Culture numérique : Fake news panic

11/04/2019

Le numérique a enfin son manuel ! En 400 p., le sociologue et directeur du Médialab de Sciences Po,  Dominique Cardon (@karmacoma) livre avec Culture numérique qui vient de paraître aux Presses de SciencesPo, une somme d’une rare clarté, faite de courts chapitres très didactiques, qui pose les bases de l’histoire d’internet, de sa culture, de son économie et de son fonctionnement. Et c’est bien toute la valeur de cet ouvrage patiemment peaufiné et amélioré par des centaines d’heures de cours… On ne peut que se réjouir que ce livre devienne le manuel de milliers d’étudiants qui s’intéressent au sujet pour les prochaines années. Pour beaucoup, ce sera même le seul livre qu’ils liront. Tant mieux. Cet ouvrage va les mettre à niveau vite, très clairement et très profondément et va les aider à comprendre le monde qui est le nôtre. Les spécialistes du sujet apprendront peut-être peu de choses dans ce manuel très accessible, mais la clarté du propos et la structuration des références les impressionnera certainement. Ce cours de Dominique Cardon est un vrai outil grâce auquel tous les acteurs du numérique et ceux qui s’y intéressent pourront avancer.

Pour vous donner envie de vous y plonger, nous sommes heureux de republier ici, avec l’aimable autorisation des Presses de SciencesPo, l’un des chapitres du livre consacré à la problématique de la désinformation. Il y en a 42 autres, tous aussi accessibles et passionnants ! – Hubert Guillaud

FAKE NEWS PANIC : LES NOUVEAUX CIRCUITS DE L’INFORMATION

Nous sommes tous persuadés que le 30 octobre 1938, la population affolée des États-Unis s’est précipitée dans les rues pour fuir une prétendue attaque martienne dont Orson Welles venait de faire l’annonce à la radio, à l’occasion d’une adaptation théâtrale de La Guerre des mondes, le roman de Henry George Wells. L’image d’un pays en panique est restée gravée dans les livres, les documentaires et l’imaginaire public (document 46).

Or, cette panique n’a jamais eu lieu. Dans un remarquable ouvrage, Broadcast Hysteria : Orson Welles’s War of the Worlds and the Art of Fake News, Brad Schwartz a minutieusement démonté la fabrication du mythe. Ce soir-là, les rues sont restées relativement vides, les hôpitaux n’ont pas été encombrés, personne n’a vu d’attroupement à Time Square et la menace des hordes martiennes n’a pas suscité de suicides.

La panique de La Guerre des mondes a été littéralement fabriquée par la presse écrite de l’époque, qui reprochait notamment  à la radio d’aspirer tous les revenus publicitaires. On prêtait à ce nouveau média une telle force qu’on le disait capable d’hypnotiser le public. Reflet des  anxiétés politiques d’alors, spécialement de la responsabilité des discours radiophoniques d’Hitler dans la montée du nazisme, une théorie des médias s’est construite, celle des effets forts, aussi appelée, de façon imagée, « seringue hypodermique » : la radio débranche la raison des auditeurs pour atteindre directement leurs sensibilités ; elle aurait la capacité de contrôler les croyances, de guider les comportements et de changer les représentations.

