Comment
notre monde est devenu cheap
Guillaume
Ledit
En
rendant cheap
la nature, l'argent, le travail, le care
, l'alimentation, l'énergie et donc nos vies - c’est-à-dire
en leur donnant une valeur marchande - le capitalisme a transformé,
gouverné puis détruit la planète. Telle est la
thèse développée par l’universitaire et
activiste américain Raj Patel
dans son nouvel ouvrage, intitulé Comment
notre monde est devenu cheap (Flammarion,
2018). « Le
capitalisme triomphe, non pas parce qu’il détruit la
nature, mais parce qu’il met la nature au travail - au moindre
coût »,
écrit Patel, qui a pris le temps de nous en dire plus sur les
ressorts de cette « cheapisation »
généralisée.
Raj
Patel est professeur d'économie politique à
l'université du Texas d'Austin. À 46 ans, c'est aussi
un militant, engagé auprès de plusieurs mouvements, qui
a travaillé par le passé pour la Banque mondiale et
l'Organisation mondiale du commerce. Logique, quand on sait qu'il se
définit lui-même comme « socialiste »,
ce qui « n’est
pas facile au Texas »,
nous précise-t-il dans un éclat de rire. Patel a déjà
écrit sur les crises alimentaires, dont il est un expert. Il
signe aujourd’hui un nouvel ouvrage, Comment
notre monde est devenu cheap,
co-écrit avec Jason W.
Moore, historien et enseignant à l’université
de Binghampton.
Ces
deux universitaires hyper-actifs y développent une nouvelle
approche théorique pour appréhender l’urgence
dans laquelle nous nous trouvons, mêlant les dernières
recherches en matière d’environnement et
de changement climatique à
l’histoire du capitalisme. Pour eux, ce dernier se déploie
dès le XIVème siècle. Il naît donc avec le
colonialisme et la violence inhérente à l’esclavage,
jusqu’à mettre en place un processus de « cheapisation »
généralisé, soit « un
ensemble de stratégies destinées à contrôler
les relations entre le capitalisme et le tissu du vivant, en trouvant
des solutions, toujours provisoires, aux crises du capitalisme ».
Une brève histoire du monde qui rappelle, sur la forme, la
façon dont Yuval
Harari traite l’histoire de l’humanité,
mais avec cette fois une toute autre approche théorique, que
Raj Patel n’hésite pas à qualifier de
« révolutionnaire ».
Entretien
autour de cette grille de lecture, qui offre également
quelques perspectives pour sortir de ce que les auteurs appellent le
« Capitalocène », grâce notamment au
concept d’ « écologie-monde ».
Usbek
&
Rica : Des scientifiques du monde entier s'accordent à dire
que nous sommes entrés depuis un moment déjà
dans l'ère de l’Anthropocène
,
cette période de l'histoire de la Terre qui a débuté
lorsque les activités humaines ont eu un impact global
significatif sur l'écosystème terrestre. Mais vous
allez plus loin, en parlant de « Capitalocène
». Le capitalisme serait donc la cause de tous nos problèmes
?
Raj
Patel : Si
vous avez entendu parler de l'Anthropocène, vous avez entendu
parler de l'idée selon laquelle les humains sont en grande
partie responsables de la situation désastreuse de notre
planète. À ce rythme, en 2050, il y aura par
exemple
plus de plastique que de poissons dans les océans. Si une
civilisation survient après celle des humains, les traces qui
resteront de notre présence seront le plastique, la
radioactivité liée aux essais nucléaires, et des
os de poulet. Mais tout cela n'est pas lié à ce que les
humains sont naturellement portés à faire. Il y a
quelque chose qui conduit les humains à cette situation. Et si
vous appelez cela l'Anthropocène, vous passez à côté
du fond du problème. Ce n'est pas l'ensemble des comportements
humains qui nous conduit à la
sixième extinction.
Il y a aujourd'hui beaucoup de civilisations sur Terre qui ne sont
pas responsables de cette extinction de masse, et qui font ensemble
un travail de gestion des ressources naturelles formidable tout en
prospérant. Et ces civilisations sont souvent des populations
indigènes vivant dans des forêts.
Un
essai nucléaire américain en Micronésie le 25
juillet 1946 / CC Wikimédia
Commons
«
Si une civilisation survient après celle des humains, les
traces qui resteront de notre présence seront le plastique, la
radioactivité liée aux essais nucléaires, et des
os de poulet»
Mais
il y a une civilisation qui est responsable, et c'est celle dont la
relation avec la nature est appelée « capitalisme ».
