La marque se met à faire l’article

Isabelle HANNE 16 janvier 2014 à 21:16

Sur le site Melty, la rubrique Jeux vidéo est entièrement sponsorisée par Coca-Cola. (capture d'écran)

PRESSE

Les «native ads» gagnent les sites d’info français. Du Monde.fr à Melty, les principes varient.

Fin octobre, au milieu du flux d’articles de l’appli mobile du Monde, cette épineuse question : «Etes-vous 4G ready ?» Une photo à gauche, un titre, un sous-titre : la même présentation qu’un article lambda. Mais un fond jaune, une police différente et le mot «publicité» : il s’agissait du premier exemple de native advertising utilisé par le quotidien du soir. Le lien redirigeait vers une pub SFR.

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Par Iris Deroeux

Après les groupes Amaury (le Parisien, l’Equipe), Lagardère (Elle), 20 Minutes ou Libération, le groupe Le Monde a décidé de tester ce nouveau format publicitaire, de plus en plus visible sur les sites d’info aux Etats-Unis. Il serait plus efficace que les bannières classiques : selon un sondage Ifop pour la régie Adyoulike, 42% des internautes affirment cliquer sur ce type de formats, contre 29% sur les bannières classiques. «Le native advertising permet de redéfinir une nouvelle manière de communiquer pour les marques», constate Corinne Mrejen, directrice générale de M Publicité, la régie du groupe Le Monde. Sa définition du concept est la suivante : «Un contenu sponsorisé, pertinent pour l’utilisateur, qui n’interrompt pas son expérience de lecture et qui s’intègre dans l’environnement éditorial qui l’accueille.» Tellement bien accueilli qu’il risque de troubler encore plus la frontière entre contenu éditorial et publicité.

«Bataille». Dans ses vœux cette année, la Société des rédacteurs du Monde (SRM) n’a d’ailleurs pas manqué de «se féliciter de l’adaptation de la charte publicitaire du Monde à l’univers du Net, en assurant le respect de frontières étanches avec la publicité». Le texte doit être prochainement approuvé en conseil de surveillance. «Nous ne sommes pas contre la publicité, mais souhaitons qu’elle soit à sa place, précise Alexandre Léchenet, journaliste et président de la Société des rédacteurs du Monde interactif. Le plus important, c’est que ce ne soit pas flou pour le lecteur : il faut indiquer clairement qu’il s’agit d’une publicité, éviter les intitulés ambigus, la distinguer par une charte graphique différente de celle du site…» Mais le journaliste n’est pas dupe : «Les régies publicitaires proposent de plus en plus de choses qui ressemblent à du contenu éditorial. Ça va être une bataille de tous les jours.» Chez M Publicité, on répond «transparence» et «règles claires compatibles avec l’ADN de nos marques» : «La mention de la marque émettrice du contenu doit figurer de façon explicite», affirme Corinne Mrejen. «En France, il y a des médias soucieux de ne pas être dans des opérations de camouflage publicitaire, rassure Caroline Marti de Montety, maître de conférences au Celsa Paris-Sorbonne, qui suit de près l’évolution du marketing. Les régies de ces médias doivent faire un arbitrage entre chiffre d’affaires et préservation de la confiance du média, qui bénéficie en retour aux annonceurs.»

Mais d’autres titres ouvrent plus grand les bras pour accueillir le native advertising : les féminins, les sites plus orientés «infotainment», consommation… «Leurs contenus sont déjà une hybridation du discours des annonceurs et du discours journalistique, note la chercheuse. Les marques s’engouffrent dans cette évolution ou cette dérive.»

En France, Lagardère Publicité a été précurseur en matière de native advertising. Sur son site, il promet sans rougir aux annonceurs un contenu «intégré», qui «prend la forme et le ton du support sur lequel il apparaît». Des native ads ont été mise en place avec des marques de cosmétiques sur les sites de Elle et de Public. Outre une opération équivalente à celle du Monde - une pub L’Oréal intégrée dans le fil news de Elle -, un dossier sur la coloration, rédigé par les journalistes de Elle.fr, a été sponsorisé par L’Oréal et sa dernière crème de… coloration. «Le native advertising est très différent du publireportage, argue Alix Pandrea, le directeur général adjoint (DGA) du Pôle digital de Lagardère Publicité. Le but n’est pas de faire la promotion des produits de la marque, mais d’associer cette marque à un contenu. Sinon, les internautes seraient clairement floués !»

Le jeune site Melty propose déjà deux beaux exemples de native ads : sa page «Gaming Zone» consacrée aux jeux vidéo, sponsorisée par Coca-Cola. Et sa rubrique «Sorties», plus discrètement sponsorisée, elle, par Mc Donald’s. A côté de chaque «bon plan sorties», une carte indique où se situe le fast-food de Ronald le plus proche. Les contenus sont écrits par les rédacteurs habituels de Melty. «Ce sont des contenus qu’on aurait produits de toute façon, c’est ça la différence avec le sponsoring, note Rodolphe Pelosse, DGA de Melty. On fait attention à être très clair, la marque n’est jamais cachée.»

«Acceptable». Pour Caroline Marti de Montety, le native ad veut «rendre acceptable un discours promotionnel parce qu’il se fond dans un discours journalistique». Selon elle, il cristallise un certain nombre de pratiques actuelles : des journalistes en difficulté économique, prêts à travailler pour des marques ou des agences de pub ; une perméabilité entre discours publicitaire et discours journalistique ; des médias «en manque de ressources» ; une «mauvaise réception sociale de la publicité» qui conduit les marques à «épouser des formats socialement valorisés». Le mécénat culturel ou, au hasard, le journalisme.

Isabelle HANNE

 

Collé à partir de <http://ecrans.liberation.fr/ecrans/2014/01/16/la-marque-se-met-a-faire-l-article_973462>