Le native advertising, un poison pour la presse en ligne

Article  par  Luciano BOSIO  •  Publié le 19.03.2015  

Alors que le modèle économique de la presse en ligne repose sur la publicité, les sites de presse ont-ils vendu leur âme au diable en intégrant le native advertising à leurs pratiques éditoriales?

 

 

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Les revenus publicitaires engrangés par Internet dans le monde devraient dépasser cette année 150 milliards de dollars. À lui seul, Google récoltera plus de 30 % de ce pactole, et Microsoft, Yahoo! et Facebook s’en partageront 15 %. Dans l’Hexagone, les quatre mousquetaires états-uniens détiendront au moins 50 % de part de marché sur les quelque 3 milliards investis dans le numérique. Et la presse ? Tous ensemble, les quelques centaines de quotidiens et de magazines, nationaux et locaux, grand public et professionnels, recevront moins de 10 % de ce montant.

 

Les sites et applications de presse ne dominent aucun segment du marché, à l’exception (partielle) des annonces classées (le classified) : ni le display, ni la vidéo, ni le mobile. Et pourtant, l’écrasante majorité des éditeurs continuent de projeter comme avenir une distribution semi-gratuite de contenus – à l’exception d’espaces premium bien réduits, réservés aux abonnés, qui, pour la plupart, ne paient rien puisqu’ils accèdent aux zones payantes en tant qu’abonnés aux éditions papier. Les revenus publicitaires demeurent donc la source essentielle de financement des activités numériques de la presse, alors qu’elle n’en récolte qu’une part marginale sur la Toile.

 

De plus, les annonceurs et acheteurs d’espace ont considéré que la faiblesse croissante des entreprises de presse, qui ne peuvent indéfiniment tailler dans leurs coûts sans mettre en péril la qualité des contenus, était pour eux l’occasion rêvée de faire coup double : ils font monter d’un cran la pression sur les prix, qui chutent, et ils donnent libre cours à leur gourmandise vis-à-vis des contenus diffusés : désormais, on n’achète plus de l’espace pour communiquer à côté des informations, on exige de coproduire ces dernières. C’est le native advertising, une trouvaille qui pourrait bien devenir un poison pour la presse en ligne.

 

Le native advertising, que certains appellent à tort « publicité indigène », a pour but d’attirer l’attention du consommateur en lui fournissant du contenu dans un contexte éditorial. Il s’agit donc d’effacer tout clivage entre l’éditorial et cette forme de publicité. Les adeptes du native advertising sont les nouveaux médias états-uniens – Google, Facebook, Twitter, Yahoo! – qui refusent d’un côté l’utilisation des formats classiques de publicité sur Internet (la bannière, et même le pré-roll vidéo) parce qu’ils les jugent intrusifs, et en réalité inefficaces. Organisant leurs informations en flux, ils présentent leur publicité de la même façon, en flux, intégrant ainsi les contenus des annonceurs au sein même de leur production éditoriale, dans la continuité du flux. Ils définissent ainsi ce procédé : « mettre la marque annonceur au cœur du contenu éditorial et de l’expérience utilisateur, et ainsi bénéficier de l’influence de la marque éditoriale ». Il s’agit de mettre en place des formats publicitaires plus digestes et moins destructeurs de valeur pour les marques commerciales, souvent victimes d’un retargeting (affichage de messages pour un produit sur des sites visités par un internaute qui a fait preuve d’intérêt pour ce produit sur un autre site) abusif et mal contrôlé de leurs campagnes.

 

En vieux moraliste, j’aurais envie d’appeler cela « tromper le lecteur ». Jugez-en vous-même : selon une étude réalisée par l’Ifop pour la régie Internet Adyoulike, seules 29 % des personnes interrogées ont identifié les publicités natives comme de la communication de marque, contre 77 % pour les bannières.

 

Face à des données aussi explosives pour le statut et la crédibilité des marques de presse, on aurait pu s’attendre à une réaction des éditeurs qui établisse des frontières infranchissables entre des sites nés essentiellement pour supporter la publicité – comme Google ou Facebook – et des entreprises employant des journalistes. Eh bien, non. La presse a vite chanté les louanges de la publicité native. Et à l’avant-garde de cet engouement on peut même trouver – à côté de Lagardère – une régie comme celle du Monde qui, tout en ayant toujours fait de l’indépendance de la rédaction sa colonne vertébrale, consacre un minisite au native advertising.

