Homicides, accidents, « malaises », légitime défense : 50 ans de morts par la police
par Ivan du Roy, Ludo Simbille 13 mars 2014
Il n’existe pas, en France, de décompte officiel des interventions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort. Combien de décès liés à une opération de police en 2013 ? Les années précédentes ? Dans quelles circonstances policiers ou gendarmes font-ils usage de la force, au risque d’entraîner la mort ? Les bavures avérées sont-elles marginales ? Impossible de le savoir autrement qu’en recensant soi-même le nombre de cas où un simple contrôle, une interpellation ou une poursuite de suspects se sont conclus par la mort des personnes ciblées. Basta ! s’est attelé à cette tâche. Et publie une base de données inédite, collectant ces informations sur près d’un demi-siècle. Dans le but d’ouvrir le débat sur ce qui semble être un tabou.
La violence exercée par les forces de l’ordre, lorsqu’elle provoque la mort, est-elle tabou en France ? Dans combien d’affaires, la question de la légitimité du recours à cette violence mortelle se pose-t-elle ? Des décès étaient-ils évitables ? Aucune base de données, aucun rapport, aucune statistique officielle n’existe sur le sujet. Ni au ministère de l’Intérieur pourtant si prompt à classifier la délinquance. Ni au ministère de la Justice qui comptabilise les condamnations inscrites au casier judiciaire selon la nature des délits – « violence à agent de l’autorité publique » par exemple. On nous renvoie de service en service tout en assurant qu’aucune procédure impliquant des policiers ou des gendarmes ne dort dans les tiroirs. Pas de fichier secret comptabilisant un « chiffre noir », certifiait la Direction générale de la police nationale, en juin 2012 [1].
Le sociologue Fabien Jobard évoque dans son livre « Bavures policières ? » [2] la publication d’études de l’Inspection générale des services (IGS) dans les années 90 mentionnant, sous l’effet d’une pression médiatique, le nombre de morts liés aux interventions policières. Mais le chercheur y pointe des lacunes et des contradictions. Ces études sont, de toute manière, demeurées temporaires. De son côté, feu la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS, lire ici) mentionne bien les « violences illégitimes » et les « décès à la suite d’interpellation » pour lesquels elle est saisie, mais n’en a pas dressé d’inventaire. Son successeur, le Défenseur des droits, ne fait pas mieux. Seules, les fiches répertoriées pour n’importe quelle affaire judiciaire gardent une trace des homicides commis par des policiers, précise Sophie Combes, magistrate et vice-présidente du Syndicat de la magistrature. Bref, il n’existe rien de spécifique sur les modalités d’usage de cette violence mortelle.
Une exception française ?
Pas sûr que le formulaire en ligne, lancé par l’Inspection générale de la Police nationale (IGPN) pour permettre à tout citoyen de dénoncer « un comportement susceptible de mettre en cause des agents affectés dans un service de la police nationale », vienne combler cette lacune (voir le signalement IGPN.) Cette initiative, prévue par la réforme 2013 de la « police des polices » voulue par le ministère de l’Intérieur, vise à rapprocher la police des citoyens. Une avancée timide au vu du quasi désert d’informations sur les bavures policières.
Ce type de recensement existe pourtant dans d’autres pays. Aux États-Unis, la Cour suprême tient une liste des « justifiable homicides by officers » (« homicides justifiables commis par des officiers ») relevés par le FBI (587 homicides en 2012, 309 en 2013). Des activistes publient également leur propre inventaire des violences mortelles « extrajudiciaires » perpétrées par les forces de sécurité, publiques ou privées (voir ici). Au Canada, les médias québécois jouent un rôle « plus important qu’en France pour réclamer des réponses en pareilles circonstances, ce qui fait que les incidents sont plus difficiles à ignorer et que le système est moins dysfonctionnel », estime le chercheur en criminologie Benoît Dupont. C’est d’ailleurs au Canada qu’une « journée internationale contre les violences policières » a été initiée. Elle se déroule le 15 mars. Plusieurs collectifs français y participent (voir les rendez-vous). En Allemagne, « la conférence des ministères de l’Intérieur » des différents Länder a publié en septembre 2013 des statistiques sur l’utilisation de leurs armes de service par les policiers allemands. Huit personnes ont été tuées par balles par des policiers allemands en 2012, et vingt blessées [3].
