Éric, 49 ans, mort à la rue un soir de novembre

 

par Pierre Duquesne, journaliste à l'Humanité

 

17 mars 2015

Au moins 480 personnes sont mortes à la rue en 2014, dénonce le collectif des Morts de la rue qui leur rend hommage mardi 17 mars. Parmi elles, Éric. Un sans-abri avec lequel ses voisins  avaient tissé de nombreux liens.

«Chateaubriand habita ici de 1826 à 1838 », est écrit sur une immense plaque en marbre, avenue Denfert-Rochereau, à Paris. Sur le trottoir d’en face, une autre, bien plus petite, indique : « Éric Farvacque, 1965-2014 ». Pas besoin d’une grande explication ni d’une longue épitaphe. Ici, personne n’a vu Chateaubriand. Mais Éric, tout le monde le connaissait, dans ce coin paisible du 14e arrondissement.

Catherine, sa voisine, se souvient de sa première rencontre avec cet homme à la rue qui a planté sa tente au pied d’un peuplier, à deux pas de son immeuble. Ce qu’elle remarqua d’abord, ce sont ses yeux, son visage et sa grande moustache. « De beaux yeux bleus », répète cette avocate, et un tempérament un peu trop discret. « Ce n’est pas parce que l’on vit sur la voie publique que l’on n’a pas de vie privée, assure Catherine. Éric tenait énormément à sa dignité. »

Un rosier grimpant
« sur le pas de sa tente »

Les contacts vont vite se nouer. « Eric avait souvent un livre à la main », raconte Catherine. Un prétexte pour entamer la conversation. Son rosier grimpant, offert par une centenaire du quartier, et installé « sur le pas de sa tente », a aussi stoppé pas mal de passants. Des astronomes de l’Observatoire, situé à quelques mètres, avaient avec lui des querelles célestes. Des salariés de l’hôpital Cochin s’épanchaient avec lui sur leur quotidien. « Éric a suivi, jour après jour, la grossesse de ma femme », se souvient Loïc, qui le saluait chaque matin avant de prendre son service à la DRH de l’hôpital. « Il était généreux comme ceux qui n’ont rien et ne veulent rien posséder, raconte le cadre dans un hommage rendu sur Facebook. Un jour que je lui ramenais un gros sweat à capuche, il l’essaya avant de me tendre le pull qu’il venait d’enlever. » « Tu pourras le donner à un autre, il est chaud et du coup je n’en ai plus besoin », lui avait-il répondu. Éric avait aussi ses têtes. Quand un type lui propose 10 euros pour surveiller sa Rolls-Royce, il lui dit crânement « d’aller se faire voir ailleurs avec son trois-pièces cuisine à roulettes ! »

Il se rendait chez Laurent, le coiffeur, pour recharger son portable ou son lecteur DVD, parfois se faire couper les cheveux. Il allait chez Soleiman, le bouquiniste. Une voisine avait voulu y ouvrir un compte, pour qu’il puisse lire à sa guise. Peine perdue. Éric a toujours voulu payer ses livres, du premier au dernier. Sa dernière évasion du macadam parisien, ce fut avec Zazie dans le métro de Raymond Queneau. « Je lui ai dit que je l’avais payé 1 centime. Mais il a refusé, tenant à me l’acheter un euro », rapporte Soleiman

Éric habitait la rue. Il habitait aussi la vie de tous ceux qui l’ont connu. Alors, évidemment, ils tous été très peinés d’apprendre sa mort, le 29 novembre dernier. Il avait quarante-neuf ans. C’est l’âge moyen de décès pour les 480 morts de la rue recensés en 2014 par le collectif qui leur rend hommage aujourd’hui. La moyenne nationale s’approche plutôt des quatre-vingt-deux ans. « Nous avions pratiquement le même âge», confie Catherine, qui s’est chargée des funérailles, organisées le 24 décembre, auxquelles participeront Loïc et quelques autres. Son mari, artiste de bronze d’art, lui fabrique une plaque patinée, qu’ils ont clandestinement fixée sur le mur gris. « Nous ne voulons pas l’oublier, le voir disparaître aussi vite que sa tente, comme un vulgaire déchet », raconte Catherine. Il arrivait à son mari de partager avec Éric, certains soirs, une cigarette, un moment de répit et une grande bouffée d’air.

Paris est un « immense caravansérail des désespoirs et des miracles quotidiens », écrivait le vagabond Jean-Paul Clébert dans son livre de 1952, Paris insolite, aujourd’hui introuvable. À cette époque, les « cloches » n’étaient pas les exclus d’aujourd’hui. « Certains arrondissements, comme le 15e, chassent carrément les SDF», s’insurge Catherine. Les nouveaux abribus, ouverts aux quatre vents, et dont la taille des sièges ne cesse de se réduire, semblent avoir été dessinés pour éviter qu’ils ne s’y installent. « Comment un pays comme le nôtre, parmi les plus riches du monde, peut-il refuser d’offrir un banc à des êtres humains ?»

