Orlando
: la classe politique française montre sa carence honteuse
Pour
Didier Lestrade, figure de la cause LGBT, les réactions à
la tuerie d'Orlando soulignent la non-dits de la société
française.
La communauté LGBT internationale est
sous le choc. Orlando est désormais la ville symbole de
l'homophobie et presque tous les médias, d'Al-Jezira à
Sud-Ouest, parlent d'un acte de haine commis contre les homosexuels
dans leur identité commune. L'onde va se propager, devenant un
enjeu pour les élections américaines tout en
radicalisant les clivages entre une droite qui utilisera ce drame et
un militantisme LGBT qui se recentrera sur la défense des
victimes, partout où elles sont. Orlando positionne les
homosexuels dans la vague des attentats de Paris, de Beyrouth,
d'Istanbul et partout ailleurs. C'est un tournant dans le terrorisme
qui ne doit pas occulter ce qui se passe en Syrie et en Irak, en
Afrique aussi. Orlando nous relie, en tant que personnes LGBT, au
conflit des extrémismes religieux, de l'impérialisme et
de la crise mondiale. Des drag-queens d'un club à la guerre
dans les déserts : un bon pitch de film.
Malgré
Trump, le mouvement LGBT américain parviendra à se
mobiliser tout en réconfortant les familles des victimes. Le
tissu associatif américain est dense, puissant. Le combat pour
les droits des personnes trans est sa nouvelle frontière. En
France, c'est autre chose. Dès le lendemain du massacre, les
leaders politiques ne sont pas parvenus à prononcer des mots
pourtant simples comme «gay» ou «homophobe».
Les médias ont du mal à désigner les victimes
sous l'angle de leur sexualité et encore moins leur ethnie
(c'était un club rempli de Latinos, c'est si compliqué
à dire ? Des Latinos gays, ça vous dépasse ?).
C'est la triste conséquence d'un pays dépassé
par ses voisins et qui déteste l'idée minoritaire.
L'universalisme français, de droite ou de gauche, s'est
tellement opposé au concept communautaire qu'il a banni les
mots qui l'accompagnent. L'Etat se prononce avec le vocabulaire de la
Manif pour tous : une fausse tristesse qui ne va pas au cœur du
drame, des formules toutes faites qui semblent sorties d'un
ordinateur. Tout ça par peur électorale ?
La classe
politique française montre ainsi sa carence honteuse dans la
représentation des minorités. On l'a vu avec les
musulmans. Aujourd'hui, c'est les pédés. Pas une seule
figure politique crédible, à par Ian Brossat [adjoint
PCF à Paris, ndlr], qui puisse dire son affect. C'est le
résultat d'une frayeur hexagonale envers le coming-out et
l'affirmation que l'on avait déjà vue lors du débat
sur le mariage pour tous où aucune figure politique n'était
montée au créneau pour s'emparer du sujet - à
part Christiane Taubira.
Il y a une usure, c'est évident.
On pourrait penser que notre pays ne sait pas répondre à
Orlando avec la même ferveur que pour Charlie et le Bataclan.
Pour Charlie, Hollande et Valls sont allés dans une synagogue.
Pour le Bataclan, il y avait un groupe de rock qui n'a pas cessé
de sortir des énormités pour sa promo personnelle. Ici,
il n'y aura pas de porte-parole de la communauté LGBT, car
celle-ci n'a pas de leader sincère puisqu'ils sont tous
inféodés au PS. Regardez sur Twitter, nous sommes juste
une poignée à avoir un discours transversal entre les
gays et les autres minorités, noirs, musulmans, syndicalistes
et manifestants, tous bousculés par un état d'urgence
imposé pour motiver la peur. Le gouvernement Hollande est
parvenu à étouffer le mouvement LGBT comme il l'a fait
avec les Verts et les frondeurs de son parti. On s'est fait avoir
avec Charlie et le Bataclan, instrumentalisés depuis par
l'Etat pour nous contrôler un peu plus ; il n'y a pas de raison
pour que la société française puisse trouver les
mots - et surtout les actes, tout ce qu'il faut faire contre
l'homophobie, l'éducation sexuelle, le coming-out pour vivre
mieux - afin qu'Orlando ne soit pas qu'un symbole supplémentaire
de notre exclusion. Nous n'avions pas besoin de cette boucherie pour
exprimer notre espoir de vivre comme nous le voulons. Nous n'avons
pas besoin d'être protégés par la police devant
nos clubs. Nous pouvons nous défendre par les idées,
comme nous l'avons toujours fait, contre le sida, contre l'oubli.
Mais Orlando marque l'incapacité de la société
française à comprendre ce que nous sommes, gays,
lesbiennes, bi et trans. Nous ne sommes pas égaux, la droite
nous déteste et la gauche ne nous aime pas non plus. Les
lesbiennes qui attendent la PMA promise par le candidat Hollande vous
le diront mieux que moi.
Didier Lestrade,
auteur de «Pourquoi les gays sont passés à droite» (éd. Seuil, 2012)
(Libé 15/06/16)