Une base de données inédite
Et en France ? Constatant l’absence de données officielles, Basta ! a décidé d’y remédier. Nous nous sommes donc attelés à ce décompte. Grâce, notamment, à la fastidieuse veille entreprise depuis 1968 par l’historien Maurice Rajsfus, rescapé de la rafle du Vel d’Hiv et animateur de l’Observatoire des libertés publiques (et de sa lettre « Que fait la police ? ») ; grâce aux informations fournies par le site A toutes les victimes des états policiers qui tente de recenser « les personnes tuées par la police » depuis 1971. Et grâce au travail lancé plus récemment par Ramatta Dieng, membre du collectif Vies volées, et sœur de Lamine Dieng, mort par étouffement dans un fourgon de police en 2007 à Paris. Une base d’informations que nous avons croisées, vérifiées, complétées.
Ce décompte n’est bien sûr pas exhaustif (voir notre méthodologie en fin d’article). Il prend en compte l’intégralité des actions ayant entraîné la mort et des homicides commis par des policiers ou des gendarmes, que ces actes soient volontaires ou non (accidents), relèvent ou pas de la légitime défense, qu’ils soient perpétrés dans des circonstances troubles (comme lors de bavures) ou lorsque l’agent n’est pas en service. Idem pour le profil des victimes, quels que soient la nature et la gravité du délit dont elles sont suspectées. Du présumé innocent au truand ou meurtrier avéré, en passant par le petit délinquant pris en flagrant délit, le respect du droit s’applique à chacun.
Il ne nous appartient pas de dire si, dans telle affaire, l’usage de la violence ayant entraîné la mort est « légitime » ou non. Si tuer ou faire usage de la force constitue, au vu des circonstances, une réponse disproportionnée ou pas. S’il y avait intention ou non de tuer. C’est à la Justice de trancher, lorsqu’elle est saisie [4]. Relevons simplement que nombre de procédures ont été abandonnées et bien des « non-lieux » ont été prononcés, un entre-deux inadapté aux demandes des familles des victimes. « Le ministère de l’Intérieur s’engage à ce que les Français connaissent la réalité des chiffres. C’est un principe fondamental de notre démocratie. Ce qui le préoccupe, c’est de lutter efficacement contre la délinquance et contre toutes les formes de violences, dans la durée », déclarait Manuel Valls, quelques mois après l’élection de François Hollande. Pourquoi cet engagement ne vaudrait-il pas pour cette forme de violence ? Notre « frise » chronologique, qui recense les morts liées à une intervention policière, permettra – nous l’espérons – d’ouvrir le débat sur ce sujet. Pour que ces morts puissent être évitées.
Comment naviguer sur la frise ?
Si la base n’apparaît pas, tentez de réactualiser la page
Pour remonter au fil des années : clic gauche maintenu pour faire défiler la chronologie
Pour consulter une fiche : cliquer sur le nom
Zoomer : pour voir le détail d’une année (symbole loupe + à gauche) ou voir plusieurs années à la fois (symbole loupe - à gauche)
Voir aussi notre méthodologie en fin d’article. Tout complément d’informations ou signalement d’erreurs sont les bienvenus.
