp expliquant la nécessité d’une hausse du salaire minimum (National Employment Law Project)
En janvier, ce sont 600 économistes, dont sept prix Nobel d’économie, qui ont apporté leur soutien à la proposition démocrate dans une lettre ouverte à Barack Obama et au président de la Chambre des représentants, le républicain John Boehner.
Publiée par l’Economic Policy Institute, un think tank libéral proche des démocrates, la lettre affirme que ces « augmentations auraient peu ou pas d’incidence sur l’économie puisque ces salariés seraient amenés à dépenser davantage d’argent, à faire augmenter les demandes et la croissance de l’emploi ».
Deux tiers des employés à faibles revenus travaillent aujourd’hui dans des compagnies de plus de 100 salariés qui ont continué d’engranger des bénéfices malgré la crise. Parmi elles figurent Walmart, MCDonalds, Yum ! , Taco Bell, Pizza Hut et KFC.
Un rapport du Nelp (le National Employment Law Project) daté de juillet 2012 souligne que sur les 50 plus grands employeurs de bas salaires (inférieurs à 10 dollars de l’heure) 90% ont réalisé des profits en 2011 et les trois quarts ont perçu davantage de revenus qu’avant la récession.
Ces entreprises seraient donc tout à fait capables de financer une hausse des salaires.
Les républicains et les grandes compagnies
Campagne parue dans le Wall Street Journal contre la hausse du salaire minimum (Minimumwage.com/The Employment Policies Institute)
A Washington DC, les Républicains soutenus par les entreprises de restauration et de loisirs, et leur puissants lobbies, sont déterminés à enterrer la proposition qu’ils jugent comme « une taxe injuste pour les employeurs », susceptible de freiner la création d’emploi et la croissance, de limiter les marges de manœuvre des petites entreprises.
Le bureau du Budget du Congrès américain (CBO) leur a donné raison mardi, en publiant les conclusions de son rapport affirmant qu’un salaire minimum fédéral de 10,10 dollars de l’heure pourrait coûter quelque 500 000 emplois a l’économie du pays d’ici à 2016 – soit 0,5% de sa force de travail.
Mais il a aussi reconnu que ces 40% de hausse pouvaient améliorer le quotidien de 15% des salariés américains – ce qui, au bout du compte, est un plus pour l’économie américaine.
Les républicains défendront coûte que coûte l’emploi aux dépens des salaires : « Le chômage est la première préoccupation des Américains, et notre objectif est de créer et non pas de détruire des emplois pour ceux qui en ont le plus besoin », affirmait en début de semaine Brendan Duck, le porte-parole du président de la Chambre des représentants, John Boehner.
A quelques mois des élections de mi-mandat, boosté par des sondages favorables et un soutien médiatique important, le camp démocrate est décidé à réaliser un tour de force politique en obligeant le Congrès a voter la loi.
Les républicains ont réussi ces dernières années à empêcher toute tentative de réforme de la part d’Obama, et la dernière grande initiative à être passée (dans la douleur) lui a couté une lourde défaite aux élections de mi-mandat en 2010.
L’enjeu de ces prochaines semaines est donc crucial pour le mandat du Président et pour le bilan politique qu’il va laisser derrière lui.
Collé à partir de <http://blogs.rue89.nouvelobs.com/node/227625/2014/02/20/augmenter-le-salaire-minimum-de-40-debat-houleux-aux-etats-unis-232355?imprimer=1>