C’est un psychologue de l’Université de Princeton, Hadley Cantril, qui a contribué à imposer cette représentation des effets forts de la radio, dans un livre publié en 1940, The Invasion from Mars. Il a été par la suite démontré que Cantril avait fait dire ce qu’il voulait aux données pour accréditer l’idée d’une panique saisissant les publics populaires manquant de distance critique. Dès la parution de son  l’ouvrage toutefois, un jeune chercheur, Paul Lazarsfeld, en conteste les résultats et propose un paradigme des effets des médias fondé sur une interprétation radicalement différente. Aux effets forts, Lazarsfeld substitue le modèle des « effets limités », qu’il expose dans un ouvrage publié en 1944 avec Bernard Berelson et Hazel Gaudet, The People’s Choice, devenu un classique des sciences sociales. Selon Lazarsfeld, les médias ont des effets faibles et, surtout, la réception des messages médiatiques ne peut être comprise comme l’interaction, fermée sur elle-même, d’un individu et d’un contenu : elle est socialisée. Ce qui a été vu, lu ou entendu à la radio – aujourd’hui sur internet – est ensuite réapproprié par d’autres dans les relations et les échanges ordinaires. Pour décrire ce processus, Lazarsfeld conçoit le modèle des « deux niveaux de communication » (two-step flow of communication), qui dominera toutes les théories de l’influence sociale et sera souvent utilisé à propos du rôle des influenceurs sur les médias sociaux. Les médias, soutient-il, ont une influence sur certaines personnes, qui ensuite en influencent d’autres. Il n’y a rien d’automatique et d’immédiat dans ce circuit : les messages sont transformés, critiqués, détournés par les cercles sociaux des individus.

La théorie des effets forts est toutefois revenue sur le devant de la scène médiatique à l’occasion du débat sur les « fake news » (il serait préférable de parler de « désinformation », pour souligner le caractère intentionnel de ces entreprises de propagande en réseau) et des inquiétudes multiples suscitées en 2016 par le vote britannique du Brexit et par l’élection américaine de Donald Trump. Si les électeurs ont mal voté, entend-on, c’est parce que des esprits crédules sont tombés dans le piège des fake news. Ce débat est très utile pour comprendre les enjeux de l’accès à l’information sur le web. L’apparition des réseaux sociaux a contribué à déréguler le marché informationnel. Comme nous l’avons vu, les gatekeepers n’ont plus le monopole de la production de l’information, ils ne contrôlent plus les instruments de leur diffusion ni les contextes dans lesquels elles sont consommées. Cela signifie-t-il que toutes les informations venant de toutes parts sont perçues comme étant du même niveau et que, désormais privés de repères, les internautes sont prêts à écouter et à croire n’importe qui ? Non, si l’on tient compte de la règle d’organisation de l’espace public numérique présentée au chapitre 3.

La visibilité est très inégalement distribuée sur le web, suivant en cela l’immuable loi de puissance des mondes numériques. Par exemple, sur Twitter, le compte du Monde détient 8,1 millions  d’abonnés ; Égalité et réconciliation, le compte d’Alain Soral, 31 900 (document 47). L’écart est considérable – en population, le public du Monde équivaut à la ville de Mexico, celui d’Alain Soral à celle de Vierzon : dès qu’il est question du numérique, on a tendance à unifier les marchés (« c’est sur internet »), alors qu’en réalité ces deux comptes ne jouent pas dans la même division. Une précision importante toutefois : si un compte en haut de la hiérarchie de la visibilité retweete un compte qui se trouve dans les caves du web, il offre brusquement à ce dernier une très grande visibilité. On appelle cela l’effet boomerang. Les journalistes, qui sont en haut de la hiérarchie de la visibilité, ont eu du mal à assimiler ce principe essentiel d’éducation au comportement numérique.

Nul doute que la dérégulation du marché informationnel a favorisé la mise en circulation d’un nombre considérable de contenus douteux : certains correspondent aux pratiques habituelles de désinformation dans la compétition politique, d’autres sont intentionnellement destinés à tromper les internautes – les fake news –, beaucoup sont des informations trash, mensongères, déformées ou bizarres produites dans l’intention de devenir virales. Les sites qui les diffusent n’ont pas d’intention politique particulière. Leur but est purement commercial : accroître leur trafic pour attirer des revenus publicitaires.

Les  fake news  suscitent une  grande inquiétude. Beaucoup craignent qu’elles ne soient responsables des mauvais choix des électeurs, en se fondant sur l’hypothèse, nullement prouvée, qu’elles ont un effet fort sur ceux qui y sont exposés. La « seringue hypodermique » refait son apparition et, avec elle, l’idée que ce sont toujours les autres, les esprits faibles, qui se montrent influençables.

