« Je pense qu’Acrimed est utile », par David Pujadas

par Martin Coutellier , mercredi 25 novembre 2015

Comme Michel Onfray avant lui, David Pujadas a appris qu’Acrimed lançait une campagne d’adhésion. (Presque) sensible à la nécessité de « soutenir la critique des médias, et contribuer à son développement », il nous a (presque) transmis ce témoignage.

« Anecdotes, buzz et suivisme »

Comme je le disais récemment au Téléobs, « nous avons une responsabilité en matière de certification et de qualité ainsi que celle de ne pas laisser dériver l’information vers ce qui semble aujourd’hui être sa pente naturelle : beaucoup d’anecdotes, de buzz, de suivisme ». Et il faut dire que cette responsabilité est de plus en plus mise à l’épreuve. En effet, et je le signalais déjà en 2010 [1], « la presse écrite regarde la télé, la télé écoute les radios, les radios lisent les journaux et on a le sentiment d’entendre un bruit de fond médiatique, avec non seulement les mêmes sujets au même moment, mais avec les mêmes mots, le même regard, la même sensibilité ». C’est avec ces éléments à l’esprit que nous fabriquons le 20h de France 2, avec la volonté d’apporter d’autres sujets et d’autres angles. Comme lorsque nous consacrons deux sujets à « l’affaire Benzema », en 5ème et 6ème position du journal du 5 novembre dernier ; ou quand nous pilonnons le code du travail, avec encore deux sujets dans le 20h du 4 novembre et un le 5 ; ou encore lorsque nous choisissons de consacrer deux sujets par jour toute la semaine du 2 novembre (avec une pointe à quatre sujets le vendredi dans le journal de Laurent Delahousse) au « crash en Égypte », un sujet largement sous-traité par ailleurs.

Nous cherchons donc à apporter quelque chose de différent, même si bien sûr nous nous devons d’utiliser les mêmes sources que les autres. Ce que Pascal Doucet-Bon, rédacteur en chef du 20h, explique très bien : « [les] sources classiques, c’est avant tout la radio [...] ; les agences de presse, AFP, Associated Press, Reuters et puis bien sûr les confrères de la presse écrite qu’on lit attentivement le matin » [2]. Quand on connaît le poids de l’encadrement dans la production des sujets pour le 20h [3], on comprend que la parole de Pascal Doucet-Bon est particulièrement significative quant à notre rôle, nous les cadres, dans la production de sujets de qualité.

Je pense que c’est Étienne Leenhardt, chef du service information, qui l’explique le mieux : « Dès que la conférence de rédaction est terminée, [...] nous revenons vers les gens qui sont sur le terrain […], et nous leur disons : « voilà nous allons traiter ce sujet », sous quel angle nous allons le traiter […], si ce sera uniquement un reportage ou si il y aura un direct, nous lui donnons sa feuille de route pour la journée.[...] À France 2 l’encadrement a un rôle extrêmement important, de conseil, mais aussi de vérification et de validation » [4]. À France 2, la hiérarchie veille à ce que les journalistes de terrain ne soient pas dans l’anecdote, le buzz ou le suivisme, mais bien collés à la commande ; et ailleurs ? C’est probablement là qu’Acrimed a un rôle à jouer.

Contre le journalisme des bons sentiments

Peut-être est-ce parce que j’ai été formé à l’école du « Droit de savoir » de Charles Villeneuve, où la rigueur journalistique a toujours été au service de l’audimat [5], mais je n’ai de cesse d’être choqué par le fléau du « journalisme des bons sentiments ». Cette « dérive mal digérée de la défense de la veuve et de l’orphelin » fait toujours ravage depuis que je l’ai dénoncée, également en 2010 [6]. Ce journalisme des bon sentiments, c’est cette idée que « par définition, le faible a toujours raison contre le fort, le salarié contre l’entreprise, l’administré contre l’État, le pays pauvre contre le pays riche, la liberté individuelle contre la morale collective ». Certains ont prétendu que la formule ne voulait rien dire, je vais donc prendre un exemple.

