Bercy-Charenton : Hidalgo en «reconquête urbaine»


La premier adjoint à la mairie de Paris, Emmanuel Grégoire, dévoile en avant-première à «Libération» les futurs chantiers du projet d’aménagement Bercy-Charenton, objet d’affrontements avec les écologistes depuis son lancement en 2008.

50 citoyens seront tirés au sort dans les communes et arrondissements voisins du projet Bercy-Charenton pour qu'ils donnent un avis consultatif. (Christophe.Jacquet/Ville de Paris)

par Sacha Nelken


Début d’un nouveau chapitre pour le décrié projet d’aménagement Bercy-Charenton. La mairie de Paris, avec la SNCF, propriétaire des lieux, va lancer lundi un appel à projets pour la «reconquête urbaine du site de Bercy-Charenton» dont le programme a largement été remis en cause lors de la dernière élection municipale. En parallèle, l’exécutif parisien annoncera le lancement d’une concertation citoyenne qui devra définir les besoins et les objectifs de la future zone d’aménagement concertée (ZAC) dont le développement est aujourd’hui en stand-by.

Lancé en 2008, le projet Bercy-Charenton visait initialement à construire, sur cette zone de 80 hectares située dans le sud-est du XIIe arrondissement de la capitale, des logements (sociaux et privés), des bureaux, des équipements culturels et de loisirs, des commerces, un espace vert mais surtout six tours dont une d’une hauteur de 180 mètres. Très tôt, le projet n’a convaincu ni les différents groupes d’opposition du Conseil de Paris ni les écologistes, pourtant membres de la majorité, qui ont dénoncé «une bétonisation à outrance» et une «surdensification» de cette zone, actuellement occupée notamment par des rails menant à la gare de Lyon. Adopté de justesse en juillet 2018 (à cinq voix près), ce projet est devenu un angle d’attaque des opposants à Anne Hidalgo lors de la dernière la campagne municipale. Dans l’entre-deux tours, le sujet a été au cœur des négociations entre les équipes de la maire sortante et les écologistes en vue d’une nouvelle alliance. A quelques jours du second, les deux parties ont annoncé une remise à plat du projet et le lancement futur d’une concertation avec les citoyens.

Urbanisme temporaire

«Le gros problème de ce dossier, dans sa maturation, dans son acceptabilité, c’est qu’il n’est pas connu. Il faut donc le faire connaître», estime le premier adjoint d’Anne Hidalgo, Emmanuel Grégoire, chargé de l’urbanisme. Pour cela, la municipalité compte laisser des sociétés ou des associations s’installer dans les bâtiments actuels et rendre accessible les espaces extérieurs en attendant de définir le projet d’aménagement final. «Continuer à réfléchir sur le sujet simplement en se basant sur des cartographies ou des schémas, ce n’est pas satisfaisant. L’urbanisme temporaire, c’est un moyen d’ouvrir le site, de le faire découvrir aux Parisiens. Cette occupation doit permettre aux riverains des possibilités d’appropriation et de “reconquête” de leur quartier en participant activement à son développement et à la préfiguration de ses futurs usages», développe le lieutenant d’Anne Hidalgo.

C’est donc dans cette optique que la mairie de Paris et la SNCF, propriétaire des lieux, ont décidé de lancer à partir de lundi un appel d’offres pour définir comment occuper les lieux pour les quatre prochaines années, avec pour objectif d’ouvrir le site dès cet été. Les candidatures seront réceptionnées début avril pour une désignation du lauréat en juin. Les lauréats devront respecter trois contraintes : mêler loisirs, culture, solidarité et vie locale ; permettre aux habitants de s’approprier le quartier ; ouvrir le lieu sur la nature . «C’est vraiment primordial pour nous que les candidats proposent quelque chose de très mixte en termes d’usage et que leurs projets s’inscrivent dans un urbanisme vert, de respiration», insiste Emmanuel Grégoire. Au total, près de 10 000 m² d’espaces extérieurs et 1 000 m² de bureaux doivent être imaginés par les candidats.

