Amanda Lear : rien n’est vrai, tout est permis

Par Guillaume Lecaplain — 16 juin 2017

 

Muse de Dalí et des Stones, la chanteuse et comédienne devenue culte se dit fatiguée de la vie publique et annonce son départ à la retraite.

Elle vous regarde à travers ses lunettes roses. Elle a l’œil curieux, le sourire scotché au visage. Elle vous parle avec enthousiasme pendant un peu plus d’une heure, entre deux trains, dans la brasserie chic du premier étage de la gare de Lyon. Elle bouge des mains en parlant, s’anime, rit à faire se retourner les serveurs, vous montre sa dernière peinture postée sur son compte Instagram, vous envoie ensuite des textos pour compléter l’entretien. Le lendemain matin, elle se ravise : elle ne veut pas voir son portrait dans Libé, ne veut plus lire aucun article sur elle.

Son tempérament de soleil s’est couché, place à Lear la lunaire. Elle déteste les images du photographe, n’a plus confiance dans les médias. Et puis un peu après, nouveau revirement : elle finit par donner son accord. «Comme tous les créateurs, elle alterne des phases d’enthousiasme et de mélancolie», décrit Alain Mendiburu, le producteur des cinq derniers albums d’Amanda Lear. «Le stress me rend malade», s’excuse-t-elle par SMS. Ce n’est pas une métaphore : son médecin lui a demandé d’éviter toute contrariété, de faire attention. Après un vertige, elle a dû annuler fin avril les dernières représentations de la Candidate, pièce de boulevard dans laquelle elle cartonnait. La chanteuse avait annoncé dès l’automne qu’elle prendrait de la distance avec la vie publique à l’issue de la tournée. Elle a dû avancer l’heure de son retrait. L’actrice n’a rien de grave côté santé, sinon un bon coup de fatigue. «Je viens de faire ce qu’on appelle un burn-out. Un petit burn- out, mais quand même. Brusquement, le corps en a marre. Brusquement, on n’a plus envie.» Et de constater avec une simplicité désarmante, comme on dit qu’il va pleuvoir : «L’envie est finie.» Depuis quelques semaines, elle reste chez elle à Saint-Rémy-de-Provence (Bouches-du-Rhône), à lire, à peindre et à regarder la télé, entourée de ses onze chats.

Sa vie publique, elle l’a commencée il y a une cinquantaine d’années, quand elle s’est fait démarcher par Catherine Harlé au Café de Flore. La patronne de l’agence de mannequins du même nom flashe sur cette «maigrichonne avec les dents en avant», comme Lear décrit celle qu’elle était à 17 ans. Elle est aussitôt embauchée et envoyée à Londres. Partir, ça faisait longtemps que la jeune femme en rêvait. Née à Hongkong ou Saïgon selon les interviews, elle arrive en France quand elle est encore bébé. Son père, un officier franco-britannique, part vivre en Angleterre - elle ne l’a jamais revu. La fillette est élevée par sa mère, une Russe orientale très pieuse, avec laquelle elle vit «chichement», mais qui lui donne une éducation et une culture classique qui resteront ancrées. Son adolescence est concomitante avec la montée de sève à l’œuvre dans la jeunesse de la fin des années 60. «Voir ma mère faire des signes de croix alors que de l’autre côté de la rue, les gens avaient des jolies voitures et tout. Je me suis dit"mais pourquoi je me fais chier ?" Je suis partie, se souvient-elle. Je voulais vivre ma vie de bohème. J’ai suivi des jeunes hippies avec des cheveux longs. On fumait des pétards, j’allais aux cours du soir aux Beaux-Arts parce que je voulais faire de la peinture.» Mais c’est le mannequinat qui lui tombe dessus. En 1967, Londres vit le meilleur de sa période pop. L’allure de garçon de Lear et sa mine boudeuse font aussitôt des étincelles. On connaît la suite par cœur. Rencontre avec Salvador Dalí, pochette d’un album de Roxy Music, liaison avec le guitariste des Rolling Stones Brian Jones, puis David Bowie. Poussée par Ziggy, elle sort un premier album en 1977 (I Am a Photograph, réussite incontestable et succès immédiat), puis un second, avant une quinzaine d’autres qui cartonnent partout sauf en France. La voilà animatrice star de la télé italienne sauce Berlusconi à partir des années 80. En France, elle est la sexy de service aux Grosses Têtes avec Bouvard et compagnie. Et le théâtre, depuis les années 2000 : quatre pièces de boulevard qui ont fait le plein.