Étrangement,  les études sérieuses  n’ont pas été beaucoup entendues dans ce tintamarre. Comme le soulignent  Yochai Benkler et ses coauteurs dans Network Propaganda, la recherche la plus remarquable sur la transformation de l’espace public numérique américain à la lumière de l’élection de Donald Trump, ni les Russes, ni l’intervention des robots, ni les manipulations de l’opinion par des officines politiques clandestines ou par le marketing ciblé issu de l’utilisation frauduleuse des données des utilisateurs de Facebook capturées par Cambridge Analytica n’ont la capacité à faire basculer une élection. La vieille tendance au déterminisme technique, consistant à faire  porter à la technologie la responsabilité d’un changement de climat politique, risque de détourner l’attention de transformations sociopolitiques beaucoup plus fondamentales. Les nouveaux circuits numériques de l’information ne sont qu’une infrastructure d’échanges qu’exploitent stratégiquement les acteurs politiques des nouveaux populismes pour imposer leur agenda. Réduire ces changements politiques majeurs aux réseaux sociaux, c’est sans doute se voiler la face, comme le montrent les recherches menées sur les effets des fake news. Quatre enseignements importants sont à en tirer.

Premièrement, s’il est incontestable qu’un nombre impressionnant d’informations fausses, produites de façon délibérément trompeuse, se sont diffusées dans les espaces numériques, les chiffres venus du monde numérique doivent cependant être relativisés. Les vingt fake news les plus partagées pendant la campagne électorale américaine de 2016 ont suscité 8,7 millions de partages, réactions et commentaires. Cela paraît énorme, mais ne représente que 0,006 % des actions des utilisateurs américains de Facebook durant la même période. Nous devons apprendre à ne pas être effrayés par les grands chiffres du numérique.

Deuxièmement, les chercheurs ne parviennent pas à mesurer l’effet direct d’un message vu, lu ou entendu sur un comportement. Par exemple, une étude de David Broockman et  Donald Green, publiée dans Policial Behavior, montre que les internautes qui ont été exposés à de la publicité politique sur Facebook ne mémorisent pas mieux les messages publicitaires que ceux qui n’y ont pas été exposés sur Facebook. Sans doute, lorsqu’elle est extrêmement bien ciblée auprès d’électeurs indécis, la publicité politique a-t-elle une petite efficacité, mais les agences chargées de vendre de l’influence politique exagèrent beaucoup lorsqu’elles affirment pouvoir faire basculer les votes d’un côté ou de l’autre.

Troisièmement, l’exposition à une fausse information ne suscite pas nécessairement la croyance dans cette information. Selon une autre étude, menée par Hunt Allcott et Matthew  Gentzkow, si tous les Américains ont été exposés à au moins une fake news pendant la campagne présidentielle de 2016, ils n’ont été que 8 % à y croire.

Quatrièmement, les internautes les plus exposés aux fake news sont des personnes très politisées et déjà convaincues : 10 % de l’électorat le plus favorable à Donald Trump a consulté 65 % des fake news. Ces électeurs consultent aussi les sites d’informations  des médias centraux – ils ne sont pas enfermés dans une bulle –, mais leurs pratiques sur internet témoignent d’un biais de sélection : ils choisissent les informations à lire en fonction de leurs convictions personnelles. Selon une enquête de David Lazer, pendant la campagne présidentielle américaine de 2016, 1 % seulement des utilisateurs de Twitter ont été exposés à 80 % des fake news et 0,1 % ont relayé 80 % des fake news.

Tout laisse à penser que, prises individuellement, les fake news n’ont pas une influence importante sur le choix des électeurs. Pour comprendre les dynamiques d’opinions politiques, un autre cadre d’analyse, issu de la théorie des médias, semble plus pertinent : celui des effets d’agenda.