Nous avons décidé d’entamer ce décompte à partir du 17 octobre 1961 : en pleine guerre d’Algérie, l’exécution, par les forces de l’ordre sous la responsabilité du Préfet Maurice Papon, de plusieurs dizaines d’Algériens manifestant pour le droit à l’indépendance, symbolise encore aujourd’hui l’opacité – et dans ce cas l’impunité – qui peut régner sur l’action de l’institution policière. Un demi-siècle plus tard, ce qui s’est alors passé dans les rues de la capitale est encore tabou. Il « est intolérable de mettre en cause la police républicaine et avec elle la République toute entière », déclarait ainsi, le 17 octobre 2012, Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, après la reconnaissance par le Président François Hollande de « la sanglante répression ». Reste que nous ne disposons d’informations plus complètes que depuis la fin des années 70.
Des violences policières plutôt de droite ou de gauche ?
Résultats ? Déjà 4 morts en 2014. 10 morts en 2013, 19 en 2012, 9 en 2011… 320 morts recensés en un demi-siècle, si l’on exclut le massacre du 17 octobre 1961 et la répression, un an plus tard, d’une manifestation contre la guerre d’Algérie et contre l’OAS, qui fera neuf morts aux abords du métro Charonne. Depuis la fin des années 70, huit décès liés à une intervention policière surviennent par an, en moyenne. L’année la plus meurtrière ? 1988 et ses 26 morts, qui est une année à part : celle où 19 militants indépendantistes kanaks sont tués lors de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, après avoir pris des gendarmes en otage. Hors évènements exceptionnels, 1986 reste ainsi l’année la plus tragique, avec 20 personnes tuées par la police, dont six dans les semaines qui suivent l’arrivée de Charles Pasqua (RPR) place Beauvau, d’où il lance son « Je vous couvre ». Ce « pic » se reproduira en mai 1993 – au moins 5 morts en dix jours (sur un total de 11) – alors que Charles Pasqua est de retour place Beauvau.
« Il n’y a pas de règles », précise cependant Maurice Rajsfus, qui a analysé les différentes périodes de répression d’État. Si l’année 2006 n’enregistre « que » 5 morts – Nicolas Sarkozy est alors ministre de l’Intérieur –, la suivante, année d’élection présidentielle, en compte 16, dont plusieurs cas troubles. Les deux dernières années de scrutin présidentiel – 2007 et 2012 (19 morts) – ont été particulièrement meurtrières. Ce qui n’est pas le cas pour les deux précédentes – 1995 et 2002 – avec respectivement 4 et 5 morts. A gauche, 1984 demeure une année noire, avec 14 décès.
De 7 à 77 ans : portrait-type des personnes tuées par la police
L’éventail des 320 personnes tuées par un agent des forces de l’ordre ou suite à leur intervention est large : de 7 ans – Ibrahim Diakité, tué accidentellement à Paris le 26 juin 2004 par un policier stagiaire qui manipule son arme de service – à 77 ans – Joseph Petithuguenin, un ouvrier à la retraite qui meurt dans le département du Doubs le 22 juin 2010 pendant sa garde-à-vue. Mais un profil-type se dessine. C’est un homme noir ou d’origine arabe, habitant un quartier populaire de l’agglomération francilienne ou lyonnaise, âgé de 25 à 30 ans [5]. Idem pour les circonstances qui leur ont été fatales : course-poursuite en voiture, garde-à-vue ou placement en cellule de dégrisement, contrôle d’identité ou interpellation qui tourne mal, tentative de fuite…
Dans une majorité des cas, policiers et gendarmes concernés ont fait usage de leur arme à feu. La majorité des tirs touche des régions du corps peu propices à une neutralisation tentant d’éviter la mort. Sur un échantillon de 200 personnes tuées par balles, une cinquantaine sont atteintes à la tête, 25 dans la poitrine, 25 dans le dos, une dizaine dans l’abdomen, une dizaine dans la nuque, une dizaine dans le cœur, 6 dans le cou. Une soixantaine de morts par balles n’est pas renseignée. Pourtant, dans ces cas précis, les situations où les agents se font tirer dessus, et sont donc contraints de riposter, demeurent exceptionnelles.