Ce qui irrite Soleiman, ce sont les pas de côtés, les regards en biais, et l’hypocrisie de ceux qui les croisent sans leur parler, sans les voir. «Les sans-abri sont souvent des hommes d’une richesse extraordinaire», ajoute le bouquiniste. Il se souvient de Toussaint, polyglotte et lecteur assidu du Figaro, de Ludovic, l’anarchiste, et de ce clochard africain qui connaissait mieux que personne la philosophie grecque… Tous des occupants de la rue Denfert qui, comme Éric, abandonné dès l’enfance, évoquaient peu leur histoire jalonnée de ruptures. «Mais tous, assure Soleiman, affichent une présence, une sensibilité et une humanité bien plus développée que celles des gens qui possèdent tout.»

Pierre Duquesne

 

Collé à partir de <http://www.habiterlaville.fr/eric-49-ans-mort-a-la-rue-un-soir-de-novembre/>

 

 

L’interdit de tuer doit être préservé

 

Nous, représentants des trois grandes traditions religieuses monothéistes, conscients des évolutions qui traversent notre société, des nouvelles situations qu’elles génèrent et de la nécessité de rechercher des adaptations, voire des améliorations, des dispositifs législatifs et réglementaires pour accompagner ces évolutions, considérons qu’une telle recherche doit être le fruit d’un débat serein, démocratique et respectueux de la personne humaine et de sa dignité.

Le contexte actuel manque de lisibilité, et la période que nous traversons est difficile, secouée par des crises à répétition, politique, économique, financière et morale. Un nouveau débat sur la fin de vie risque d’y ajouter de la confusion.

Il y a moins de dix ans, la République française avait tranché la question par la voix unanime de ses parlementaires, quand fut votée la loi Leonetti, le 22 avril 2005. « Rien ne pourra jamais justifier le droit de donner la mort à un homme » : ni sa santé, ni son inconscience, ni son extrême vulnérabilité, ni même son désir de mourir. Le caractère inviolable de la vie humaine avait franchi une nouvelle étape. Et c’est sur ce socle commun que s’est consolidé l’acte médical face à l’euthanasie.

Le droit français, qui exclut l’acharnement thérapeutique, condamne l’euthanasie. Il en est de même du droit européen : dans une recommandation adoptée en 1999, le Conseil de l’Europe condamne l’euthanasie, qui est par ailleurs interdite dans la quasi-totalité des pays du monde.

Alors que le débat est relancé, nous lançons un appel commun, inquiet et pressant, pour qu’une éventuelle nouvelle loi ne renonce en aucune façon à ce principe fondateur : toute vie humaine doit être respectée spécialement au moment où elle est le plus fragilisée. Nous demandons que cette loi civile soit civilisatrice, c’est-à-dire qu’elle aide à vivre et à mourir, sans jamais écourter la vie, sans jamais décider de donner la mort. Nous voulons qu’elle s’entoure d’un large consensus autour de principes clairs, sûrs que la moindre équivoque en ce domaine générera, à terme, la mort d’innombrables personnes sans défense.

Nouvelle tentation

Dans le débat qui s’ouvre aujourd’hui surgit en effet une nouvelle tentation : celle de donner la mort, sans l’avouer, en abusant de la « sédation ». S’il peut être utile ou nécessaire d’endormir un patient, à titre exceptionnel, l’usage de cette technique est dénaturé dès qu’il s’agit, non plus de soulager le patient, mais de provoquer sa mort. Ce serait un acte d’euthanasie. Or, quand il est question de vie et de mort, la conscience humaine ne peut être en paix si l’on joue avec les mots. La démocratie elle-même ne peut que souffrir de la manipulation de concepts aussi sensibles.

C’est pourquoi nous demandons que soit encouragé l’accompagnement des personnes en fin de vie, tout en garantissant qu’elles soient clairement protégées par l’interdit de tuer. C’est au regard porté sur ses membres les plus fragiles qu’on mesure le degré d’humanisation d’une société.

Au nom de quoi envisagerait-on de légaliser un geste de mort ? Parce que la personne concernée aurait, dit-on, perdu sa dignité humaine ? Parce qu’elle aurait fait son temps ? On lui laisserait entendre qu’elle est devenue inutile, indésirable, coûteuse… L’homme se croit-il en mesure de décerner – pour lui-même ou pour autrui – des brevets d’humanité ?

Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre société, pour le lien entre les générations, pour la confiance entre les soignants et les soignés et, plus profondément, pour servir la grandeur de la médecine, l’esprit de la civilisation, et notre plus grande humanité.

Philippe Barbarin (cardinal, archevêque de Lyon), François Clavairoly (président de la Fédération protestante de France), monseigneur Emmanuel (métropolite de France, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France), Haïm Korsia (grand rabbin de France) et Mohammed Moussaoui (président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman)

Collé à partir de <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/09/nous-hauts-dignitaires-religieux-demandons-a-ce-que-soit-preserve-l-interdit-de-tuer_4589691_3232.html>