Donc, au lieu de baptiser ces phénomènes Anthropocène,
appelons-les Capitalocène. Nous pouvons ainsi identifier ce
qui nous conduit aux bouleversements de notre écosystème. Il
ne s'agit pas de quelque chose d'intrinsèque à la
nature humaine, mais d'un système dans lequel évolue un
certain nombre d'humains. Et ce système nous conduit vers une
transformation dramatique de notre planète, qui sera visible
dans l'étude des fossiles aussi longtemps que la Terre
existera.
Vous
établissez, avec votre co-auteur, une histoire du capitalisme
fondée sur sept choses « cheap ».
Quelles sont-elles, et comment êtes vous parvenus à
cette conclusion ?
Dans
ce livre, nous évoquons les sept choses que le capitalisme
utilise pour éviter de payer ses factures. C'est d'ailleurs
une définition courte du capitalisme : un système qui
évite de payer ses factures. C'est un moyen de façonner
et de réguler les relations entre individus, et entre les
humains et la reste de la vie sur Terre. Ces sept choses sont la
nature « cheap », l'argent « cheap »,
le travail « cheap », le care
« cheap »,
l'alimentation « cheap », l'énergie
« cheap » et les vies « cheap ».
Nous sommes parvenus à cette conclusion en partie grâce
à un raisonnement inductif fondé sur l'histoire, mais
aussi en s'intéressant aux mouvements sociaux d'aujourd'hui.
Par exemple, le mouvement Black
Lives Matter
ne proteste pas uniquement contre l'inégalité
historique qui résulte de l'esclavage aux Etats-Unis. Ses
membres se penchent aussi sur le changement climatique, l’équité
entre les genres, le travail, la réforme agraire ou la
nécessaire mise en place de meilleurs systèmes
alimentaires et de systèmes d'investissement solidaires qui
permettraient à des entreprises d'émerger.
«
L'idée qui importe dans la structuration des mouvements
sociaux est celle d'intersectionnalité »
C'est
une approche très complète, mais l'idée qui
importe dans la structuration des mouvements sociaux est celle
d'intersectionnalité.
Et on peut identifier nos sept choses « cheap »
dans presque tous les mouvements intersectionnels. Tous les
mouvements visant à changer l'ordre social se tiennent à
la croisée de ces sept choses.
Rassemblement
du mouvement Black Lives Matter le 9 août 2015, un an après
la mort de Michael Brown, devant le Barclays Center de Brooklyn / CC
Wikimédia
Commons
Vous
expliquez que la nourriture est actuellement peu chère, mais
que cela n'a pas été le cas à travers
l'histoire. Dans votre introduction, vous prenez pour exemple les
nuggets de MacDonald's pour illustrer votre théorie des sept
choses « cheap ». Pourquoi ?
Il
n'a pas toujours été possible d'obtenir un
burger ou quelques chicken
nuggets
pour un euro ou deux. Au XIXème siècle, les ouvriers
anglais dépensaient entre 80 et 90% de leurs revenus en
nourriture. Aujourd'hui, nous consacrons à peu près 20%
à l'alimentation. Quelque chose a changé. Et le nugget
est devenu un fantastique symbole la façon dont le capitalisme
évite de payer ses factures.
«
Le nugget est devenu un fantastique symbole la façon dont
le capitalisme évite de payer ses factures » / CC
Wikimédia
Commons
Reprenons
nos sept choses « cheap ». La nature « cheap »
nous permet de retirer un poulet du monde sauvage et de le modifier
en machine à produire de la viande. Cette approche de la
nature est assez révélatrice de la façon dont le
capitalisme opère. La deuxième chose, c'est le travail
: pour transformer un poulet en nugget, il vous faut exploiter des
travailleurs. Et partout dans le monde, ces ouvriers avicoles sont
extrêmement mal payés. Une fois que les corps de ces
ouvriers sont ruinés par le travail à la chaîne,
qui va veiller sur eux ? Généralement, cela retombe sur
la communauté, et particulièrement sur les femmes.
C'est cela que j'appelle le « cheap
care ».
Les poulets sont eux-mêmes nourris grâce à de la
nourriture « cheap », financée par des
milliards de dollars de subventions. L'énergie « cheap
», c'est-à-dire les énergies fossiles, permet de
faire fonctionner les usines et les lignes de production. Et l'argent
« cheap » permet de faire tourner l'ensemble, parce que
vous avez besoin de taux d'intérêt très bas, et
que les grandes industries en obtiennent des gouvernements
régulièrement. Et enfin, vous avez besoin de vies «
cheap » : il faut reconnaître que ce sont les non-blancs
qui sont discriminés dans la production de ce type de
nourriture, mais aussi que les consommateurs sont considérés
comme jetables par l'industrie.