La théorie des effets d’agenda soutient que si les individus ne sont pas influencés par des informations unitaires, ils sont sensibles à la manière dont les grands enjeux sont fixés pendant une campagne électorale. Une représentation collective des thèmes déterminants de la campagne se construit, et c’est sur ces priorités que les électeurs se décident en votant. Une campagne électorale est donc une compétition entre acteurs politiques cherchant à imposer leur agenda. Aux États-Unis, par exemple, l’espace médiatique sur internet s’est profondément transformé. Habituellement organisé autour de sites du centre droit et du centre gauche, il s’est fortement polarisé. La cartographie des liens des sites de  médias partagés sur Twitter, présentée par Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts dans l’ouvrage Network Propaganda, en constitue une remarquable illustration (document 48). Elle témoigne de l’effet de la polarisation politique sur les médias américains. Ce sont désormais les sites de la droite conservatrice et ultra, Fox News et Breitbart, qui dominent le camp républicain. Le Wall Street Journal et le Washington Post, qui incarnaient jusqu’alors le centre droit dans les médias, se sont déportés vers le centre gauche. Cette polarisation témoigne de la réussite d’une stratégie initiée depuis quinze années aux États-Unis. Elle a été parachevée par la campagne menée par Donald Trump pour prendre le pouvoir sur le camp conservateur et le Parti républicain et pour imposer l’idée que les autres médias « mentent » et qu’il faut mettre en scène une « réalité alternative » (alternative facts). De façon très démonstrative, les auteurs comparent une fausse information venue de l’extrême gauche (une agression sexuelle imputée à tort à Donald Trump) et une fausse information venue de l’extrême droite (des voyages imaginaires de Bill Clinton vers une « île des pédophiles »). Lorsqu’il a été démontré de façon incontestable que ces informations étaient fausses (témoignage  contredit, billet d’avion et calendrier erronés, etc.), les médias de centre gauche ont cessé de les propager ; en revanche, le démenti factuel n’a en rien empêché Fox News et Breitbart de continuer à les répandre (document 49). Les journalistes américains ne partagent plus la même définition de la déontologie et de la vérification factuelle de l’information. Il a de plus été démontré que, pendant la campagne de 2016, les sites des médias, sous l’influence de leurs intérêts publicitaires, avaient souvent accordé une grande importance aux scandales touchant Hillary Clinton, notamment ceux relatifs au piratage de sa boîte de messagerie. Même le New York Times leur a consacré plus de unes qu’au programme de la candidate. Les médias traditionnels, notamment lors des talk shows télévisés, ont passé des heures à débattre de la personnalité de Donald Trump et des informations douteuses circulant sur internet.

Le  cas américain  peut-être diagnostiqué  comme celui d’une faillite des médias à grande visibilité, qui ont abondamment relayé les fake news et leur ont donné beaucoup de place.

Par contraste, lors des élections françaises de 2017, les fake news n’ont pas occupé le devant de la scène. Elles ont certes abondamment circulé dans les bas-fonds d’internet et ce, jusqu’au dernier jour de la campagne avec une tentative d’infiltration de fausses nouvelles russes (les « Macron Leaks », qui ont mêlé de façon très artisanale de vrais et  de faux échanges d’emails entre protagonistes de l’équipe de campagne d’Emannuel Macron), mais les médias français ne les ont pas relayées et n’ont pas utilisé les thèmes de rumeur pour construire l’agenda public. Les rédactions de plusieurs journaux se sont même regroupées pour la durée de la campagne dans un projet appelé Crosscheck, soutenu par les grandes plateformes du web, afin de détecter les fausses informations. Il en ressort, et c’est très important, que lorsque les acteurs du haut de l’échelle de visibilité d’internet ne se préoccupent pas des informations du bas, ou veillent à ne pas les relayer, les fake news ont  une circulation limitée, et leur audience reste faible.

