L'été 2015 connaîtra-t-il un nouveau «bug de l'an 2000»?

Lily Hay Newman

22.01.2015 - 14 h 14

Slate.fr

Le 30 juin 2015, après 23:59:59, il sera 23:59:60, avant d'arriver à l'habituel minuit 00:00:00. Cette seconde en plus devrait moins nous perturber que le passage à l'heure d'été ou d'hiver. Pour nos ordinateurs, et surtout ceux qui commandent les marchés boursiers ou les avions, il pourrait en être autrement.

Ces dernières semaines, la seconde intercalaire aura été la reine des médias. Pour certains, l'ajustement temporel prévu pour cet été «pourrait générer des problèmes informatiques» ou «filer une grosse migraine à l'Internet». Pour d'autres, cette seconde intercalaire «retournera Internet» et «risque de le casser». Attendez un peu... En quoi une seconde intercalaire présage-t-elle des problèmes informatiques et quelle est la gravité réelle de la situation?

«Un hoquet imprévisible dans l'échelle du temps»

Tous les systèmes de communication numérique sont calés sur une horloge atomique, qui mesure les oscillations d'un atome de césium afin d'assurer l'exactitude du temps.

Historiquement, les humains se sont servis de la Terre et du soleil comme d'une seule et gigantesque horloge, mais la rotation terrestre n'est pas complètement régulière et en vient même à ralentir. Par conséquent, synchroniser le temps atomique et ce qu'on appelle le «temps universel» est impossible, ce qui fait qu'à partir de 1972, les organismes internationaux de normalisation se sont mis d'accord pour ajouter des secondes intercalaires et obliger ainsi les deux horloges à rester d'équerre. Depuis cette date, ce sont 25 secondes qui ont été intercalées.   

Un système qui fonctionne tout à fait très bien pour les humains, vu que nous pouvons non seulement nous adapter à ces secondes supplémentaires, mais surtout fondamentalement les ignorer. Chez les ordinateurs, la chose se complique: ils sont programmés pour avoir 60 secondes dans une minute, point final. Si vous dites à un ordinateur que, de manière aléatoire, certaines minutes contiendront une seconde de plus, il vous rira au nez. Dans les faits, il buguera, car il sera incapable d'effectuer normalement ses opérations. 

«La seconde intercalaire est un hoquet imprévisible dans l'échelle du temps», indique John Lowe, chef de groupe au sein de la division «temps et fréquence» du NIST.

«Aujourd'hui, si vous écrivez du code, vous connaîtrez toutes les dates des futurs jours intercalaires. Par contre, les secondes intercalaires ne sont pas prévisibles. Elles sont annoncées cinq ou six mois à l'avance, et cela peut poser problème à des programmes déjà écrits et courant sur le long terme.»

Et comme l'expliquait en 2012 Felicitas Arias, directrice du Bureau international des Poids et Mesures, un consensus grandissant en appelle désormais à l'abolition des secondes intercalaires et à la non-nécessité d'une synchronicité entre temps atomique et temps universel. «Nous utilisons un système qui casse le temps», disait-elle.

«La caractéristique du temps est sa continuité. Voilà pourquoi, au sein de la communauté internationale, une grande majorité voudrait changer la définition du [temps universel coordonné] et supprimer les secondes intercalaires.»

Une proposition similaire attend aujourd'hui d'être votée. Mais dans tous les cas, cela n'annulera pas la seconde intercalaire de cet été, annoncée le 5 janvier et prévue pour le 30 juin.



Quid du monde numérique alors? Va-t-il exploser?

Premièrement, il y a une différence à faire entre logiciels essentiels et non-essentiels. Dans des services de consommation courante, les tracas causés par des bugs peuvent être énervants et, de temps en temps, occasionner des pertes en temps et en argent, mais ils n'ont rien de réellement dangereux. Comme le souligne Keith Winstein, chercheur en informatique à l'Université de Stanford:

«Nous vivons dans un monde en mouvement perpétuel, où les gens changent de logiciels tout le temps. (…) Peut-être que tous les dix-huit mois, Facebook va avoir un bug et être inaccessible pendant quelques minutes. C'est le monde dans lequel nous vivons, mais cela n'a rien d'une catastrophe. La seconde intercalaire n'est qu'un petit problème parmi d'innombrables autres.»

Reste que la réalité est tout autre pour les infrastructures critiques. Le fonctionnement des GPS, par exemple, se fait déjà exclusivement sur le temps atomique, car le système ne peut s'adapter à une seconde intercalaire. Et comme le précisait Arias, il y a une différence de 15 secondes entre le temps GPS et le temps universel.

«Quelqu'un qui n'est pas au courant pourrait commettre une erreur tragique en utilisant certaines de ses applications –en voulant faire atterrir un avion, par exemple.»

«Et une seconde de différence dans la communication entre des flux boursiers pourrait être à l'origine de plusieurs millions de dollars de gains ou de pertes.»

Demetrios Matsakis, le scientifique chargé de la mesure du temps au sein de l'Observatoire naval des Etats-Unis, a déclaré à Motherboard qu'il ne savait pas quelles allaient être les conséquences de la seconde intercalaire de 2015.

«Il y aura sans doute des erreurs dans des systèmes – de quelle ampleur, je ne sais pas. (…) Je conseillerais de ne pas être dans les airs quand surviendra cette seconde intercalaire.»

Par le passé, quelles ont été ces conséquences?

Le plus gros bug associé à la seconde intercalaire la plus récente (juin 2012) aura touché plusieurs versions de l'OS open-source Linux. Des services comme Reddit avaient aussi crashé, et la compagnie aérienne australienne Quantas avait subi des retards dans ses vols car le système de réservations Altea d'Amadeus avait bugué. En outre, quelques jours avant la seconde intercalaire, de grosses tempêtes avaient endommagé certains serveurs d'Amazon, à l'origine de pannes dans certains produits et services tiers. Si le problème n'avait en fin de compte rien à voir avec la seconde intercalaire, il aura fallu un temps certain avant d'isoler les facteurs responsables du comportement inhabituel de ces réseaux.

Un point important: 2015 arrive après 2012

Steve Allen, chercheur en astronomie au sein de l'Université de Californie, ajoute que d'autres systèmes d'importance ont été affectés par les bugs liés à la seconde intercalaire de 2012, sans que cela n'ait été admis publiquement.

«Difficile de parler d'événements qui n'ont pas été documentés, précise-t-il, mais je redoute des problèmes bien plus graves que ceux qui ont été annoncés. (…) [Avec] des systèmes opérationnels qui doivent fonctionner a priori, quand ils en viennent à ne pas fonctionner, personne ne va en parler, parce que cela consisterait à révéler une vulnérabilité ou un défaut du système à des actionnaires ou quelque chose comme ça.»

En matière de gestion des bugs, Allen fait aussi remarquer que les systèmes non-essentiels peuvent aussi se «permettre» d'être mis hors ligne pendant quelques temps, voire rebootés afin de corriger les bugs. Mais un grand nombre d'infrastructures et de systèmes opérationnels n'ont pas ce luxe. Pour autant, Allen reste confiant.

«C'est la différence entre la seconde intercalaire de 2015 et celle de 2012. Depuis, beaucoup d'administrateurs système ont dû s'occuper du problème (…). Cette année, les systèmes seront encore plus nombreux à n'avoir aucun souci.»

Lily Hay Newman

 

Collé à partir de <http://www.slate.fr/story/97059/seconde-intercalaire-bug>