L'infarctus intestinal enfin bien pris en charge

Par Eric Favereau — 15 janvier 2019

 

Créés en 2016, l’unité et le programme SURVI (Structure d’urgences vasculaires intestinales) à l'hôpital Beaujon de Clichy donnent d'excellents résultats.

 

 

Voilà un médecin hospitalier parisien heureux. Le Pr Olivier Corcos a de fait toutes les raisons de l’être. Il y a deux ans, il a réussi à monter dans sa structure, l’hôpital Beaujon à Clichy près de Paris, une unité pour prendre en charge certaines urgences digestives. Unité qui non seulement est unique en France et en Europe, mais surtout sauve plusieurs centaines d’intestins et plusieurs dizaines de vies par an.

«Tout s’est fait très vite, nous avons été soutenus, se réjouit le Pr Corcos, et j’ai eu tout l’appui de la direction de l’Assistance publique.» L’unité et le programme créés répondent au nom de SURVI, pour Structure d’urgences vasculaires intestinales.

Sauver l’intestin

Il n’y a que le cerveau ou le cœur qui peuvent se retrouver bloqués par des infarctus artériels qui empêchent le fonctionnement dudit organe. Mais l’intestin peut aussi se gripper, avec des plaques d’athérome qui se forment sur les parois, pouvant à terme empêcher tout passage. On appelle cela communément un «infarctus digestif», ou ischémie digestive. Jusqu’à récemment, la prise en charge ne se faisait qu’à un stade aigu, par voie chirurgicale, et se traduisait par le retrait d’une partie de l’intestin. Le taux de mortalité était très élevé, autour de 50 à 80%. Et ceux qui en réchappaient avaient une qualité de vie médiocre, avec un intestin réduit.

«Le diagnostic d’une ischémie intestinale était alors trop tardif», détaille Eric Corcos. Pour indication, en 2014, il a été établi chez 1 030 patients de l’AP-HP. «Mais ce chiffre est sûrement sous-estimé parce que parfois le patient mourait sans que le diagnostic ne soit posé».

Comment et pourquoi notre gastro-entérologue a-t-il réfléchi à une autre forme de prise en charge ? «Je suis parti de l’historique de notre service, qui était spécialisé auprès de malades ayant perdu une partie de leur intestin. Ils étaient vivants mais ils avaient une vie très pénible, se nourrissant par voie parentérale. Ne pouvait-on pas mieux faire ? L’idée était alors non pas de sauver des vies, mais de sauver des intestins. Nous avons mis en route un protocole, avec plusieurs étapes, avec un regard pluridiscplinaires de chirurgiens, de gastro-entérologues, et l’imagerie médicale, bien sûr». Avec l’idée de voir si l’on pouvait intervenir le plus tôt possible.

Pour une déclinaison dans chaque région

Peu à peu a émergé un nouveau modèle. «On a pu démontrer que l’on pouvait établir un diagnostic précoce. Et que l’on pouvait agir en revascularisant le plus tôt possible». Revasculariser, c’est-à-dire rouvrir le passage. Tout un parcours s’est ainsi dessiné : d’abord établir un diagnostic précoce, effectué à partir d’un angioscanner. Si la pathologie se confirme, la personne est hospitalisée dans une unité dédiée où est décidé, après discussion interdisciplinaire, le type de prise en charge : médicaments, revascularisation par le biais d’une intervention… «Il s’agit toujours d’intervenir plus tôt, quand l’intestin est encore viable, insiste le professeur. Et on a pu découvrir que l’ischémie était réversible.»

Résultat ? Un petit miracle. «On s’est rendu compte que l’on avait un taux de survie de 80%, alors qu’avant c’était l’inverse. De plus, dans notre cohorte pilote, on a un taux de résection intestinale de 30%. En d’autres termes, 70% de nos patients sont repartis avec leur intestin.» Des données spectaculaires qui changent fortement le regard que l’on pouvait avoir sur ce type de pathologie, souvent liée à l’âge avancé du patient.

En 2013, cette étude pilote a été publiée dans les grandes revues médicales. Très vite, la direction générale de l’AP-HP appuie l’idée, et en 2016 une unité dédiée est créée, avec du personnel, quatre lits d’urgence à Beaujon et depuis six mois, quatre lits supplémentaires. Aujourd’hui, SURVI fonctionne parfaitement. «Nous avons de la chance, on a les moyens nécessaires», reconnaît le Pr Corcos. Plus de 500 patients ont été pris en charge, plusieurs dizaines de vies sauvées. Un numéro dédié existe pour les professionnels, avec ensuite une coordination et une organisation pour toute l’Ile-de-France afin que les patients arrivent vite à Beaujon. «Bien sûr, il faudrait créer des unités de ce type dans chaque région», rêve Olivier Corcos. Mais ce n’est pas encore gagné. «Comment faire pour que les médecins traitants réagissent et ne laissent pas passer ces douleurs abdominales ? s’interroge-t-il. N’oublions pas que c’est une urgence vitale. Nous avons un énorme travail d’information et de formation à accomplir.»

Eric Favereau

 

Collé à partir de <https://www.liberation.fr/france/2019/01/15/l-infarctus-intestinal-enfin-bien-pris-en-charge_1702865>