L'OBS/N°2778-01/02/2018

Les lundis de Delfeil de Ton

 

Le bouquet de M. Koons

 

Où l'on voit un cadeau à retourner à l 'envoyeur

 

Dansns les années 1930, chez les gens modestes qui se meublaient aux Galeries Barbès ou chez Levitan, il n'était pas rare de voir, posé sur la commode, dans un vase sans eau, un bouquet de tulipes aux couleurs cha­toyantes, en simili-porcelaine. Votre chroni­queur; qui n'était pas grand, trouvait ça d'un moche. Ces bouquets ont traversé la guerre, ils ont disparu à l'orée des années 1950.

Voici que le bouquet de tulipes artificielles ressuscite. L'industriel américain en arts plas­tiques, M. Jeff Koons, qui est à la sculpture ce que MM. Galeries Barbès et Levitan étaient à l'ébénisterie, mais à l'échelle mondiale, repro­duit les mêmes tulipes mais au format géant. De vingt centi­mètres de hauteur, le bouquet est passé à près de dix mètres. Il n'est plus dans un vase, il est brandi par une main.

L'esthétique est la même. On peut imaginer que le vase de tulipes, le marchand en faisait cadeau à l'acheteur de son mobilier. Jeff Koons, s'inscrivant dans cette tradition, fait cadeau de son bouquet à Paris.

A charge, pour Paris, de l'installer où M. Jeff Koons a décidé qu'il fallait l'installer, à savoir sur le parvis du Palais de Tokyo. Précédent célèbre de l'installation sur un parvis parisien d'une prétendue ?uvre d'art qui n'est en réa­lité que la copie, mais de grande taille, d'un objet de consommation courante : le Pot doré, de M. Raynaud, reproduction à dimension monumentale d'un pot comme tout le monde en a plusieurs chez soi, dans lesquels un peu de terre où pousse, ou ne pousse pas, une fleur, une plante verte, on a tendance à trop arroser, ou au contraire on n'arrose pas assez, celui de M. Raynaud, hissé sur un piédestal hideux devant le Centre Beaubourg, était bouché à son sommet, il était vide, rien ne risquait d'y pousser, les pigeons eux-mêmes dédaignaient de chier dessus.

Après dix ans, on a déplacé le pot de M. Raynaud, il ne pesait que deux tonnes. Le bouquet de M. Koons en pèse trente-trois. Ce serait une autre affaire de s'en débarrasser après en avoir été une de l'installer. Mme Hidalgo, maire de Paris, toujours en crainte de manquer un bateau, se dit prête à l'accueillir d'enthousiasme, remerciant M. Koons et ses mécènes, qui le lui offrent au prétexte qu'il s'agirait d'un hommage aux victimes (à quelques kilomètres de là) des attentats isla­mistes de novembre 2015. S'était-on déjà autant foutu du monde en général et de Mme Hidalgo en particulier?

De quoi s'agit-il ici, en effet? Du bond en avant que ferait la cote de l'artiste grâce à son érection dans un emplacement prestigieux, sans qu'aucune annonce ait été faite auparavant que cet emplacement était ouvert aux propositions. Belle entourloupe, au bénéfice aussi des donateurs qui ont financé ce pitoyable bouquet parce que soucieux de valoriser leurs col­lections d’?uvres koonsiennes (est-ce ainsi qu'on dit?).

Puisqu'ils l'aiment tant, leur Jeff Koons, puisqu'ils veulent voir ses tulipes à Paris, avec sa main d'une si pauvre facture qui les présente si platement, que les mécènes les installent dans leurs jar­dins ou dans la cour de leurs hôtels particu­liers, se les prêtant tour à tour, puis, quand la farce Jeff Koons ne fera plus recette, qu'ils en fassent cadeau à une municipalité quelconque en mal d'équipement. Il serait chouette, le bou­quet, au milieu d'un rond-point.

DDT