Comment le blocage des sites est devenu leur réponse à tout

Andréa Fradin | Journaliste

En dix ans, le blocage des sites internet s’est imposé dans la tête de nos élus comme remède à des maux toujours plus divers : téléchargement illégal, pédopornographie, terrorisme... Jusqu’où iront-ils ?

Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, à l’Assemblée, le 28 janvier 2015 (JOEL SAGET/AFP)

A bloc. Pour mettre fin à la diffusion de certains contenus sur Internet, le gouvernement, ainsi qu’une majorité d’élus, n’ont plus qu’une seule et même solution en tête : le blocage des sites.

Ce qu’on reproche au blocage

Le blocage des sites internet est décrit comme inefficace car facilement contournable et dangereux parce que susceptible d’affecter d’autres sites tout ce qu’il y a de plus fréquentables.

Ces critiques, présentes depuis le début, viennent de toute part : élus de droite comme de gauche, associations de défense des libertés comme entreprises, mais aussi administration (habituellement réservée).

En 2012, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), en résumait l’esprit [PDF], estimant qu’en tant qu’« ingérences graves dans la liberté d’expression », et du fait de son inefficacité, le blocage des sites ne devait être utilisé qu’en dernier recours et en présence du juge judiciaire.

Le 30 mars, le Sénat a ainsi adopté un amendement pour bloquer les sites favorisant le proxénétisme. Récemment, c’est la garde des Sceaux qui en vantait les mérites pour contrer les messages de haine (racisme, antisémitisme, homophobie...). Et début 2015, les sites faisant la promotion du terrorisme ont aussi fait l’objet de ce genre de mesure de rétorsion. Aux côtés des sites au contenu pédopornographique.

Le tout, en évacuant progressivement la figure du juge, garant en théorie des libertés ; le blocage des sites se passe désormais la plupart du temps de lui et relève de l’application d’une procédure strictement administrative.

D’une mesure extraordinaire, et toujours âprement critiquée (voir encadré ci-contre), le blocage des sites internet semble donc être devenu, en France, la normalité. Ainsi que la norme.

Ce n’est pas simplement une lubie passagère du gouvernement actuel. Comme le montre l’analyse des questions au gouvernement ces dernières années, c’est toute la classe politique française qui s’est progressivement convertie à ce nouvel antidote, pourtant qualifié de liberticide.

Pour comprendre comment on en est arrivé là, on est allés fouiller le site de l’Assemblée nationale (avec différents mots-clés, tels que « blocage des sites » ou « fermeture de sites »), et nous avons constaté une inflation, ces dernières années, du recours à cet outil de contrôle du Net.

Mentions du blocage des sites internet dans les questions au gouvernement, de 2004 à 2015 (Rue89)

Inexistant ou presque jusqu’en 2008, il apparaît nettement aux alentours de 2008-2010 (adoption de la Loppsi, qui prévoit le blocage des sites pédopornographiques), puis plus fortement encore entre 2014-2015. Le blocage n’a pas de couleur politique.

2004-2008 : à propos du « peer-to-peer »

Jusqu’à 2004, la notion de « blocage » apparaît dans le cas de grève des transports, ou de situations administratives entravées. Rien à voir, donc, avec Internet.

Les années 2000 viennent tout changer : aux côtés des préoccupations sur le bug annoncé de l’an 2000, des députés s’inquiètent du sort des enfants sur Internet. A cette époque, il ne s’agit pas encore de bloquer des sites à l’échelle d’un pays entier, mais de permettre aux parents de le faire sur leur propre ordinateur, via des logiciels de contrôle parental (pour cette raison, nous n’avons pas compté ces mentions dans notre analyse).

L’idée d’un blocage généralisé des sites apparaît dans les questions des députés aux alentours de 2004. Et c’est le prisme de l’industrie culturelle qui la fait entrer dans l’hémicycle. Les élus s’inquiètent alors du téléchargement illégal et interrogent le gouvernement Raffarin sur les mesures à prendre. Ce dernier joue la carte de la prudence. Ainsi le 9 mars 2004 :

« En ce qui concerne le filtrage, les partenaires conviennent que le filtrage généralisé des réseaux d’échange de type pair-à-pair (“ peer-to-peer ”), présente un certain nombre de difficultés techniques, d’autant plus que certains échanges de fichiers grâce à ces systèmes sont parfaitement légaux et utiles. »

La ligne restera la même jusqu’en 2008. Et les interventions sur le sujet, maigres, ne concernent que la protection de la propriété intellectuelle (nous avons repéré quatre questions au gouvernement reliées au sujet).

