L'archevêque Desmond Tutu veut décider du jour de sa mort et tant pis si ça choque (les curés)

Ariane Bonzon

15.10.2016

Desmond Tutu célèbre une messe le 7 octobre pour fêter ses 85 ans, jour de la parution de sa tribune / AFP - RODGER BOSCH

À 85 ans, le Sud-Africain ne craint pas de prendre la doxa religieuse à rebrousse poil. Il se déclare favorable à l'euthanasie active et au suicide assisté. Et veut pouvoir choisir les conditions de sa mort.

Desmond Tutu a toujours été des justes combats. Or, depuis qu’il a déclaré, ce mois-ci, qu’il revendiquait le droit de décider de lui-même «quand et comment mourir», le prix Nobel de la Paix est en porte-à-faux avec la doxa chrétienne. L’archevêque sud-africain vient peut-être de perdre sa place au paradis.

Mais Tutu s’en fiche. Il y a deux ans déjà, il avait expliqué qu’il était favorable au suicide assisté. La question fait toujours débat dans la plupart des pays, le Pape et la plupart des Eglises sont contre.  Et voilà que  le 7  octobre, le  vieux compagnon de Nelson Mandela enfonce le clou.  Dans une tribune publiée par le Washington Post, il revendique ce droit pour… lui-même.  

Ce n’est pas un souhait vague et hypothétique.  Desmond Tutu vient de souffler ses 85 bougies. Il sort de deux séjours en hôpital pour tenter d’y soigner les suites d’un cancer.  

«Je me suis préparé à la mort, écrit-il, et je dis clairement que je ne souhaite pas être maintenu en vie à tout prix».

Cette affirmation résulte de ses convictions profondes:

«En refusant le droit à la mort avec dignité, on oublie la compassion qui est au cœur des valeurs chrétiennes» précise-t-il, une sorte de pied-de-nez à ces hommes de Dieu qui pourraient le traiter  d’hérétique.

Un homme libre

Bien sûr, le moment choisi n’est pas anodin : le débat est fort animé en Afrique du sud, la Cour suprême doit se prononcer en novembre 2016  sur la légalité de cette pratique, et Desmond Tutu apporte sa pierre au débat politique national. La contribution est importante; il revendique en effet «The right to an assisted death». Or le droit de chacun à une mort assistée, c’est bien plus que  «l’euthanasie passive», votée par la France début 2016,  durant laquelle on accompagne le patient en suspendant les traitements et en lui administrant des sédatifs jusqu’à la fin.  

Je dis clairement que je ne souhaite pas être maintenu en vie à tout prix

Desmond Tutu, archevêque du Cap

L’archevêque du Cap réclame plus.  Ce qu’il veut c’est l’ «euthanasie active»  durant laquelle on administre au patient le produit léthal  et le «suicide assisté» pour lequel on fournit le produit au patient qui se l’injecte lui-même, et cela dans la phase terminale, lorsque le malade est atteint d’une maladie incurable et subit des souffrances sans soulagement possible.

Une fois de plus, Tutu a du courage. Sa position  est condamnée par l’église catholique; en Europe, seuls quelques rares Etats admettent ces deux pratiques: les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg. Mais là où l’Archevêque fait fort c’est qu’il ne se prononce pas en fonction  d’une conception philosophique personnelle (le droit à la disposition de son corps par exemple); pas davantage en raison d’une position politique sociétale raisonnable. Son choix il le fait en tant qu’homme, qui a droit à la «compassion», c’est-à-dire qu’il retourne les arguments de l’Eglise, qu’il la piège à son propre discours.

 Choqué par l'instrumentalisation

Tutu avait été profondément choqué par le traitement subi par son ami Nelson Mandela à la fin de sa vie. L’ancien Président sud-africain qui faisait l’objet d’un acharnement thérapeutique, avait été instrumentalisé par certains dirigeants politiques, le Président, Jacob Zuma, et le vice-Président, Cyril Ramaphosa, pour ne pas les nommer, en quête de soutien populaire. Aujourd’hui, c’est Desmond Tutu qui, sentant sa mort prochaine, réagit en personne directement concernée. Et tant pis si ça fâche le Pape et surtout ses pairs.  

Il faut dire qu’il  en a gros sur le cœur. Il en veut à ces prélats anglicans qu’il côtoie depuis plus d’un demi-siècle et du sort qu’ils ont réservé à Mphu, sa fille chérie, son héritière spirituelle. Alors que l’Archevêque du Cap a été de tous les combats anti-homophobes, il a été mis devant le fait accompli. Son église a décidé que Mphu n’avait plus le droit d'exercer son ministère après avoir épousé, fin 2015,  Marceline van Furth, une pédiatre hollandaise. 

Chez ces anti-papistes d’Anglicans, les femmes peuvent être prêtres, les prêtres peuvent se marier mais alors qu’en Afrique du sud le mariage homosexuel est légal depuis 2006, les prêtres homosexuels n’y ont pas droit: ils doivent rester célibataires! Sinon c’est la porte. Et c’est ce qu’a vécu Mphu Tutu. C’était Marceline ou l’Eglise. Elle a choisi Marceline.  

En  annonçant son intention de décider lui-même de l’heure et du lieu de sa mort, Desmond Tutu prouve au nez et à la barbe des curés de toutes sortes, qu’à 85 ans il est encore de cette graine de rebelle. Et qu’il n’a pas dit son dernier mot. Un nouveau combat. Le dernier sans doute. Pour que les empêcheurs de mourir dignement aillent au diable.      

Ariane Bonzon

 

Collé à partir de <http://www.slate.fr/story/125760/archeveque-tutu-decider-jour-mort>