Tout ça lui est tombé dessus, assure-t-elle : «Je n’ai aucune ambition. Moi, je voulais vendre des fleurs. Curieusement, tout le monde m’a poussée.» En réalité, elle a su faire des choix entre toutes les propositions reçues. Et très souvent, c’était les bons. Jonglant d’une langue à l’autre (elle en parle cinq), plus fine qu’elle n’en a l’air, elle a eu l’intelligence de savoir se fondre partout. Depuis les années 70, elle a paru aussi à l’aise en robe à paillettes devant un micro, parmi les artistes de la Factory de Warhol, en couple à trois avec Dalí et Gala, à fumer des joints avec Kirk Douglas comme à jouer les divas disco pour inaugurer le Palace. Il faut dire que derrière le personnage de blonde qui parle de cul en rigolant se cache une bosseuse qui écrit tous les textes de ses chansons, une solitaire qui adore passer sa journée au calme avec toile et pinceaux. Côté vie intime, en revanche, pas touche. A ses courtisans, la reine Lear ne donne que ce qu’elle veut bien. Son âge est tabou ? «Pas du tout, j’ai 68 ans», dit-elle en souriant. Mais affirme plus tard qu’elle est née en novembre 1950 (donc il y a un peu plus de soixante-six ans). On évoque sa famille et ses amis proches ? «Tout le monde est mort», évacue celle qui n’a pas eu d’enfant. La profession de sa mère ? Elle se dit «pas intéressée» par cette question jugée trop «people». La politique ? Elle ne vote pas, trouve Mélenchon sympathique et Macron «tout fou». Personne ne l’a jamais prise en flagrant délit d’épanchement public, même quand son mari Alain-Philippe Malagnac est mort, en 2000, lors de l’incendie de leur maison. «Elle ne s’est jamais posée comme une victime», analyse Mendiburu.

Selon le producteur, elle est une entertainer, au sens américain. Elle n’existe que pour distraire le public et fait black-out sur le reste. Les rumeurs sur sa transidentité, en revanche, l’amusent plutôt. La légende veut que cette histoire soit partie de Dalí, qui parlait d’elle au masculin. «Il faisait pareil avec Gala», relativise la blonde en souriant. Une voix grave et des épaules un peu carrées ont suffi pour déclencher des soupçons qu’elle a démentis une bonne centaine de fois. Sans que les doutes ne soient d’ailleurs totalement levés. «Qu’est-ce que vous voulez, je suis un portemanteau : les gens accrochent sur moi leurs fantasmes. Je serais dominatrice, lesbienne, trans… Oui, pourquoi pas ?» On verra quelle crédibilité il faudra donner à son nouvel avatar de dame retraitée entourée de chats. «J’ai du mal à y croire», avoue tout net son producteur. Quant à la chanteuse comédienne, elle-même évoque les multiples adieux d’Aznavour, histoire de se ménager une porte de retour. La reine se retire à l’heure qui lui sied.

 

1950 (?) Naissance à Hongkong (?). 1967 Débuts en tant que mannequin, rencontre avec Dalí. 1977 Premier album. 2000 Incendie de sa maison, mort de son mari. Juin 2017 Annonce de sa retraite.


 

Collé à partir de <http://next.liberation.fr/musique/2017/06/16/amanda-lear-rien-n-est-vrai-tout-est-permis_1577429>