|
L’histoire du gigolo qui a couché avec tous vos écrivains gays préférés
Denham Fouts était l'amant privilégié de Truman Capote, Christopher Isherwood et de tout le gratin homosexuel de la première moitié du XXe siècle.
Au-delà de leur activité d'écrivain, Truman Capote, Christopher Isherwood et Gore Vidal avaient un autre point commun : tous ont couché avec Denham Fouts. Fouts (ou « Denny », comme il se faisait fréquemment surnommer) était une sorte d'épicurien professionnel, un sérieux accro à opium et l'amant de tout le gratin homosexuel de la première moitié du XXe siècle. Isherwood l'appelait parfois « le prostitué le plus cher au monde », même si cela réduisait faussement sa relation avec lui à de simples transactions.
Fouts n'était pas du genre à se contenter de dire à ses conquêtes de déposer de l'argent sur sa table de nuit. C'était plutôt un minet séduisant que les écrivains conservaient aussi longtemps qu'ils pouvaient se le permettre. Les hommes (les femmes aussi, mais surtout les hommes) cherchaient désespérément à attirer son attention et lui donnaient à peu près tout ce qu'il désirait dans le simple but de rester à ses côtés. La plupart de ses prétendants étaient plus âgés – il demanda une fois à l'écrivain américain Glenway Wescott comment obtenir et garder l'attention des sugar daddies – mais certains avaient presque son âge. Son amant de toujours, Peter Watson, avait à peine six ans de moins que lui, ce qui ne l'a pas empêché de lui faire cadeau d'un tableau de Picasso : La Femme Lisant.
Fouts était toujours partant pour faire la fête. Il ne rentrait chez lui qu'après avoir sniffé d'énormes doses de cocaïne et séduit le petit ami du maître de maison, voir son fils – Fouts avait un penchant bien connu pour les jeunes éphèbes. Quelques-unes de ses histoires avec des adolescents sont d'ailleurs racontées dans la biographie qu'Arthur Vanderblit lui a consacrée, The Best-Kept Boy in the World.
Vanderbilt s'est attaché à recomposer la vie de Fouts à partir de quelques faits et de nombreux passages de fiction. Né en 1914 à Jacksonville en Floride, Fouts servit de modèle à de nombreux personnages créés par ses prétendants. Isherwood s'en inspira directement pour les aventures de Paul dans Down There on a Visit, Vidal en tira Eliott Magren dans Pages from an Abandoned Journal . Dans son chef-d'œuvre inachevé Answered Prayers, Capote le mit en scène en utilisant son vrai nom.
Malgré son influence notable sur la littérature américaine, Fouts a laissé peu de traces écrites derrière lui. À l'âge de 34 ans, il décéda d'un arrêt cardiaque, léguant une lettre condamnant la cruauté envers les animaux, – lettre qui a été publiée dans le magazine Time alors qu'il n'avait que 12 ans –, une ébauche de nouvelle entamée à l'époque où il vivait avec Isherwood, et des mémoires dont l'unique exemplaire a été brûlé par sa mère.
Il n'est pas facile de relater la vie d'un tel personnage. Dans chacun de ses chapitres, Vanderbilt sonde la vie de Fouts au travers de celle de ses plus illustres amants, ou par l'analyse littéraire d'histoires qu'il a inspirées. Heureusement, Vanderbilt est un historien chevronné ayant déjà publié nombre d'ouvrages, ce qui lui a évité de se laisser emporter par les mythes à son sujet. J'ai discuté avec l'auteur pour clarifier certains faits sur Denham Fouts, ainsi que sur le fait d'être un homme-objet au XXe siècle en comparaison à aujourd'hui.
VICE : Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire sur Denny Fouts ?
Arthur Vanderblit : Juste après la Seconde Guerre mondiale, des jeunes auteurs qui allaient devenir des piliers de la littérature se sont dirigés vers l'Europe. Alors que je commençais à m'intéresser à cette période en lisant les mémoires, les journaux intimes, les correspondances et les biographies de ces auteurs, j'ai remarqué que le nom de Denham Fouts surgissait toujours dans les passages les plus intrigants. En faisant le lien entre ces passages, je me suis rendu compte que Christopher Isherwood, Gore Vidal et Truman Capote avaient tous utilisé Denny comme personnage. À partir de ce moment, retracer l'histoire de Denny est devenu une obsession pour moi.
Il était beau, bien sûr, mais beaucoup de mecs sont beaux. Pourquoi ces hommes étaient-ils obsédés par Fouts ?
De toute évidence, Denny projetait un magnétisme sexuel considérable, et c'est sans doute ce qui suscitait l'attention de ces hommes. Mais je pense que son pouvoir d'attraction allait au-delà de ça. Ni Isherwood, ni Vidal ou Capote n'étaient sexuellement attirés par Denny, même s'ils comprenaient que d'autres puissent l'être. Isherwood, qui a vécu avec Denny durant de nombreuses années, le considérait comme son meilleur ami. Un jour, il a déclaré n'avoir jamais rencontré quelqu'un d'aussi amusant que Denny – avec lui, même le fait d'acheter des légumes constituait une aventure. Denny était une de ces rares personnes à réellement ressentir le caractère merveilleux de la vie.
Mais il semble avoir vécu en ne faisant qu'effleurer la surface du temps – il a touché beaucoup de gens, sans jamais laisser de trace. Comment écrivez-vous la biographie d'une personne que nous connaissons essentiellement par des ouvrages de fiction ?
J'ai essayé de trouver tout ce que je pouvais à son sujet. J'ai suivi toutes les pistes, fouillé des archives, enquêté sur tous les indices possibles. J'ai même usé du Freedom of Information Act pour voir si le FBI avait une fiche sur lui. Pour chaque chose présentée comme un fait dans mon livre, je devais avoir au moins deux sources fiables. Ce que j'ai trouvé vraiment intéressant, c'est à quel point Isherwood, Vidal et Capote étaient précis dans leur description de Denny.
Évidemment, Isherwood est réputé pour son style d'écriture. J'ai essayé de montrer à quel point ses notes sur de Denny collaient aux portraits qu'il a dressés de lui. Vidal et Capote ont assurément capturé l'état d'esprit de Denny et relaté les faits principaux de sa vie – à quelques détails près. L'exception est sans aucun doute le commencement du voyage de Denny – son parcours de Jacksonville en Floride aux débuts de sa vie de gigolo. Je pense que Denny manipulait lui-même son histoire en fonction des gens auxquels il s'adressait.
Existe-t-il des hommes comme Denny aujourd'hui ?
Je pense que des mecs comme Denny existent encore aujourd'hui, et qu'il en existera toujours. Imaginez le jeune Brad Pitt, le jeune Ryan Phillipe – des hommes qui projettent un certain magnétisme sexuel et qui attirent de nombreuses personnes. Ensuite, imaginons que ces types n'aient eu aucun succès dans leur carrière cinématographique. Ils auraient peut-être fait un peu de mannequinat, essayé en vain de faire décoller leur carrière. Ils auraient attiré de riches admirateurs qui leur auraient promis la lune, peut-être jusqu'à devenir eux-mêmes gigolos. J'adore cette interview de Truman Capote où on lui demande ce qu'il aurait fait s'il n'avait pas été écrivain. Il a d'abord répondu qu'il serait devenu avocat, avant de réfléchir et d'avouer qu'il aurait aimé être gigolo – mais qu'il n'avait jamais trouvé de personne désireuse de le garder plus d'une semaine.
|
Collé à partir de <https://www.vice.com/fr/article/xdb5m3/lhistoire-de-denham-fouts-834>