2008-2009 : protéger les enfants

Déboule ensuite la question des enfants et adolescents « face aux dangers de l’Internet ». Entre 2008 et 2009, plus d’une vingtaine de questions au gouvernement reflètent l’inquiétude de certains élus face aux contenus sensibles diffusés sur les écrans – Internet et télé étant souvent mêlés. Pornographie, promotion de l’anorexie (qui refait surface aujourd’hui), violence...

A chaque fois, le gouvernement d’alors renvoie à son intention de bloquer les sites pédopornographiques : ce sera l’une des mesures controversées de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Loppsi) présentée en 2009 pour être définitivement adoptée en 2011.

A l’époque, la validation par le juge du dispositif est au centre du débat : certains veulent l’évacuer au nom d’une plus grande rapidité d’action, d’autres cherchent à garantir son maintien, au nom du respect des libertés.

Le juge se verra finalement mis sur la touche, y compris par le Conseil constitutionnel, qui a ici ouvert une brèche dans laquelle les gouvernements suivants n’ont pas manqué de s’engouffrer.

2009-2011 : jeux d’argent et vente illégale

En 2009-2010, outre la question de la pédopornographie qui revient régulièrement, se pose le nouveau sujet des jeux d’argent en ligne. C’est l’heure des débats autour du blocage des sites de paris illicites, finalement adopté en mai 2010. Ici, le juge n’est pas complètement évacué : si une autorité administrative, l’Arjel, a en partie la main sur les sites à évincer, elle doit encore en demander l’autorisation au président du tribunal de grande instance.

Sollicité aussi par les députés sur les problématiques d’escroquerie en ligne, le gouvernement esquive en invoquant les mesures prises contre la pédopornographie comme preuve de sa vigilance.

Les sujets relatifs à la consommation se pointent aussi : les élus se préoccupent des sites illégaux de vente de tabac. L’esprit de la loi dite Hamon, adoptée début 2014, se profile déjà : le texte autorise en effet la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à demander au juge de bloquer des sites contrevenant au code de la consommation.

2011-2013 : le grand flou

Ces trois années sont une période de transition. D’incertitude. Comme souvent en matière d’Internet, le gouvernement socialiste fraîchement élu hésite, tergiverse. Rétropédale. Le décret d’application de la Loppsi (qui rend la loi effective), en particulier sur le blocage des sites pédopornographiques, n’a pas été publié et le gouvernement est régulièrement interrogé sur son sort.

En 2013, Fleur Pellerin, alors chargée du numérique, affirme par exemple dans l’hémicycle :

« Je [...] confirme que le gouvernement – c’est quelque chose que la majorité a toujours défendu, y compris quand elle était dans l’opposition – n’autorisera pas le blocage de sites sans autorisation du juge. »

Loupé.

Comme le montre NextInpact, les rangs socialistes sont passés d’un combat acharné contre la Loppsi, et notamment le blocage des sites internet sans juge, à une position très favorable à ce dispositif.

2014-2015 : terrorisme, racisme...

A partir de 2014, les députés s’emballent. La thématique du blocage internet explose : de nombreuses questions sont par exemple consacrées à un rapport interministériel sur la cybercriminalité émis à l’été 2014, et qui propose d’encadrer le dispositif – en y réinsérant le juge. Les réponses du gouvernement sont floues.

De même, la question de la lutte contre le terrorisme, et de sa promotion sur Internet, phagocyte le débat. Pour rappel, c’est une loi votée en novembre 2014 qui autorise le blocage de ces sites (son décret d’application est publié début 2015 et englobe les sites pédopornographiques).

D’autres motifs de blocage, inédits jusque-là, font leur apparition : ainsi celui défendu par Christiane Taubira (lutte contre la haine, le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie) inspire deux élus socialistes, qui ont demandé les 10 et 17 mars derniers à étendre le dispositif aux « injures et diffamations à l’encontre des représentants du peuple ».