On peut y lire cette profession de foi : « Au sein du groupe Le Monde, nous pensons qu’il s’agit d’une tendance de fond, un mouvement de réinvention de la chaîne de valeurs de la publicité d’image telle que nous la connaissons actuellement. » Et, plus loin : « On parle désormais de collaboration et de compatibilité d’ADN entre la marque annonceur et la marque média. » La régie du Monde, auteur du document, prêche la nécessité de « se forger des convictions fortes : cocréation, proactivité, corédaction ». Que pensent les rédactions de ces affirmations ? Les journalistes ne peuvent-ils craindre de voir la légitimité de leurs articles menacée par la présence « au coeur même du contenu éditorial » de contenus sponsorisées par les marques des annonceurs ?

 

Bien entendu, la régie du Monde n’a pas l’intention de tromper le lecteur. Il est clair que des journaux et des magazines dont les recettes publicitaires baissent chaque année de près de 10 % et qui ne parviennent pas à compenser ces pertes par la pub sur le numérique ne peuvent pas laisser passer une nouvelle opportunité publicitaire sans l’étudier à fond. C’est une question de professionnalisme. En octobre 2014, l’IAB (Internet Advertising Bureau, sorte de juge de paix des sites web) est intervenu avec un document qui prétend définir le native advertising et fixer ses limites. Dans ce texte de référence, rédigé avec le concours de nombreux éditeurs, l’IAB écrit que le native advertising est « un moyen d’harmoniser l’offre publicitaire à la culture du web ». Puisque « la publicité native se situe en dehors des emplacements publicitaires sans interrompre la navigation », elle est « en accord avec une expérience utilisateur positive ». Et tant pis si les dispositions générales du code ICC (International Chamber of Commerce) prévoient à l’art. 9 que « la communication marketing doit pouvoir être nettement distinguée en tant que telle, quels que soient la forme et le support utilisés » !

 

 Imaginez-vous de faire payer le téléspectateur pour regarder TF1 ou M6 ?  Bien sûr, les plus cyniques auront beau jeu de prétendre que le native advertising, comme naguère le brand content, n’est que du verbiage marketing ; que la presse a toujours renvoyé l’ascenseur aux annonceurs ; qu’il existe en Italie une pratique consistant à répartir les investissements publicitaires entre les titres en fonction du nombre de citations de marques dans les articles des journaux et magazines ; qu’un outil statistique ayant industrialisé cette pratique est commercialisé aussi bien en Italie qu’en France, même si le marché est très discret à son sujet. Mais là n’est pas le problème. Ce qu’on peut craindre, c’est que le native advertising n’encourage des stratégies donnant la priorité aux recettes publicitaires, poussant les éditeurs à chercher de plus en plus l’audience pour l’audience au détriment de la qualité journalistique des sites ; que la course aux clics de la part des sites de presse donne lieu à des produit éditoriaux ne justifiant pas le prix de l’accès payé par le lecteur ; bref, que sur la Toile, le modèle TF1 l’emporte sur le modèle Canal+. Imaginez-vous un seul instant de faire payer le téléspectateur pour regarder TF1 ou M6 ? De la même façon, peut-on faire payer le lecteur pour l’abreuver de native advertising ? Et pourtant, il n’y a pas d’avenir pour la presse de qualité si la stratégie de la gratuité, financée par des recettes publicitaires structurellement insuffisantes sur le très long terme, n’est pas remplacée par un modèle mixte qui donne la priorité aux revenus de diffusion, faisant des sites d’information un produit payant comme les journaux papier. Bref, un modèle qui remette le native advertising à sa place, chez Facebook, Twitter et consorts.

