Larry Flynt

A Washington, le 1 er mai 1999. MANNY CENETA/AFP

Magnat du porno

s’ attirer les foudres d'un extrémiste raciste proche du Ku Klux Klan, se faire tirer dessus à la sortie d'un tribunal où il comparaissait pour « obscénité », devenir paraplégique et écouler les quarante-trois dernières années de sa vie dans un fauteuil roulant plaqué or : ainsi vécut Larry Flynt, mort dans son sommeil, à Los Angeles, le 10 février, à l'âge de 78 ans. Le communiqué publié par le groupe Flynt précise que l'homme d'affaires, dont la dépendance aux antidouleur et à la drogue était connue, est mort « des suites d'une maladie soudaine », son épouse Elizabeth et sa fille Theresa à ses côtés. Une fin de vie aussi ordinaire que l'existence du fondateur du magazine porno Hustler (« arnaqueur », « escroc », « prostitué », en français, dans le texte) fut effervescente.

Lorsqu'il lance le magazine qui a fait sa réputation, en 1974, Larry Flynt cherche d'abord à faire la promotion des clubs qu'il possède déjà dans l'Ohio, où les clients se rincent le gosier et l'oeil devant des serveuses entièrement nues. En 1972, le film de Gérard Damiano Gorge Profonde, avec Linda Lovelace, a connu le succès public, malgré les interdictions pour pornographie, alors que le magazine Playboy, de Hugh Hefner, règne en maître sur la presse érotique. «Il y avait un créneau à prendre sur le marché de la photographie de charme, et ce créneau était le bas de gamme », raconta plus tard celui qui conquit ses galons de provocateur libertaire sur le corps des femmes, les images crues (les parties génitales y sont exposées sans filtre) et crades (les modèles font, à l'occasion, leurs besoins).

Pourfendeur du puritanisme

Un an après la naissance du magazine, Larry Flynt accepte de publier des images refusées par ses concurrents : celles de Jacqueline Kennedy-Onassis nue, « shootée » par un paparazzi italien sur l'île grecque de Skorpios, où le couple possède une résidence. Les ventes de ce numéro exceptionnel atteignent rapidement le million d'exemplaires, installant durablement Hustler dans le paysage (il s'écoulera jusqu'à 3 millions d'exemplaires par numéro).

La base d'un empire, progressivement échafaudé sur d'autres publications des clubs, des sex-shops (dont celui, géant, d'Hollywood), des studios spécialisés dans les films X, puis des sites Internet. En 2000, Larry Flynt ouvre même un casino « Hustler » à Las Vegas, qui a annoncé la mort de son fondateur sur Twitter

d'un sobre « Rest in peace » (« Qu'il repose en paix »). Peu après, un autre tweet conviait les followers à venir passer un #wildwednesday (« un mercredi sauvage ») avec les jolies « honeys » de l'établissement, Strawberry, Tai, Angie, Courtney, Suset, Lilly et les autres.

Né le ter novembre 1942 à Lakeville (Kentucky), dans une famille démunie, le jeune homme s'était affranchi très tôt des lois et des règles. A 15 ans, il s'était enrôlé dans l'armée en falsifiant un certificat de naissance. Démobilisé, il s'était mis à vendre de l'alcool clandestinement et à jouer au poker.

En 1976, la justice l'avait condamné à sept ans de prison pour obscénité et agissements relevant du crime organisé, avant de le dégager finalement de toute responsabilité. Il avait acheté, en 2017, une pleine page dans le Washington Post pour offrir 10 millions de dollars (8,2 millions d'euros) à qui lui fournirait toute information conduisant à la destitution de Trump. Un « devoir patriotique », avait défendu ce proche du Parti démocrate, pourfendeur des discours puritains, moralisateurs et hypocrites.

Lorsque Milos Forman lui avait consacré un biopic en 1996, couronné d'un Ours d'or au Festival de Berlin de l'année suivante, le réalisateur hongrois avait admis qu'il n'avait « jamais acheté le magazine Hustler » et qu'il ne l'achèterait jamais. Ce qui ne l'empêchait pas d'admirer «la vie, le courage, et la ténacité » de cet inlassable défenseur, à sa façon provocatrice et volontiers crapoteuse, de la liberté d'expression. A sa sortie en France (où le magazine n'a été autorisé qu'en 2011), l'affiche du film avait suscité l'ire d'une trentaine de catholiques, qui en avaient demandé le retrait. Elle y représentait un homme bras ouverts et jambes attachées, son intimité recouverte d'un drapeau américain, en surimpression sur un sexe féminin. Une référence explicite à la crucifixion et une bravade de plus pour ce père de cinq enfants, marié cinq fois.

Aude Dassonville  Le Monde 11/02/2021