« Si
vous pensez que le capitalisme est né au cours de la
révolution industrielle, vous êtes en retard de trois ou
quatre siècles »
Vous
insistez sur le fait que le capitalisme est né de la
séparation entre nature et société, théorisée
notamment par Descartes.
Et que cette naissance a eu lieu au XIVème siècle, dans
le contexte de la colonisation. On a donc tort de dire que le
capitalisme est né avec la révolution industrielle ?
Si
vous pensez que le capitalisme est né au cours de la
révolution industrielle, vous êtes en retard de trois ou
quatre siècles. Pour que cette révolution advienne, il
a fallu beaucoup de signes avant-coureurs. Par exemple, l'idée
de la division du travail était déjà à
l'oeuvre dans les plantations de cannes à sucre à
Madère à la fin du XIVème siècle ! Toutes
les innovations dont on pense qu'elles proviennent de la révolution
industrielle étaient déjà en place quand les
Portugais ont apporté la production de sucre, l'esclavage et
la finance à Madère.
« La
division du monde entre nature et société est le péché
conceptuel originel du capitalisme »
Quant
à la division du monde entre nature et société,
il s'agit là du péché conceptuel originel du
capitalisme. Toutes les civilisations humaines ont une façon
d'opérer une distinction entre « eux » et «
nous », mais séparer le monde entre nature et société
permet de dire quels humains peuvent faire partie de la société,
et d'estimer qu'on est autorisé à exploiter le reste du
monde. Les colons arrivant en Amérique considéraient
ceux qu'ils ont baptisé « Indiens » comme des «
naturales
». Dans une lettre à Isabelle Iʳᵉ de Castille
et Ferdinand II d'Aragon, Christophe Colomb se désole de ne
pouvoir estimer la valeur de la nature qu'il a devant lui aux
Amériques. Il écrit aussi qu'il reviendra avec le plus
d'esclaves possibles : il voit certains hommes et la nature comme des
denrées interchangeables car ils ne font pas partie de la
société. Cette frontière entre nature et société
est propre au capitalisme, et c'est pourquoi il peut utiliser les
ressources fournies par la nature tout en la considérant comme
une immense poubelle.
L'arrivée
de Christophe Colomb en Amérique avec deux bannières
blanches blasonnées d'une croix verte et une bannière
jaune frappée des initiales F et Y des souverains Ferdinand II
d'Aragon et Ysabelle de Castille / CC Wikimédia
Commons
Le
capitalisme fait partie, selon vous, d'une écologie-monde, un
concept forgé par votre co-auteur. En quoi ?
Nous
nous inspirons de Fernand
Braudel
et du concept d'économie-monde. En résumé,
l'historien explique que si l'on veut comprendre comment fonctionne
le monde, on ne peut pas prendre l'Etat-nation comme unité
fondamentale d'analyse. Il faut comprendre que cet endroit est défini
par son rapport aux autres endroits, tout comme les humains sont
définis par leurs relations aux autres humains. On doit
également penser au système dans lequel le pays que
l’on étudie se trouve.
« Certains
estiment impossible de penser au-delà du capitalisme, même
si les alternatives sont juste devant nous »
L'économie
n'est qu'une façon de penser la relation entre les humains et
le tissu du vivant. Par exemple, Wall Street est une façon
d'organiser le monde et la nature. Les traders qui y travaillent font
de l'argent en faisant des choix, et en les imposant via la finance
et la violence qui lui est inhérente. Le tout pour structurer
les relations entre individus et entre les humains et le monde
extra-naturel. Ce que nous faisons, c'est que nous replaçons
tout cela dans son écologie, et c'est pourquoi le concept
d'écologie-monde fait sens. Si vous vous intéressez à
la façon dont les humains sont reliés les uns aux
autres, vous devez choisir la focale d'analyse la plus large
possible.
Vous
dites qu'il est plus facile d'imaginer la fin du la planète
que la fin du capitalisme. Pourquoi ?