Le 3 novembre dernier, nous consacrons un sujet d’une minute trente l’analyse des « clés du succès de Ryan Air, qui affiche des bénéfices records. ». Là où la mièvrerie journalistique ambiante incite certains à aborder le sujet sous l’angle de la diminution des standards sociaux et de la santé au travail, nous préférons montrer l’importance d’une politique tarifaire bien pensée (« des tarifs alléchants, mais des options payantes ») et de la réalisation d’ « économies à tout prix », avec notamment « aucun salaire [versé] en cas d’arrêt maladie. ». Avec une conclusion qui recolle le sujet à l’actualité récente : « Une compagnie low cost qui vaut aujourd’hui 19 milliards d’euros en bourse, dix fois plus qu’Air France. » Parce que ce n’est pas en pleurnichant sur les conditions de travail de tel ou tel salarié que les journalistes permettront aux téléspectateurs de saisir la réalité du monde dans lequel on vit : le fort a très souvent raison – d’autant plus qu’on n’entend pas la voix du faible, aisément reconnaissable à ses accents de violence, mais qui reste fluette et qui porte peu.

C’est dans le même esprit que je n’hésite pas, à contre-courant de l’idéologie anti-patronale qui domine les médias, à prendre la défense des plantes vertes de PSA lorsqu’elles sont malmenées par des salariés licenciés et peu férus d’écologie, ou à exiger de Xavier Mathieu, délégué syndical de la CGT-Continental, qu’il condamne les violences perpétrées contre des ordinateurs par des salariés licenciés et peu férus de nouvelles technologies. Il faut savoir prendre parti lorsque la situation l’exige, quitte à déplaire à la bien-pensance ouvrièrophile.

Cela ne veut pas dire que je réclame de l’info austère : on peut être réaliste et apporter un peu de sourire sur certains sujets. Par exemple, plutôt que d’assommer nos téléspectateur avec les problèmes posés par l’organisation actuelle de l’agriculture, nous préférons montrer des fruits et légumes rigolos. Il s’agit de ne pas avoir peur de regarder la réalité en face, de ne pas se laisser guider par ses a priori, mais d’enquêter. Ainsi, avant d’affirmer à la légère que les cartes de fidélités sont une bonne affaire, nous faisons une vraie enquête de terrain.

Je ne voudrais pas avoir l’air de dire que ces problèmes concernent tout le monde sauf nous, au 20h de France 2. Il est vrai que, d’après moi, nous faisons un peu mieux qu’ailleurs, mais nous avons encore du travail, tant le fonctionnement actuel de l’univers médiatique est insatisfaisant. Je pense qu’il nécessite des changements structurels profonds, et urgents. Alors, à tous ceux qui en ont assez de voir l’information, la veuve et l’orphelin maltraités à la télévision publique et ailleurs, n’hésitez plus : rejoignez Acrimed !

 

 

Tribune (presque) imaginée par Martin Coutellier (grâce à une transcription de Denis Perais)

 

[1] Dans l’inénarrable documentaire « Huit journalistes en colère » diffusé sur Arte le 9 février 2010. Voir l’article que Mona Chollet y avait consacré.

[2] Dans une vidéo en ligne sur le site du CSA.

[3] À ce sujet, voir Jérôme Berthaut, La Banlieue du « 20 heures ». Ethnographie de la production d’un lieu commun journalistique, Editions Agone, 2013, 430p..

[4Idem que la citation de Pascal Doucet-Bon.

[5] Et parfois des intérêts industriels du patron, voir l’article de CQFD.

[6] Toujours dans « Huit journalistes en colère », comme la citation qui suit.

 

 

Collé à partir de <http://www.acrimed.org/Je-pense-qu-Acrimed-est-utile-par-David-Pujadas>