Des « morts naturelles » au commissariat
Autre cause révélée par les autopsies ou avancée préalablement par les autorités : le malaise cardiaque. Plus de vingt personnes ont ainsi péri lors de leur interpellation ou de leur garde-à-vue. La plupart de ces « malaises » sont consécutifs à une arrestation musclée ou à une immobilisation par la technique du « pliage » et par « asphyxie posturale » (lire ici), pratiquée notamment lors de tentatives d’expulsion de sans papiers. C’est le cas aussi pour Wissam-el-Yamni, qui meurt le 9 janvier 2012, à Clermont-Ferrand, quelques jours après son interpellation. Quand ces malaises se produisent au commissariat, les manquements aux soins, l’erreur de diagnostic médical, la non-assistance à personne en danger sont souvent pointés du doigt par les proches des victimes, voire par les enquêtes et expertises qui suivent le décès. « Le fonctionnaire de police ayant la garde d’une personne dont l’état nécessite des soins doit faire appel au personnel médical et, le cas échéant, prendre des mesures pour protéger la vie et la santé de cette personne », stipule le Code de déontologie de la police.
Ces décès au commissariat sont souvent entourés de circonstances troubles : traces d’ecchymoses ou de blessures, versions contradictoires des agents en poste, rétention d’information… Illustration ? Cet homme interpellé mi-juillet 2007 en état d’ébriété sur la voie publique à Rouen et placé en cellule. Sa mort, considérée comme naturelle suite à une crise cardiaque, est tenue secrète pendant deux semaines. Autre affaire emblématique du voile opaque qui peut recouvrir ces « malaises » mortels : le cas Abou Bakari Tandia, retrouvé dans le coma dans une cellule du commissariat de Courbevoie (Hauts-de-Seine) le 5 décembre 2004, et qui décède un mois et demi plus tard à l’hôpital. Sa famille porte plainte pour « actes de torture et de barbarie ayant entraîné la mort ». Il faudra huit ans de procédures pour aboutir à un « non-lieu », qui n’est ni une relaxe, ni une condamnation. Entre versions contradictoires et expertises médicales, les causes réelles du décès de cet homme de 38 ans restent toujours inconnues. La Cour européenne des Droits de l’Homme a été saisie.
Des accidents prémédités ?
Justifications embrouillées également autour de plusieurs « accidents » routiers. Des accidents étrangement similaires depuis trois décennies au cours desquels une vingtaine de jeunes ont trouvé la mort. Scénario classique : un ou plusieurs adolescents circulant en moto ou en voiture sont pris en chasse par une patrouille de police. Les visages de Thomas Claudio à Vaulx-en-Velin (Rhône), Yakou Sanogo à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), Tina Sebaa et Raouf Taïtaï à Saint-Fons (Rhône), Lakhamy Samoura et Moushin Sehhouli à Villiers-le-Bel (Val-d’Oise), Mohamed Ben Mâamar à Nanterre (Hauts-de-Seine), incarnent ces interventions problématiques. Perte de contrôle du véhicule par les suspects en fuite ou accidents provoqués par les poursuivants, les versions des forces de l’ordre diffèrent régulièrement de celles des témoins. La technique du « parechocage » est aussi critiquée. Elle « consiste à tenter d’immobiliser les véhicules, le plus souvent des deux roues, au moyen de la voiture de police, soit en les serrant contre le bord de la route, soit en les percutant », écrit le collectif Angles Morts.
Pourtant, en France les consignes sont d’éviter les courses-poursuites étant donné leurs conséquences disproportionnées par rapport à l’infraction constatée. Le 21 février 2013, ce sont deux policiers de la BAC, dont la voiture est percutée volontairement par un 4X4 en fuite sur le périphérique, qui trouvent la mort dans ce type d’intervention. « Le ministre de l’Intérieur va-t-il se décider à interdire officiellement cette pratique ? », interroge le bulletin de mars 2013 de Que fait la police ?.