J'expliquais
dernièrement à mes étudiants que nous avons
jusqu'à 2030 si l'on veut parvenir à une économie
neutre en carbone. Et ils étaient désespérés
et désemparés. Ce désespoir est un symptôme
du succès du capitalisme, en cela qu'il occupe nos esprits et
nos aspirations. C'est pourquoi il est, selon moi, plus facile
d'envisager la fin du monde que celle du capitalisme. On peut aller
au cinéma et y admirer la fin du monde dans tout un tas de
films apocalyptiques. Mais ce qu'on ne nous montre pas, ce sont des
interactions différentes entre les humains et la nature, que
certaines civilisations encore en activités pratiquent
actuellement sur notre planète.
Image
issue du film Take
Shelter
de Jeff Nichols / © Hydraulx Entertainment
Je
vis aux Etats-Unis, et tous les matins mes enfants doivent prêter
serment et répéter qu'ils vivent dans « une
nation en Dieu » [NDLR
: « One
nation under God »].
Mais les Etats-Unis reconnaissent en réalité des
centaines de nations indigènes, ce que l'on veut nous faire
oublier ! Tous les jours, on nous apprend à oublier qu'il y
existe d'autres façons de faire les choses, d'autres
possibilités. Cela ne me surprend pas que certains estiment
impossible de penser au-delà du capitalisme, même si les
alternatives sont juste devant nous.
« Ceux
que nous considérons comme nos sauveurs sont issus du passé »
Parmi
ces alternatives, il y en a une qui ne trouve pas grâce à
vos yeux : celle du progrès scientifique, incarnée en
ce moment par certains entrepreneurs comme Elon
Musk.
Ce
que je ne comprends pas, c'est que ceux que nous considérons
comme nos sauveurs sont issus du passé. Beaucoup pensent
qu'Elon Musk va sauver le monde, et que nous allons tous conduire des
Tesla dans la joie. Mais si on regarde ce qui rend possible la
fabrication des Tesla, on retrouve nos sept choses « cheap »
! Les travailleurs sont exploités, notamment ceux qui
travaillent dans les mines pour extraire les métaux
rares nécessaires aux batteries. Et Musk lui-même
s'attache à éliminer
les syndicats...
Je suis inquiet du fait que l'on fonde nos espoirs sur ces messies.
Des
initiatives comme celle du calcul de son empreinte
écologique ne
trouvent pas non plus grâce à vous yeux. Pourquoi ?
Parce
qu'il s'agit d'un mélange parfait entre le cartésianisme
et la pensée capitaliste. C'est une façon de mesurer
l'impact que vous avez sur la planète en fonction de vos
habitudes alimentaires ou de transport. À la fin du
questionnaire,
on vous livre une série de recommandations personnalisées,
qui vous permettent de prendre des mesures pour réduire votre
empreinte écologique. Qu'est-ce qu'il pourrait y avoir de mal
à ça ? Evidemment, je suis d'accord avec le fait qu'il
faudrait que l'on consomme moins, particulièrement dans les
pays développés.
«
Personne n'est allé faire les courses de façon
responsable pour mettre un terme à l'esclavage ! »
Pourtant,
présenter le capitalisme comme un choix de vie consiste à
culpabiliser l'individu au lieu de condamner le système. C'est
la même logique qui prévaut derrière la façon
dont on victimise les individus en surpoids alors que leur condition
n'a pas grand chose à voir avec leurs choix individuels, mais
plutôt avec leurs conditions d'existence. On ne pourra pas non
plus combattre le réchauffement climatique en recyclant nos
déchets ! Du moins, pas uniquement. En mettant l'accent sur le
recyclage, on sous-estime l'immensité du problème, mais
aussi notre propre pouvoir. Parce que si vous voulez changer de
système, ça ne passera pas par ce que vous mettez dans
votre caddie, mais par le fait de s’organiser pour transformer
la société. Et c'est l'unique façon dont une
société peut évoluer. Personne n'est allé
faire les courses de façon responsable pour mettre un terme à
l'esclavage ! Personne n'est sorti de chez lui pour acheter de bons
produits afin que les femmes obtiennent le droit de vote ! Tout cela
dépasse le niveau des consommateurs. Il va falloir s'organiser
pour la transformation, c'est la seule façon de combattre.
Des
suffragettes se réunissent en Angleterre en 1908 pour obtenir
le droit de vote / CC Wikimédia
Commons
C'est
pour ça que le dernier mot de votre livre est « révolution »
?