Quelles leçons faut-il retenir de ce nouveau risque pour la démocratie, de la menace que font peser des faussaires et des manipulateurs sur le rapport à la vérité et à la factualité ? Premier enseignement : le comportement des acteurs à haute visibilité (les comptes des médias et des politiciens importants) est le facteur structurel qui assure, ou non, aux acteurs du bas l’obtention d’une visibilité au centre (comme cela s’est produit lors de la campagne américaine et ne s’est pas produit pendant la campagne française). Deuxième enseignement : les sites de fact-checking, s’ils ne sont pas lus par ceux qui sont réceptifs aux informations douteuses, jouent un rôle important de garde-fou dans un contexte de concurrence entre médias centraux – lesquels ne manquent pas de le faire savoir quand l’un d’entre eux ouvre ses colonnes à des informations douteuses. Troisième enseignement : à côté des pratiques de désinformation politique, un autre circuit d’informations douteuses existe sur le web. Il ne passe pas tant par les sites web ou par Twitter que par les espaces conversationnels, mi-privés mi-publics, de la conversation en clair-obscur. Sur le web, ces informations circulent à très grande vitesse via les chaînes d’emails, les listes de discussion et les pages Facebook. Elles sont rarement politiques, mais elles peuvent l’être. Des chercheurs américains emploient très justement à leur propos le  terme de bullshit news : faits divers absurdes et trash, informations choquantes, drôles ou bizarres, conseils – la plupart du temps sexistes – sur la sexualité, détournement de recherche médicale et scientifique (« Il faut dormir sur le côté gauche pour soigner son cancer »). En France, l’information la plus partagée sur le web en 2017 a été celle-ci : « Elle a augmenté son QI en avalant du sperme. » Les pages Facebook qui accueillent ces nouvelles, sous prétexte d’humour, d’informations alternatives, d’horoscopes ou de santé par les plantes, ont une popularité considérable et gagnent beaucoup d’argent. Les internautes relaient massivement les bullshit news parce que les informations les choquent ou les amusent. On n’y croit pas nécessairement, mais cela fait rire et suscite la conversation avec les amis.

L’espace des petites conversations des réseaux sociaux peut aussi devenir le lieu où circulent de façon virale des informations mensongères aux effets dramatiques. En Inde, des lynchages se sont produits à cause de rumeurs circulant sur Whatsapp. Au Brésil, lors de l’élection présidentielle de 2018, des entreprises soutenant Jair Bolsonaro ont massivement  diffusé sur Whatsapp des informations infamantes sur le candidat du Parti des travailleurs afin de le discréditer. Les communications sur ce réseau sont cryptées, donc inaccessibles à toute personne susceptible de les contredire ou de les démentir. Elles circulent par proximité conversationnelle dans des petits groupes de personnes. Les provocations, les moqueries  et les propos à l’emporte-pièce constituent parfois la tonalité principale de ces espaces d’échanges, toujours très prompts à mettre en circulation des informations douteuses. Beaucoup plus que sur les sites web ou que sur Twitter, il semble que ce soit à cet étage conversationnel du web que circulent des mouvements d’opinion contagieuse.

Voilà pourquoi il nous faut retenir la leçon de La Guerre des mondes. Comme on le sait depuis les travaux de Paul Lazarsfeld, les effets propres des médias restent limités. La circulation des fake news n’a pas rendu les internautes irrationnels ou naïfs ; lorsqu’ils ne sont pas contaminés par des démagogues, les espaces à haute visibilité du web peuvent se défendre contre la désinformation organisée. En revanche, dans les niches de bavardage à faible visibilité, des informations douteuses circulent et rebondissent rapidement. Sur le  web, comme dans la vraie vie, nos conversations ne sont pas toujours très exigeantes, et même si nous n’y croyons pas vraiment, en relayant ces informations douteuses, nous participons à la remise en question des autorités scientifiques, du travail d’enquête journalistique et de la vérité factuelle.