 

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Crédit photo :

Murray Williams / Flickr

Capture d'écran d'une publicité sur le site du New York Times

 

Collé à partir de <http://www.inaglobal.fr/presse/article/le-native-advertising-un-poison-pour-la-presse-en-ligne-8173>

 

 

L’interdit de tuer doit être préservé

 

Nous, représentants des trois grandes traditions religieuses monothéistes, conscients des évolutions qui traversent notre société, des nouvelles situations qu’elles génèrent et de la nécessité de rechercher des adaptations, voire des améliorations, des dispositifs législatifs et réglementaires pour accompagner ces évolutions, considérons qu’une telle recherche doit être le fruit d’un débat serein, démocratique et respectueux de la personne humaine et de sa dignité.

Le contexte actuel manque de lisibilité, et la période que nous traversons est difficile, secouée par des crises à répétition, politique, économique, financière et morale. Un nouveau débat sur la fin de vie risque d’y ajouter de la confusion.

Il y a moins de dix ans, la République française avait tranché la question par la voix unanime de ses parlementaires, quand fut votée la loi Leonetti, le 22 avril 2005. « Rien ne pourra jamais justifier le droit de donner la mort à un homme » : ni sa santé, ni son inconscience, ni son extrême vulnérabilité, ni même son désir de mourir. Le caractère inviolable de la vie humaine avait franchi une nouvelle étape. Et c’est sur ce socle commun que s’est consolidé l’acte médical face à l’euthanasie.

Le droit français, qui exclut l’acharnement thérapeutique, condamne l’euthanasie. Il en est de même du droit européen : dans une recommandation adoptée en 1999, le Conseil de l’Europe condamne l’euthanasie, qui est par ailleurs interdite dans la quasi-totalité des pays du monde.

Alors que le débat est relancé, nous lançons un appel commun, inquiet et pressant, pour qu’une éventuelle nouvelle loi ne renonce en aucune façon à ce principe fondateur : toute vie humaine doit être respectée spécialement au moment où elle est le plus fragilisée. Nous demandons que cette loi civile soit civilisatrice, c’est-à-dire qu’elle aide à vivre et à mourir, sans jamais écourter la vie, sans jamais décider de donner la mort. Nous voulons qu’elle s’entoure d’un large consensus autour de principes clairs, sûrs que la moindre équivoque en ce domaine générera, à terme, la mort d’innombrables personnes sans défense.

Nouvelle tentation

Dans le débat qui s’ouvre aujourd’hui surgit en effet une nouvelle tentation : celle de donner la mort, sans l’avouer, en abusant de la « sédation ». S’il peut être utile ou nécessaire d’endormir un patient, à titre exceptionnel, l’usage de cette technique est dénaturé dès qu’il s’agit, non plus de soulager le patient, mais de provoquer sa mort. Ce serait un acte d’euthanasie. Or, quand il est question de vie et de mort, la conscience humaine ne peut être en paix si l’on joue avec les mots. La démocratie elle-même ne peut que souffrir de la manipulation de concepts aussi sensibles.

C’est pourquoi nous demandons que soit encouragé l’accompagnement des personnes en fin de vie, tout en garantissant qu’elles soient clairement protégées par l’interdit de tuer. C’est au regard porté sur ses membres les plus fragiles qu’on mesure le degré d’humanisation d’une société.

Au nom de quoi envisagerait-on de légaliser un geste de mort ? Parce que la personne concernée aurait, dit-on, perdu sa dignité humaine ? Parce qu’elle aurait fait son temps ? On lui laisserait entendre qu’elle est devenue inutile, indésirable, coûteuse… L’homme se croit-il en mesure de décerner – pour lui-même ou pour autrui – des brevets d’humanité ?

Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre société, pour le lien entre les générations, pour la confiance entre les soignants et les soignés et, plus profondément, pour servir la grandeur de la médecine, l’esprit de la civilisation, et notre plus grande humanité.

Philippe Barbarin (cardinal, archevêque de Lyon), François Clavairoly (président de la Fédération protestante de France), monseigneur Emmanuel (métropolite de France, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France), Haïm Korsia (grand rabbin de France) et Mohammed Moussaoui (président de l’Union des mosquées de France et président d’honneur du Conseil français du culte musulman)

Collé à partir de <http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/03/09/nous-hauts-dignitaires-religieux-demandons-a-ce-que-soit-preserve-l-interdit-de-tuer_4589691_3232.html>