La BAC particulièrement impliquée
Quelles sont les unités les plus impliquées ? La gendarmerie est concernée dans 45 décès, dont plus des trois-quarts sont causés par l’usage de leur arme. Des éléments qui peuvent expliquer cette tendance : les militaires sont en première ligne dans la mise en œuvre de barrages routiers sur tout le territoire et bénéficient aussi d’une « présomption de légitime défense », ce que réclament également plusieurs syndicats de police (lire ici). Mais au regard des effectifs, l’unité de la Police nationale dont les interventions causent le plus de morts sont les Brigades anti-criminalité (BAC). 33 affaires impliquent ainsi des policiers de la BAC, alors qu’ils ne sont que quelques centaines (comparé aux 98 000 gendarmes). Les CRS – au nombre de 14 000 – apparaissent dans une quinzaine de décès, dont trois grévistes – deux ouvriers et un lycéen – tués lors de l’évacuation de l’usine Peugeot de Sochaux, en juin 1968. Pour les fonctionnaires de police ou les gendarmes mis en examen après un homicide, un profil type se dessine également : il est de sexe masculin, plutôt jeune et donc en début de carrière.
Quelles suites judiciaires ?
Toute la lumière est-elle faite pour connaître les circonstances de la mort ? Et savoir si ouvrir le feu sur un suspect ou l’immobiliser de manière musclée était justifié ou pas ? Dans environ 130 affaires impliquant les forces de l’ordre (soit 40% des tués), nous n’avons pas connaissance d’éventuelles suites judiciaires, bien que des enquêtes internes à la police ont pu être dilligentées ou que des plaintes contre X ont pu être déposées. Mais sans que l’on sache si la Justice a été saisie et, dans le cas contraire, pourquoi elle ne l’a pas été (vous pouvez bien sûr nous aider à compléter cette base de données). A cette absence de suites judiciaires connues, s’ajoutent une quarantaine de non-lieux, qui constitue une réponse très insatisfaisante pour les familles des victimes. Dans plus de 60% des cas où l’usage de la force est mortelle, le comportement des policiers impliqués demeure donc potentiellement contestable. 10% des procédures se sont traduites par un acquittement ou une relaxe. Dans le tiers restant, les agents des forces de l’ordre impliqués ont été reconnus coupables, en fonction des circonstances, de non-assistance à personne en danger, d’homicides involontaires ou d’homicides volontaires : la majorité d’entre eux est condamnée à des peines de prison avec sursis. Seize fonctionnaires de police et gendarmes ont été condamnés à de la prison ferme, soit dans 5% des affaires que nous avons recensées (lire également notre précédente enquête).
« Damnés intérieurs »
Une relative opacité continue donc de planer. Comme si découvrir la vérité n’était finalement pas indispensable. Cette lenteur des autorités à éclaircir ces affaires tient-elle au profil type des personnes décédées ? Sur un échantillon de 61 morts entre 1977 et 2011, 39 étaient Algériens. L’historien Maurice Rasjfus y voit une réminiscence de la guerre d’Algérie. Plus largement, notre base de données confirme – et ce n’est pas une surprise – que ce sont les catégories populaires, en particulier d’origine immigrée, qui sont les plus touchées par les violences policières. Ce sont elles qui vivent à la périphérie des grands centres urbains, là où les problèmes de logements et de chômage sont les plus criants. Là aussi où se déploie la politique sécuritaire, doublée d’une politique du chiffre.