En fin de compte, tout se passe donc exactement comme les opposants à ce dispositif l’avaient prévu. En 2011, peu de temps après l’aval donné au blocage administratif des sites pédopornographiques par le Conseil constitutionnel, Jérémie Zimmermann, cofondateur de La Quadrature du Net, prédisait :

« C’est une instrumentalisation de la pédopornographie pour faire passer le filtrage. [...] Un prétexte qui va amener à contrôler le Web en fonction de valeurs morales. »

Collé à partir de <http://rue89.nouvelobs.com/2015/04/03/comment-blocage-sites-est-devenu-reponse-a-tout-258485>

 

 

L’interdit de tuer doit être préservé

 

Nous, représentants des trois grandes traditions religieuses monothéistes, conscients des évolutions qui traversent notre société, des nouvelles situations qu’elles génèrent et de la nécessité de rechercher des adaptations, voire des améliorations, des dispositifs législatifs et réglementaires pour accompagner ces évolutions, considérons qu’une telle recherche doit être le fruit d’un débat serein, démocratique et respectueux de la personne humaine et de sa dignité.

Le contexte actuel manque de lisibilité, et la période que nous traversons est difficile, secouée par des crises à répétition, politique, économique, financière et morale. Un nouveau débat sur la fin de vie risque d’y ajouter de la confusion.

Il y a moins de dix ans, la République française avait tranché la question par la voix unanime de ses parlementaires, quand fut votée la loi Leonetti, le 22 avril 2005. « Rien ne pourra jamais justifier le droit de donner la mort à un homme » : ni sa santé, ni son inconscience, ni son extrême vulnérabilité, ni même son désir de mourir. Le caractère inviolable de la vie humaine avait franchi une nouvelle étape. Et c’est sur ce socle commun que s’est consolidé l’acte médical face à l’euthanasie.

Le droit français, qui exclut l’acharnement thérapeutique, condamne l’euthanasie. Il en est de même du droit européen : dans une recommandation adoptée en 1999, le Conseil de l’Europe condamne l’euthanasie, qui est par ailleurs interdite dans la quasi-totalité des pays du monde.

Alors que le débat est relancé, nous lançons un appel commun, inquiet et pressant, pour qu’une éventuelle nouvelle loi ne renonce en aucune façon à ce principe fondateur : toute vie humaine doit être respectée spécialement au moment où elle est le plus fragilisée. Nous demandons que cette loi civile soit civilisatrice, c’est-à-dire qu’elle aide à vivre et à mourir, sans jamais écourter la vie, sans jamais décider de donner la mort. Nous voulons qu’elle s’entoure d’un large consensus autour de principes clairs, sûrs que la moindre équivoque en ce domaine générera, à terme, la mort d’innombrables personnes sans défense.

Nouvelle tentation

Dans le débat qui s’ouvre aujourd’hui surgit en effet une nouvelle tentation : celle de donner la mort, sans l’avouer, en abusant de la « sédation ». S’il peut être utile ou nécessaire d’endormir un patient, à titre exceptionnel, l’usage de cette technique est dénaturé dès qu’il s’agit, non plus de soulager le patient, mais de provoquer sa mort. Ce serait un acte d’euthanasie. Or, quand il est question de vie et de mort, la conscience humaine ne peut être en paix si l’on joue avec les mots. La démocratie elle-même ne peut que souffrir de la manipulation de concepts aussi sensibles.

C’est pourquoi nous demandons que soit encouragé l’accompagnement des personnes en fin de vie, tout en garantissant qu’elles soient clairement protégées par l’interdit de tuer. C’est au regard porté sur ses membres les plus fragiles qu’on mesure le degré d’humanisation d’une société.

Au nom de quoi envisagerait-on de légaliser un geste de mort ? Parce que la personne concernée aurait, dit-on, perdu sa dignité humaine ? Parce qu’elle aurait fait son temps ? On lui laisserait entendre qu’elle est devenue inutile, indésirable, coûteuse… L’homme se croit-il en mesure de décerner – pour lui-même ou pour autrui – des brevets d’humanité ?

Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre société, pour le lien entre les générations, pour la confiance entre les soignants et les soignés et, plus profondément, pour servir la grandeur de la médecine, l’esprit de la civilisation, et notre plus grande humanité.

Philippe Barbarin (cardinal, archevêque de Lyon), François Clavairoly (président de la Fédération protestante de France), monseigneur Emmanuel (métropolite de France, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France), Haïm Korsia (grand rabbin de France) et Mohammed Moussaoui (président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman)

Collé à partir de <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/09/nous-hauts-dignitaires-religieux-demandons-a-ce-que-soit-preserve-l-interdit-de-tuer_4589691_3232.html>