Un comité de 50 citoyens tirés au sort

En ce qui concerne l’aménagement final de la ZAC, la mairie de Paris annonce également le lancement d’un comité citoyen de 50 personnes ayant pour but de remettre à plat le projet et de définir ses objectifs futurs. Composé de 20 habitants du XIIe, de 6 habitants du XIIIe, de 15 habitants des autres arrondissements, de 6 habitants de la commune voisine de Charenton-le-Pont et 3 de celle d’Ivry-sur-Seine, également en bordure du projet, il sera tiré au sort par un institut de sondage indépendant et selon «des critères garantissant une diversité de profils représentatifs des habitants de ce projet», garantit-on à l’hôtel de ville.

D’avril à fin juin, la conférence citoyenne se réunira à cinq reprises, avec notamment trois séances thématiques articulées autour du «patrimoine et de l’identité», de la «résilience et de l’environnement», et de l’«intensité et des usages». A chaque session, les 50 tirés au sort pourront s’appuyer sur les connaissances d’experts indépendants. «On souhaite tenir à l’écart les parties prenantes activistes du projet comme les politiques et toutes les grandes associations patrimoniales, les syndicats patronaux etc. précise Emmanuel Grégoire. Ce n’est pas un lieu de convergence du lobbying.» «L’objectif de ce comité, c’est de nous aider à approfondir et à détailler la programmation de la ZAC. Et donc de répondre aux questions “qu’est-ce qu’on construit ?” et “pourquoi faire ?”» poursuit le bras droit d’Hidalgo. A l’issue de la dernière séance, les 50 tirés au sort remettront à la municipalité un avis citoyen rédigé par leurs soins, comme convenu lors de l’accord de second tour entre socialistes et écologistes. Un avis qui n’est donc que consultatif mais sur lequel la municipalité assure vouloir s’appuyer pour parvenir à un large consensus à la fin de toutes les négociations.

Car c’est bien entre les différentes parties prenantes du projet que se tiendra, dans les prochaines années, le gros des discussions et notamment entre le groupe d’Hidalgo, «Paris en commun», et les écologistes qui, pendant la campagne municipale, proposaient de mettre fin au projet pour en faire un grand bois. Un projet irréalisable pour Grégoire : «On ne pouvait pas remplacer le projet de ZAC pour une forêt car la SNCF, à qui le terrain appartient, en attend de l’argent», explique-t-il. Ecologistes et socialistes se sont finalement accordés, après négociation, à ce qu’un grand parc boisé fasse partie du projet d’aménagement final.

Volumétrie des lieux

Concernant la partie construction, le premier adjoint se dit aussi optimiste : «Avec Emmanuelle Pierre-Marie [la maire écologiste du XIIe arrondissement, ndlr] et les écologistes, nous sommes d’accord sur l’une des grandes orientations. Il faut construire où les terrains sont artificialisés et végétaliser où c’est de la pleine terre», assure-t-il. Malgré tout, un sujet, et non des moindres, ne fait pas encore consensus : celui de la hauteur des immeubles prévus, et donc de la volumétrie des lieux. «Je n’ai pas encore convaincu les écologistes, et même plus largement les habitants, que la hauteur peut être une solution plutôt qu’un problème pour ce site», concède l’adjoint à l’urbanisme.

Côté mairie de Paris, on pense en effet que, sans bâtiment construit en hauteur, le nouveau quartier manquera de logements et de bureaux : «Je dis à mes interlocuteurs qui disent qu’il ne faut plus faire de hauteur qu’il y a un risque de faire tomber la faisabilité économique même de la ZAC, prévient Emmanuel Grégoire. Et à ce moment-là, il y a deux solutions : soit la SNCF dit “Je suis prête a me sacrifier pour la cause et vendre moins cher” – mais j’ai peu d’espoir. Soit c’est à la ville de financer. Sauf que la ZAC telle qu’elle a été mise sur pied, il y a plusieurs années, est déjà en déficit, c’est-à-dire en injection d’argent public. Cela représente 250 millions d’euros, ce qui me semble excessif au regard de nos contraintes budgétaires.» Pour le consensus, il va donc falloir être patient.

Collé à partir de <https://www.liberation.fr/politique/bercy-charenton-hidalgo-en-reconquete-urbaine-20210213_WDPSIEZPS5BIXDJZ2KUGA37MBQ/>