Contrôles récurrents, délits de faciès, recherche à outrance de flagrant délits génèrent chez les populations ciblées la crainte de se faire interpeller, elles-mêmes productrices de « comportement suspects » aux yeux des agents. Un climat illustré par la mort, à Clichy-sous-Bois, de Bouna Traoré et Zyed Benna (15 et 17 ans). Alors qu’ils rentrent d’un match de foot, les deux ados fuient une tentative d’interpellation pour ne pas être en retard et par crainte des réprimandes parentales (lire ici). Le drame déclenchera trois semaines de révoltes dans toute la France. Que la politique sécuritaire prenne pour cible les plus défavorisés « vise à la fois à occulter les inégalités et à sanctionner une seconde fois ceux qui en sont les victimes », explique l’anthropologue Didier Fassin qui a enquêté un an auprès d’une BAC. Pour Omar Slaouti, du Comité de soutien à Ali Ziri, un retraité de 69 ans décédé au commissariat d’Argenteuil, la « bavure » ne se résume pas « à certains policiers qui feraient mal leur boulot », mais relèverait plutôt d’une volonté de l’État. Thèse que défend Mathieu Rigouste, chercheur en sciences sociales, dans son dernier livre La Domination policière. Une violence industrielle [6]. « La violence policière n’a rien d’accidentel. La violence politique, étant le produit d’une mécanique régulée et de protocoles techniques, l’État prémédite institutionnellement le meurtre des damnés intérieurs », écrit-il. Ce qui expliquerait que, pour l’instant, trop peu d’actions ne soient menées pour l’endiguer.
Ludo Simbille et Ivan du Roy
Élaboration de la base de données : Ludo Simbille
Méthodologie
Quelles informations figurent dans la frise ?
Date, département, ville et lieu de la mort
Nom, prénom et âge de la personne décédée, sauf lorsqu’ils nous sont inconnus, dans ce cas seule la mention « homme » ou « femme » apparaît.
Cause de la mort : elle est soit directement liée à l’action des forces de l’ordre (tir entraînant la mort par exemple), soit une conséquence indirecte (malaise cardiaque au cours d’une interpellation par exemple, course-poursuite entraînant un accident mortel, non assistance à personne en danger...).
Circonstances de la mort : contexte, descriptif de l’événement et des différentes versions le cas échéant, les éventuelles suites judiciaires en fonction des informations que nous avons pu recueillir, essentiellement dans la presse. Ces éléments peuvent donc être incomplets. Merci de nous signaler toute erreur.
Type de police concernée : le type d’unité impliquée (Bac, gendarmerie, CRS, police municipale…).
Suite judiciaire : quand une enquête est en cours ou quand la Justice s’est prononcée. Le suivi judiciaire d’une procédure n’étant pas forcément assurée par les médias, tout complément d’informations est le bienvenu.
Procédure : le type de procédure ouverte (enquête interne, information judiciaire, mise en examen...).
Durée de la procédure : délai entre le décès et le résultat (éventuel) d’une procédure ou le jugement d’un tribunal.
Sources de l’information.
N’hésitez pas à nous signaler d’éventuelles erreurs, omissions ou incohérences en postant un commentaire et en précisant la source de vos informations, en particulier pour les cas les plus anciens où les informations disponibles en ligne se raréfient.
Rappel :
Ces données prennent en compte l’intégralité des actions des force de l’ordre ayant entraîné la mort et des homicides commis par des policiers ou des gendarmes, que ces actes soient volontaires ou non (accidents), relèvent ou pas de la légitime défense, qu’ils soient perpétrés dans des circonstances troubles (bavures) ou lorsque l’agent n’est pas en service. Idem pour le profil des victimes, quels que soient la nature et la gravité du délit dont elles sont suspectées. Du présumé innocent au truand ou meurtrier avéré, en passant par le petit délinquant pris en flagrant délit, le respect du droit s’applique à chacun.
Notes
[2] Ed. La Découverte, avril 2002.
[3] Les policiers allemands ont tiré sur des personnes dans 36 cas et ont raté leur cible dans les 8 cas restants. Source : Der Spiegel. La plupart de ces utilisations d’armes à feu sont enregistrées comme des tirs de légitime défense.
[4] D’après l’article 122-5 du Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte. »
[5] La moyenne d’âge des 119 personnes tuées depuis 2000 est de 28 ans.
[6] La Fabrique, 2012.
Collé à partir de <http://www.bastamag.net/Homicides-accidents-malaises>