Dominique Cardon

A lire, à voir, à écouter

o        Le livre de l’historien Brad Schwartz, qui démystifie l’idée très répandue d’une panique nationale lors de la diffusion de l’émission d’Orson Welles sur La Guerre des mondes de 1938 : A. Brad Schwartz, Broadcast Hysteria. Orson Welles’s War of the Worlds and the art of Fake News, New York (N. Y.), Hill & Wang, 2015 ; lire aussi Pierre Lagrange, La guerre des mondes a-t-elle eu lieu ?, Paris, Robert Laffont, 2005.

o        Le grand classique d’Elihu Katz et Paul Lazarsfeld (Influence personnelle. Ce que les gens font des médias, Paris, Armand Colin, 2008 [1955]), soutenant que l’influence des médias est moins forte que celle des relations interpersonnelles, doit-il être révisé à l’heure des réseaux sociaux ?

o        Un ensemble de travaux qui invitent à relativiser les tentatives de manipulation publicitaire ou idéologique de l’opinion : sur l’invisibilité des effets de la publicité politique sur Facebook, le texte de David E. Broockman et Donald P. Green, « Do Online Advertisements Increase Political Candidates’ Name Recognition or Favorability ? Evidence from Randomized Field Experiments », Political Behavior, 36 (2), juin 2014, p. 263-289 ; et l’enquête de Nir Grinberg, Kenneth Joseph, Lisa Fredland , Briony Swire-Thompson et David Lazer sur la circulation des fake news sur Twitter : « Fake news on Twitter during the 2016 Presidential Election », Science, 363, janvier 2019.

o        Une approche de psychologie comportementale montrant que la dérégulation du marché informationnel sur internet produit des effets de mimétisme et d’enfermement dans des bulles idéologiques en raison des biais cognitifs des individus : Gérald Bronner, La Démocratie des crédules, Paris, PUF, 2013.

o        L’ouvrage majeur sur la question des fausses informations aux États- Unis : Yochai Benkler, Robert Faris et Hal Roberts, Network Propaganda. Manipulation, Disinformation and Radicalization in American Politics, Oxford, Oxford University Press, 2018 ; et un texte synthétique et percutant d’Ethan Zuckerman, du Center for Civic Media du MIT Medialab : « Six or Seven Things Social Media Can Do for Democracy »

o        Sur les fake news en France pendant l’élection présidentielle de 2017, l’enquête des Décodeurs du Monde : Adrien Senecat, « Facebook, voyage au coeur de la machine à fausse information », Le Monde, 19 février 2017.

o        Le texte qui a lancé le débat sur l’ère de la post-vérité à la suite du Brexit : Katharine Viner, « How Technology Disrupted the Truth », The Guardian, 12 juillet 2016.

o        Un article contestant l’idée que les fake news aient eu un effet important sur le résultat de l’élection de Donald Trump à la présidence des États- Unis, mais qui souligne en revanche le rôle des médias traditionnels dans la mise en place d’un agenda médiatique faisant de la personnalité de Trump le principal sujet de la campagne : Duncan J. Watts et David M. Rothschild, « Don’t Blame the Election on Fake News. Blame it on the Media », Columbia Journalism Review, 5 décembre 2017, et un article scientifique qui relativise l’effet (et non le nombre) des fake news sur les résultats électoraux aux États-Unis : Hunt Allcott et Matthew Gentzkow, « Social Media and Fake News in the 2016 Election », Journal of Economic Perspectives, 31 (2), 2017, p. 211-236.

o        Une synthèse bibliographique très complète et très utile des travaux de science politique consacrés aux effets des technologies numériques sur la polarisation politique et aux effets de la désinformation : Joshua A. Tucker, Andrew Guess, Pablo Barberà, CristianVaccari, Alexandra Siegel, Sergey Sanovich, Denis Stukal et Brendan Nyhan, « Social Media, Political Polarization, and Political Disinformation : A Review of the Scientific Literature », William + Flora Hewlett Foundation, 19 mars 2018.

o        Sur les vertus et les risques de la conversation en ligne, une analyse des formes d’expression ordinaires à travers le like, les discours haineux et les manipulations de l’information : Joseph M. Reagle, Reading the Comments. Likers, Haters and Manipulators at the bottom of the Web, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 2015.

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Collé à partir de <http://www.internetactu.net/2019/04/11/culture-numerique-fake-news-panic/>