Si
nous continuons comme ça, la planète sur laquelle nous
vivons sera en grande partie inhabitable. Si je vous dis que j’ai
l'idée révolutionnaire de transformer le monde pour le
rendre inhabitable, vous me répondrez qu'il faudrait que
j'évite de faire ça. Le problème, c’est
que si je vous dis que j’ai l'idée
révolutionnaire de se détourner du capitalisme
pour vivre mieux qu’aujourd’hui, vous me diriez la même
chose. On choisit sa révolution. Soit on essaye de maintenir
les choses comme elles sont, avec leur cortège d'exploitation,
de racisme et de sexisme, la sixième
extinction de masse,
et la transformation écologique pour prétendre que tout
va bien se passer. Soit on accueille le changement à venir, et
on tente de s'y connecter.
«
Nous pouvons choisir le monde que nous voulons construire maintenant
pour être capables de supporter l'après-capitalisme »
Les
systèmes sociaux meurent rapidement. Le féodalisme
a par exemple disparu pendant une période de changement
climatique et d'épidémies. Plusieurs expériences
ont été tentées pour remplacer le féodalisme,
et parmi elles, c'est le capitalisme qui a gagné. Ce que je
veux dire, c’est que nous pouvons choisir le monde que nous
voulons construire maintenant pour être capables de supporter
l'après-capitalisme. On peut choisir sa révolution,
mais la chose qu'on ne peut pas choisir, c'est de l'éviter. Le
capitalisme nous rend aveugles à la révolution qu'il
opère lui-même à la surface de la planète
en ce moment.
Donc,
selon vous, il faudrait se tourner vers le concept d'écologie-monde
pour reprendre espoir ?
Une
partie de ce que l'on voulait faire avec Comment
notre monde est devenu cheap,
c'était d'articuler théoriquement ce qui est déjà
en train d'advenir. Je suis très inspiré par ce que met
en place le mouvement paysan La
Via Campesina. Ce
mouvement international qui regroupe des petits paysans fait un
travail incroyable, notamment en Amérique du Sud, en
promouvant l'agroécologie.
Rencontre
de l'organisation La Via Campesina en Bolivie, 2010 / CC FlickR
L'agro-écologie
est un moyen de cultiver la terre qui est totalement à
l'opposé de l'agriculture industrielle. Au lieu de
transformer un champ en usine en annihilant toute la vie qui s'y
trouve, vous travaillez avec la nature pour mettre en place une
polyculture. Cela vous permet de lutter contre le réchauffement
en capturant plus de carbone, et de vous prémunir contre ses
effets en multipliant le type de récoltes. Enfin, vous vous
organisez socialement pour soutenir le tout et gérer les
ressources et leur distribution, ce qui ne peut se faire sans
combattre le
patriarcat.
Voilà un exemple de mouvement fondé autour d’une
lutte contre l'OMC et qui a évolué en une organisation
qui combat les violences domestiques, le patriarcat et le
réchauffement climatique. C'est un exemple concret, et presque
magique, d'intersection entre les choses « cheap » que
nous évoquons dans notre livre. Et tout cela est rendu
possible parce que le mouvement est autonome et pense par lui-même,
sans s'appuyer sur de grands espoirs, mais sur l'intelligence de
chaque paysan.
Votre
livre compte 250 pages de constat, pour 10 pages de solution. Est-ce
qu'il est vraiment si compliqué que ça d'accorder plus
de place aux solutions ?
Il
y a déjà des organisations qui travaillent sur des
solutions. Mais pour comprendre leur importance et pourquoi elles se
dirigent toutes vers une rupture d'avec le capitalisme, on s'est dit
qu'il était de notre devoir de regrouper un certain nombre
d'idées qui parcourent le monde universitaire et le travail de
nos camarades au sein des mouvements sociaux. Notre rôle me
semble être de théoriser ce qui se passe déjà,
et de nourrir nos camarades intellectuellement. Et ces sept choses
« cheap » pourraient être une nouvelle
manière d'appréhender nos systèmes alimentaires
et tout ce que l'on décrit dans l'ouvrage, mais pas seulement.
Le cadre théorique pourrait aussi s'appliquer à la
finance, au patriarcat ou au racisme, et permettre aux mouvements en
lutte de se rendre compte qu'il faut qu'ils se parlent beaucoup plus.
Nous n'avions pas l'objectif de faire un catalogue de solutions,
encore moins un programme politique : beaucoup d'acteurs engagés
font déjà de la politique, et c’est vers eux
qu’il faut se tourner si vous voulez changer les choses
maintenant, sans attendre l’effondrement.
Collé
à partir de
<https://usbeketrica.com/article/changer-de-systeme-ne-passera-pas-par-votre-caddie>